Justice-en-ligne (JEL) : Maître Blanmailland, vous venez d’accéder à la présidence du Conseil supérieur de la justice, ce qui nous donne l’agréable occasion de vous rencontrer. Mais, avant toute chose, pouvez-vous nous rappeler en deux mots ce qu’est le Conseil supérieur de la justice ?
France Blanmailland (FB) : Une institution originale, créée dans les suites de l’affaire Dutroux, chargée d’objectiver et « dépolitiser » les nominations des magistrats de l’ordre judiciaire. Il s’agissait aussi d’exercer sur le fonctionnement de la justice un contrôle autre qu’interne, principalement par le biais de traitement de plaintes, et la tenue d’audits. Le Conseil existe depuis 2000, ses 44 membres sont titulaires de mandats de quatre ans (renouvelables une fois) ; la moitié sont des magistrats élus par d’autres magistrats, l’autre moitié sont des membres de la « société civile » désignés par le Sénat. C’est une institution fédérale, paritairement composée de francophones (avec au moins un germanophone) et de néerlandophones ; elle dépend du Parlement, qui lui attribue chaque année une dotation.
_ JEL : Et vous-mêmes, qui êtes-vous ?
FB : Chacun est beaucoup de choses à la fois, et les dimensions sont évidemment nombreuses… Mais pour ce qui semble pertinent par rapport à la fonction que j’occupe aujourd’hui, je dois me limiter : études de droit à l’ULB, avocate au barreau de Bruxelles depuis 1974, pratique généraliste dans un cabinet d’avocats à Schaerbeek, où j’habite, spécialisation en droit des étrangers, membre militante de nombreuses associations, surtout actives dans le domaine des droits de l’homme en lien avec mon travail quotidien (l’association pour le droit des étrangers, l’association « Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers » (CIRE), etc.). De 1999 à 2003 j’ai été membre du cabinet de la Vice-Première Ministre Isabelle Durant, en charge des questions « JAI », c’est-à-dire justice, police, immigration… J’ai aussi été pendant six ans conseillère communale à Schaerbeek.
_ JEL : Pourquoi votre engagement au sein du Conseil supérieur de la justice ?
FB : Sans doute surtout parce que mon métier a toujours occupé une très grande place dans ma vie et que le fonctionnement, la manière d’être de l’appareil judiciaire ont été d’innombrables sources de joies et de frustrations. Je trouvais donc intéressant de pouvoir jouer un rôle dans la sélection des magistrats ou dans l’intervention face à des fonctionnements ou attitudes critiquables, et aussi de pouvoir porter sur cet appareil judiciaire un regard différent, moins extérieur qu’il ne l’était à la base.
_ JEL : L’un des objectifs de la création du Conseil supérieur de la justice, au lendemain de l’affaire Dutroux, à la fin des années 1990, était de rapprocher la Justice des citoyens. En quoi le Conseil supérieur de la justice joue-t-il ce rôle ? Y a-t-il réussi ?
FB : Je ne suis pas sûre que la feuille de route ait été claire dans l’esprit de ceux qui furent les pères fondateurs. Rapprocher la justice des citoyens peut aussi vouloir dire des choses très différentes pour les uns et pour les autres. Ce que le citoyen, au sens de « opinion publique », veut de la Justice n’est pas forcément ce que le justiciable concret lui demande. Pour ce dernier, ce sera, je pense, une réponse efficace et du respect, tant pour sa personne que pour l’État de droit.
Il me semble à moi que la première manière de remplir le contrat est de contribuer à ce qu’une structure non exclusivement judiciaire joue un rôle dans la sélection des candidats magistrats, dans le choix de leur affectation, dans le jugement porté sur le dysfonctionnement dont se plaint un justiciable. À mes yeux, c’est d’abord le débat sur ces questions qui rapproche la justice et la société. Certes, il s’agit là d’une société particulière, qui a été à l’université, qui connaît le sujet et le fréquente à l’un ou l’autre titre ; mais en tout cas il y a débat, et ce débat rassemble des points de vue différents parce que les horizons et les pratiques professionnelles des uns et des autres sont diversifiés.
Ce débat lié, à la composition des commissions qui forment la Conseil supérieur de la justice, ouvre évidemment une fenêtre sur la société : non seulement les magistrats ne sont plus nommés en fonction de leur couleur politique correspondant à celle d’un ministre, mais ils ne sont pas non plus nommés sur la seule recommandation de leur chef de corps ou sur base de leurs amitiés au sein de l’appareil judiciaire ; c’est le rôle de la commission de nomination et de désignation.
Il en va de même pour la commission d’avis et d’enquête, qui exerce une forme de contrôle externe, dans lequel interviennent non seulement des extérieurs au corps concerné, mais également des extérieurs au pouvoir judiciaire.
Donc, pour moi, il est clair que l’existence même du Conseil, avec la composition « mixte » qui le caractérise, répond à la demande de rapprochement.
Il a par ailleurs rendu, et rend des avis ou prend des recommandations, qui tendent à améliorer des pratiques ou parfois des textes législatifs ou qui vont dans le sens d’une plus grande ouverture. Ainsi, l’avis critique rendu fin 2012 sur le projet de modification de la procédure de libération conditionnelle a entraîné des modifications notables et a permis d’avancer vers un texte posant moins de problèmes de mise en œuvre.
Mais le Conseil n’est pas toujours suivi : je prends souvent l’exemple d’une recommandation de 2009 sur l’information à donner aux justiciables quant à l’identité des magistrats qui interviennent dans leur affaire, transparence jugée en principe indispensables dans le service public, mais que la majorité des juridictions ont refusé d’appliquer…
Cela dit, la Justice avec un grand J reste loin du citoyen par bien des aspects : langage, apparence, origines sociales des magistrats ; le chemin est indéniablement encore long…
_ JEL : Et quelles seront les priorités de votre présidence, spécialement dans les domaines qui intéresse le grand public, qui est également celui qui consulte Justice-en-ligne ?
FB : La présidence est une fonction d’image et de représentation, elle n’implique pas « une politique » de la personne qui incarne pendant un an l’institution dans ses rapports vers l’extérieur et vers les membres. C’est donc pour le Conseil tout entier qu’il me semble que la priorité sera de mériter la confiance qui lui a été témoignée lors de sa création : si nous voulons que ne soient pas remises en cause ses missions, à nous de montrer que nos présentations pour des postes de magistrats sont les moins discutables possible, que les audits et enquêtes réalisés le sont au bénéfice du travail des corps concernés
Cela dit, il me paraît à moi essentiel que le Conseil soit acteur et non sujet de la redéfinition de son rôle, annoncé par la révision de l’article 151 de la Constitution, qui est la disposition qui a créé le Conseil supérieur de la justice. Ceci implique d’être prêt à porter sur son propre travail un regard critique et d’accepter d’en débattre à l’extérieur. Les occasions ne manqueront pas, puisque le récent accord de gouvernement a annoncé des modifications substantielles…
Toujours sous l’angle de l’objectif central de la création du Conseil, améliorer le travail de la Justice, la période actuelle est évidemment riche en défis. Déjà la mise en place progressive de l’autonomie de gestion dans un cadre d’arrondissements aux nouveaux contours, avec des chefs de corps confrontés à un nouveau métier, celui de gestionnaire à la fois des ressources humaines et des moyens matériels qui seront mis globalement à sa disposition.
Mais aussi le fait que, échelonnés sur les dix années qui viennent, nous verrons de nombreux départs à la retraite parmi les magistrats. Il importe de ne pas être face au problème sans avoir prévu de préparer des solutions, et le Conseil a un rôle concret à jouer à cet égard : il peut s’agir de faire des propositions de modifications législatives, comme ce fut le cas en 2013 pour permettre l’organisation de plusieurs sessions d’examens si le besoin s’en fait sentir. Ces propositions pourraient également porter par exemple sur nos propres pratiques et sur l’adaptation de celles-ci : organisation d’examens spécialisés, modification des critères de sélection, etc.
Nous avons déjà, l’an dernier, décidé de revoir la procédure d’examen en remplaçant les deux examens écrits par un seul, qui nous semble davantage en mesure de sélectionner un futur magistrat capable de maîtriser la technique juridique mais aussi de témoigner de la nécessaire prise de distance « citoyenne » des candidats. L’évaluation de la procédure de sélection est un processus qui se poursuit
Enfin, quand vous parlez des domaines qui intéressent le grand public, ceci renvoie au Baromètre de la Justice, que le Conseil est tenu d’organiser et de diffuser de manière périodique. Les résultats du dernier en seront connus et communiqués dans les prochaines semaines. Je pense ne pas trop m’avancer en disant que la mise en œuvre de la nouvelle procédure des plaintes sera une forme de réponse à ce que le justiciable attend du service public « Justice ».
_ JEL : Voici quelques semaines, une loi datée du 4 avril 2014 a en effet réformé le traitement des plaintes devant le Conseil supérieur de la justice (Moniteur belge du 14 mai 2014, 2e éd., p. 39042). Même si ce texte n’est pas encore en vigueur, pouvez-vous nous en dire deux mots ? Pourquoi cette réforme ? Quel bilan dresser de la possibilité qu’ont les justiciables de déposer pareilles plaintes ? Ne confondent-ils pas cela avec la possibilité qui leur est offerte d’utiliser les voies de recours contre les jugements et les arrêts qui leur sont défavorables ?
FB : Cette nouvelle loi a été initiée, il y a déjà de longues années, sur la suggestion du Conseil supérieur de la justice lui-même. Le but était à la fois de pouvoir tirer les leçons de l’ensemble des plaintes relatives au fonctionnement de la justice, ce qui n’était pas possible, le Conseil ne recevant qu’une partie de celles-ci, et de donner l’occasion aux chefs de corps, qui sont en toute hypothèse responsables de la bonne marche de leur service, de traiter les plaintes eux-mêmes. La commission d’avis et d’enquête francophone reçoit entre 100 et 200 plaintes par an, il y en a toujours un peu plus du côté néerlandophone, mais il est évident que de nombreuses plaintes sont introduites ailleurs, d’abord auprès des supérieurs hiérarchiques des juridictions concernées, mais aussi par exemple auprès du SPF Justice.
Le fait de ne disposer que d’un échantillon réduit des plaintes existantes handicape fortement la raison d’être de cette forme de contrôle « citoyen ». La nouvelle loi doit permettre de disposer de l’ensemble des plaintes, qui seront enregistrées par une sorte de guichet central virtuel et seront ainsi portée à la connaissance du Conseil supérieur, qui peut d’ailleurs décider dans certaines circonstances de se saisir lui-même du dossier. Cela pourrait être le cas si le chef de corps lui-même est directement ou indirectement concerné, s’il s’agit de la énième plainte sur le même problème, etc. La loi n’est, comme vous le dites pas encore en vigueur, des arrêtés royaux, que nous devons aider à rédiger, doivent encore être pris et, comme souvent, tout dépendra de la manière dont l’instrument sera organisé.
Pour que l’objectif soit atteint, il faudra que toutes les plaintes soient enregistrées et qu’il n’y ait donc pas de « filtre » de recevabilité qui vide le dispositif de son contenu. Le but est en effet double : disposer d’un instrument qui oblige à donner une suite aux plaintes et en même temps permettre de tirer des leçons générales au départ de ce qui « coince » le plus. Sans centralisation effective et vue globale des plaintes introduites, cet objectif ne peut que rester lettre morte. Il est donc nécessaire que soit organisé un système de guichet unique virtuel efficace, d’abord, et que des modalités suffisamment précises permettent d’assurer un enregistrement de chaque doléance et le contrôle de leur suivi.
_ JEL : Pour terminer, si vous aviez une seule suggestion à faire pour améliorer le fonctionnement de la Justice, laquelle serait-ce ?
FB : Peut-être celle d’introduire plus de réactivité et de souplesse dans la communication, notamment par l’usage accru de la voie électronique, ce qui bien sûr nous ramène à la nécessaire mise à jour de l’outil informatique de l’appareil judiciaire.
Votre point de vue
Nadine Goossens Le 13 mars 2017 à 20:53
A quoi rime de faire remonter le fil d’une chronique qui date d’octobre 2014 dont les informations sont par ailleurs obsolètes ?
L’actuel président est Christian DENOYELLE, Juge de la jeunesse auprès du Tribunal de première instance d’Antwerpen, président de la Commission d’avis et d’enquête néerlandophone, président du CSJ 2016-2017,. Il a succédé à Eric STAUDT, avocat.
Pour l’avoir approché en 2016/2017, Monsieur le Président Denoyelle n’a répondu à aucun des courriers que je lui ai adressés en plis recommandés. Son secrétariat attribue un numéro de dossier. Point.
En revanche, Mr Eric STAUDT répondait aux courriers. Ses courriers étaient ce qu’ils étaient mais réponse il y avait. Un prompt classement sans suite aussi.
L’actuel Conseil chargé de l’étude des plaintes use et abuse de formules réductrices assorties d’une expéditive fin de non recevoir.
Déconsidération consommée si le plaignant ose se faire insistant en opposant des arguments embarrassants qui impliquent notamment des dysfonctionnements graves du Parquet : la réponse est alors générée par un algorithme.
Circulez, y’a rien à voir !
En même temps, on apprend par voie de presse que ce Conseil Supérieur de la Justice a spontanément proposé son "aide" à la Commission d’enquête chargée de l’affaire Kazakhgate. Le justiciable ordinaire attendra.
Je viens de parcourir les commentaires précédents. Je vous rassure, le fonctionnement de ce Conseil n’est pas meilleur aujourd’hui. C’est pire et cette chronique est du pipeau.
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Michel A Le 5 janvier 2017 à 04:18
J’ai été en contacte avec le C S J, je peut vous dire qu’il ne sert à rien.
Je lui ai envoyé un dossier, qui prouvait qu’un juge du tribunal de Namur ne respectait en rien le code pénal de Belgique.
J’ai aussi la preuve que les avocats ont fait du copinage.
La réponse du CSJ fut, nous ne sommes pas compétents pour traiter ce genre de problème.
Je dirais que le CSJ, c’est une réunion de copains, qui vont chercher leurs argents facilement.
Il suffit de lire sur leurs site ( cas ou le CSJ ne peut intervenir ) et là on s’apercois que le citoyen n’est pas à l’ordre du jour.
Au CSJ il y a même des Huissiers de Justice qui viennent arrondir leur fin de mois.
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KOULOS Kosta Le 22 octobre 2014 à 09:53
Bonjour à tous, le C.S.J. n’est pas un organe contraignant, tous les membres sont de la même "famille" (si je ne me trompe pas). Depuis sa création jusqu’à ce jour, y-a-t-il eu des sanctions radicales contre des Magistrats et des avocats corrompus ? Je suis victime de plusieurs escroqueries judiciaires à cause de la collusion effective qui existe entre certains avocats et certains Magistrats, toutes mes plaintes, mêmes celles avec constitution de partie civile ont été classées sans suite parce qu’un des avocats mis en cause exerce en tant que juge suppléant (malgré les preuves irréfragables de faux, etc.). Aucun avocat ne veut mettre en cause ces confrères véreux ni m’assister par-devant la Cour d’Appel de Liège. Tous les B.A.J. et tous les Barreaux vous disent "vous avez des droits faites les valoir", lorsqu’il y a des avocats et des Magistrats mis en cause, à qui s’adresser ?
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Franco Vitiello Le 21 octobre 2014 à 19:32
Le juge d’instruction chargé de l’enquête et le policier chargé d’auditionner les suspects organisent volontairement des auditions "bidons" qui ne portent pas sur les faits dénoncés de sorte à rendre volontairement un non-lieu dans une affaire où des hauts fonctionnaires de l’Administration sont les suspects.
Que fait dans ce cas le Conseil Supérieur de la Justice, chargé de contrôle du fonctionnement de la justice ?
Il gère cette corruption par des dossiers dits "innombrable" de sorte que leur acolytes (juge d’instruction et polices) ... ne puissent pas être inquiété
Etterbeek, Franco Vitiello
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Gisèle Tordoir Le 21 octobre 2014 à 17:41
Le CSJ : près de 15 ans de promesses, de "projets d’améliorations, de prétention d’indépendance et de compétence, de volonté d’être un trait d’union entre le monde judiciaire et le citoyen, le justiciable. Que de bonnes intentions en tous genres !!!...Mais, l’enfer n’est-il pas, lui aussi, pavé de bonnes intentions !?!?...S’y prenant mal, se limitant aux seules dispositions, idées, promesses, comme il est de coutume dans ce milieu, on génère plus de catastrophes que de résultats efficaces...Quand va-t-on cesser de prendre le citoyen pour un demeuré ??? Malgré nos demandes d’enquête(s) réelle(s) et sérieuse(s), d’entrevues et nos différents courriers adressés à certains membres du CSJ, en octobre, novembre et décembre 2011 et fin février 2012, aucune suite digne de ce nom n’a été réservée à notre requête par rapport aux dysfonctionnements de la justice signalés pour les avoir vécus...Améliorer la justice via une meilleure communication, une mise à jour de l’outil informatique relèvent de projet utopiste mais surtout simpliste. Ce sont les mentalités qu’il faut changer pas seulement les logiciels !!! Je n’ai, à ce jour, toujours pas compris l’utilité du CSJ : trop coûteux au vu des résultats. L’exemple-type de la bonne intention pavant l’enfer...Peut-être résulte-t-il d’une certaine volonté de bien faire ; quoi que j’en doute vraiment...A chaque changement de présidence, je lis les mêmes promesses... Aucune confiance en cet organe de plus dans le monde judiciaire ; tout comme les legal clinics...De véritables gouffres financiers !
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skoby Le 21 octobre 2014 à 16:39
Pleine de bonnes intentions..... mais on en est encore nulle part !!
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