Delhaize : la justice et la grève

10 octobre 2023

En Belgique, tout le monde connait les magasins Delhaize. Mais pourquoi en a-t-on tellement parlé depuis six mois ? En voici la raison.
En mars 2023, l’entreprise Delhaize – ici l’employeur – a en effet décidé que certains de ses magasins seraient « franchisés ». Cela signifie qu’ils ne seraient plus dirigés par un patron qui est lui-même employé de Delhaize mais par une personne indépendante. Cela signifie aussi que leur personnel – près de 9000 personnes, hommes et femmes – ne ferait donc plus partie des employés de Delhaize.

Pas d’accord !

Pour le personnel et les syndicats, cette décision risque d’avoir des effets négatifs pour les futurs employés de ces magasins franchisés. Des grèves ont alors été organisées, avec des piquets devant les magasins. Un piquet, c’est un groupe de travailleurs en grève, rassemblés devant une usine, un magasin, un bureau, etc., pour empêcher les entrées de marchandises, de non-grévistes et, dans ce cas-ci, de clients.
Pas d’accord, Delhaize s’est adressé aux présidents de différents tribunaux de première instance travaillant en référé, pour obtenir rapidement une décision. L’entreprise demande principalement la protection de son droit de propriété, de la liberté du commerce et du droit de ne pas subir un abus du droit de grève.
Une première particularité, c’est que, comme l’entreprise demande la protection de ses droits civils et économiques, c’est le président du tribunal de première instance qui est compétent. C’est un premier sujet d’étonnement car on aurait pu penser que les relations sociales devaient être jugées par le président du tribunal du travail.
Deuxième particularité : dans le cas des grèves, la procédure est généralement entamée par une demande appelée « requête ». C’est une requête dite unilatérale puisque les personnes concernées par la décision – qu’on appelle « ordonnance » – ne sont pas identifiées au départ (on ne sait pas qui fera grève ou pas) et donc ces personnes ne seront pas entendues et ne pourront donc pas faire part de leurs arguments. En termes de droit, on dira qu’il n’y a pas eu de « débat contradictoire ».
Plusieurs tribunaux ont donné raison à Delhaize. Ils ont interdit ces piquets de grève et condamné les manifestants à des astreintes. Ils ont aussi autorisé les huissiers de justice qui devaient signifier cette décision à faire appel à la police en cas de problème.

Pas de débat ?

Depuis quelques années, plusieurs juridictions, parmi lesquelles la Cour d’appel de Bruxelles, se sont interrogées au sujet des requêtes unilatérales. Ils estiment qu’il faut, chaque fois que c’est possible, privilégier un débat contradictoire. Cela n’aurait-il pas pu être le cas dans cette affaire Delhaize ?

Comme nous l’avons dit plus haut, cette entreprise souhaite la protection de son droit de propriété et de la liberté de commerce ; elle poursuit donc l’objectif de ne pas subir une grève. Les syndicats et les travailleurs mettent en avant le droit de grève. Or la grève, c’est justement un moyen de faire pression sur l’entreprise concernée, de porter atteinte à ses ressources financières et à ses droits économiques ! Donc mettre en avant le droit à la propriété et la liberté d’entreprendre pour justifier une restriction du droit de grève est un grand débat ! L’Organisation internationale du travail (O.I.T.), qui reconnaît le droit de grève, précise d’ailleurs qu’elles sont couteuses et perturbantes par nature. Et qu’un piquet de grève est autorisé, il est licite s’il est pacifique.

Droits économiques d’abord

Le droit de grève n’est pas un droit absolu. Le droit à la propriété et à la liberté de commerce non plus. Les juges doivent mettre en balance les droits de l’entreprise et ceux des travailleurs en grève. Sans débat contradictoire, cela est beaucoup plus difficile.
Dans les dossiers Delhaize, cela n’a presque pas été le cas. Les droits économiques de l’entreprise ont été gagnants dans la grande majorité des cas.

En Belgique, dans l’histoire des relations sociales, les conflits ne s’éternisent généralement pas. Le but de la grève, c’est d’arriver à ce que les partenaires se réunissent, se concertent et négocient. Dans ce cas de Delhaize, six mois après le début du conflit, ce qu’on appelle la concertation sociale ne fonctionne toujours pas.
Une question se pose alors : puisque les employeurs, en s’adressant aux juges, diminuent ’impact de la grève, sont-ils encore poussés à discuter, à négocier, à pratiquer la concertation sociale ? Et enfin : faudrait-il créer d’autres lois concernant les interventions de la justice dans les conflits du monde du travail ?

Source : La justice face aux grèves chez Delhaize – Jean-François Neven – en principe sur Justice-en-ligne le 7 octobre

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