La vidéoconférence s’invite dans les procédures administratives : aperçu des règles et principes

par Nathan Mouraux - 9 avril 2025

La presse a récemment fait écho à l’arrêté du Ministre de la Justice du 16 octobre 2024 qui refuse la présentation du Conseil supérieur de la Justice (CSJ) au non-renouvèlement du mandat de la Présidente du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Le Ministre y met en lumière une irrégularité de la procédure administrative suivie : quatre membres de la Commission ont participé à l’audition de l’intéressée par vidéoconférence, alors que l’article 8bis du règlement d’ordre intérieur de cette entité le proscrit lors d’une audition.
À l’heure où la vidéoconférence est devenue commune, cette actualité permet à Nathan Mouraux, avocat au barreau de Bruxelles, assistant à l’Université libre de Bruxelles, de faire le point sur les conditions dans lesquelles elle peut être utilisée dans les procédures administratives.

L’absence de règlementation générale

1. En droit belge, l’organisation et le fonctionnement des autorités administratives souffrent d’un défaut de systématisation. Il n’existe pas de législation généralement applicable.
Le régime applicable dépend du niveau de pouvoir, de la matière traitée ou encore de la compétence de l’autorité. Il est dès lors impossible de procéder à une présentation générale des règles relatives au recours à la vidéoconférence dans le cadre des procédures administratives.
Un examen des différents textes en vigueur et de la jurisprudence permet toutefois d’avoir une vue d’ensemble.

Au niveau local

2. L’échelon de pouvoir local permet une première illustration intéressante.
À la suite de la crise sanitaire, les législateurs régionaux ont pérennisé les mesures qui permettaient aux organes des pouvoirs locaux ou paralocaux, comme les régies ou les intercommunales, de se réunir à distance.
La situation en Région wallonne est la plus lisible, les deux autres législateurs régionaux ayant doté les organes concernés de la compétence de préciser leurs propres règles par le biais de règlements d’ordre intérieur.

3. Les règles adoptées au sud du pays reposent sur une double distinction, selon que l’on se trouve en situation ordinaire ou extraordinaire, à savoir une situation de crise, et selon le type d’organe, à savoir les assemblées ou les exécutifs.
Lorsqu’on se trouve en situation extraordinaire, les réunions peuvent toujours se tenir à distance.
Lorsqu’on se trouve en situation ordinaire, comme aujourd’hui, les réunions des assemblées doivent se tenir en présentiel et 20 % des réunions des exécutifs, au maximum, peuvent se tenir à distance.
Dans les deux situations, il existe toutefois certaines exceptions qui rendent obligatoires une réunion en présentiel. Les assemblées doivent impérativement se réunir en présentiel lorsqu’elles traitent un point relatif à la situation disciplinaire d’un agent ou lorsqu’une personne extérieure est entendue dans le cadre d’un contentieux, sauf si un délai de rigueur est applicable.
Il en va de même pour les exécutifs. Ces derniers sont aussi obligés de se réunir en présentiel dans d’autres situations, comme les décisions relatives aux budgets et comptes.

Au niveau fédéral et au sein des entités fédérées

4. Au niveau des entités fédérées et de l’autorité fédérale, il n’existe aucun texte qui fixe de manière transversale les règles relatives à l’utilisation de la vidéoconférence lors des procédures administratives.
Il convient d’examiner au cas par cas si les textes organisant les entités concernées permettent la tenue de réunion par vidéoconférence et si des conditions ont été fixées. Ces règles peuvent être fixées au niveau législatif, règlementaire ou au sein des règlements d’ordre intérieur.

5. À titre d’exemple, la règlementation fédérale permet à l’autorité en charge de la carrière extérieure et consulaire d’organiser les auditions disciplinaires ou d’évaluation des agents par vidéoconférence, au choix de l’intéressé.
Le règlement d’ordre intérieur du Comité wallon pour la protection des animaux d’expérience prévoit également la possibilité pour ses membres de se réunir par vidéoconférence.

6. En 2020, une affaire a par ailleurs été portée devant le Conseil d’État concernant le recours à la vidéoconférence pour les entretiens devant le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA). Dans un premier arrêt (n° 249.163, 7 décembre 2020), le Conseil d’État a suspendu la décision qui met en place ce dispositif en raison de l’incompétence du CGRA pour modifier les circonstances dans lesquelles l’entretien doit avoir lieu, ce qui relève de la compétence du Roi.
Cet arrêt laisse entendre que toute entité qui souhaite permettre à l’une de ses administrations de recourir à la vidéoconférence doit veiller à le préciser dans les textes applicables dans la mesure où il s’agit d’une modification du fonctionnement de ladite administration. À noter que le Roi a finalement adopté le dispositif applicable au CGRA, lequel a été validé par un second arrêt (n° 254.655, 3 octobre 2022).

Devant les juridictions administratives
7. Un dernier aspect de la procédure administrative concerne les juridictions administratives. La procédure devant ces instances doit être organisée dans le respect du droit à un procès équitable garanti par la Convention européenne des droits de l’homme qui protège, entre autres, le droit d’accès effectif à un tribunal et le principe du contradictoire.
À l’heure actuelle, certaines juridictions organisent, selon les nécessités du contradictoire et dans le respect des textes qui les encadrent, leurs audiences ou auditions par vidéoconférence. La généralisation du recours à la vidéoconférence pour ces procédures est toutefois susceptible de causer des difficultés concernant le droit à un procès équitable, ne serait-ce qu’en raison de l’inévitable aléa technique ou de la difficulté d’être assisté utilement par un conseil lors d’une audience à distance.

8. Deux actualités récentes viennent confirmer l’existence de ces risques. D’une part, un décret flamand adopté le 23 novembre 2023 permet, en cas d’urgence, au président de chambre de certaines juridictions administratives flamandes d’organiser les audiences en vidéoconférence. Six conditions sont fixées par le décret, comme la nécessité de garantir que les parties se voient et s’entendent sans entraves techniques ou qu’elles puissent communiquer effectivement et confidentiellement avec leur conseil.
D’autre part, l’arrêté royal du 19 novembre 2024, qui exécute l’article 27/1 des lois coordonnées ‘sur le Conseil d’État’, inséré lors de la dernière réforme de cette juridiction, permet au Conseil d’État d’organiser, dans des circonstances exceptionnelles et sur ordonnance motivée du président de chambre, les audiences en extrême urgence via une vidéoconférence. Quatre conditions sont également fixées, parmi lesquelles les deux conditions précitées fixées par le décret flamand du 23 novembre 2023.

En conclusion

9. L’ensemble des éléments qui précèdent nous permettent, sans surprise, de confirmer le constat posé en préambule : les règles relatives au recours à la vidéoconférence lors des procédures administratives sont morcelées.
Au niveau des autorités administratives, la situation décrite constitue l’expression de ce qu’elles doivent toujours veiller à agir dans le respect des lois et règlements qui les organise lorsqu’elles agissent. Le recours à la vidéoconférence par un organe de l’administration doit, en règle, être admis au sein des textes qui l’encadrent. Le cas échéant, l’entité qui ne respecterait pas lesdits textes s’exposerait aux recours des éventuelles personnes lésées. La situation du refus opposé par le Ministre de la Justice au non-renouvèlement du mandat de la Présidente du Tribunal de première instance en constitue une parfaite illustration.

10. Nous pouvons encore ajouter, et ce de manière plus générale, qu’il est nécessaire que les autorités veillent à ce que le recours à la vidéoconférence n’entrave pas l’exercice des principes généraux qui encadrent leur action.
Le législateur wallon l’appelle de ses vœux en précisant, à propos du régime décrit plus haut, qu’il trouve à s’appliquer dans le strict respect des principes démocratiques, tels que la publicité des débats ou la possibilité d’échanges de points de vue.
Le citoyen lésé qui considèrerait que le recours à la vidéoconférence par une autorité est contraire aux principes généraux qui guident son action pourrait aussi en tirer argument dans le cadre des recours qui lui sont ouverts, ce qui relève alors évidemment d’une appréciation au cas par cas. Le cas échéant, il pourrait, sur cette base, contester les actes qui lui font grief en introduisant les recours ouverts.

11. Il est enfin heureux que le recours à la vidéoconférence reste l’exception pour les juridictions administratives, devant lesquelles une comparution en présentiel reste, à notre estime et pour certaines affaires, nécessaire pour garantir le droit à un procès équitable.

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