Strépy-Bracquegnies : assises ou correctionnelle ?

L’enjeu de la qualification pénale

par Pauline Leloup - 18 avril 2025

Le 20 mars 2022, la mémoire du folklore belge a été marquée au fer rouge à la suite du drame de Strépy-Bracquegnies. Ce jour-là, Paolo Falzone, au volant de son véhicule, est entré dans un groupe de gilles, faisant ainsi plusieurs morts et de nombreux blessés. Si les faits peuvent, à première vue, sembler clairs, ils soulèvent en réalité plusieurs questions fondamentales en droit pénal et droit de la procédure pénale.
Pauline Leloup, avocate au barreau de Bruxelles, les aborde ci-dessous en apportant plus spécialement les explications nécessaires à la compréhension de la notion de qualification pénale. Celle-ci a déjà été traitée précédemment sur Justice-en-ligne dans les premières semaines qui ont suivi les faits de Strépy-Bracquegnies (Thierry Marchandise, « Strépy-Bracquegnies : la qualification pénale en mouvement »), mais il a paru nécessaire d’y revenir de manière plus détaillée, à présent que l’instruction de ce dossier est terminée.

1. Le 10 février 2025, l’audience en règlement de procédure s’est tenue devant la chambre des mises en accusation du Hainaut.
Cette chambre est en réalité la seconde juridiction à se pencher sur ce dossier.
En effet, la chambre du conseil de Tournai l’a précédemment étudié. Cette dernière a, conformément à son rôle, qualifié pénalement les faits de « meurtres » et de « tentatives de meurtre ». Il s’agissait là de la première étape pour renvoyer un dossier vers la cour d’assises, seule juridiction compétente pour juger des faits de meurtre. Concrètement, l’ordonnance dite de prise de corps rendue par la chambre du conseil a pour effet de saisir automatiquement la chambre des mises en accusation.
C’est pour cette raison que le dossier est passé entre les mains de cette juridiction. Le 7 avril 2025, cette dernière a rendu son arrêt, scellant ainsi le parcours de ce dossier.

I. Rappel des notions théoriques pertinentes

2. Au stade du règlement de la procédure, les juridictions d’instruction (chambre du conseil et chambre des mises en accusation) servent de « carrefour » lorsqu’une instruction est terminée. Ces juridictions doivent évaluer s’il existe des charges suffisantes pour renvoyer devant la juridiction de jugement. Il est renvoyé sur ce point à un précédent article de l’autrice du présent article, « L’appréciation des charges suffisantes : le carrefour de la chambre du conseil ».
Les charges correspondent aux « éléments recueillis au terme de l’instruction. Elles sont suffisantes lorsqu’elles sont contrôlées et si sérieuses qu’au stade du règlement de la procédure, la condamnation des personnes poursuivies apparaisse comme vraisemblable » (arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2019).
Si tel est le cas, la chambre du conseil, ou sa juridiction d’appel, la chambre des mises en accusation, renvoie le dossier devant le juge du fond. Ce dernier est chargé d’organiser le procès des personnes poursuivies, d’entendre les éventuelles victimes et le ministère public, puis d’inviter les prévenus à se défendre de la qualification juridique des faits qui leur sont reprochés, avant de se prononcer sur sa culpabilité et de déterminer, le cas échéant, la peine encourue.
La culpabilité d’un prévenu ne pourra être retenue que si les charges se sont muées en preuves. Celles-ci consistent en la démonstration certaine d’un fait. Les preuves sont les éléments que le juge du fond retient pour établir la culpabilité d’un prévenu, au-delà de tout doute raisonnable.

II. La qualification pénale

3. De la naissance d’un dossier à l’éventuelle condamnation définitive par un tribunal du fond, les faits recevront tout du long une qualification pénale.
Au moment de l’enquête et du réquisitoire en règlement de procédure, le Ministère Public proposera une qualification particulière. Lorsqu’elles sont saisies d’un dossier, les juridictions d’instruction déterminent, à leur tour, la qualification des faits qu’elles ont à connaitre. À l’étape suivante, le juge du fond peut encore décider de changer la qualification.

4. La qualification pénale est donc l’opération par laquelle un fait est rattaché à une ou plusieurs infractions définies par la loi. Cette opération consiste en la constatation de la réunion des éléments constitutifs d’une infraction.
Par exemple, un dossier est ouvert pour une bagarre. Il appartiendra aux différents acteurs d’analyser si les faits relèvent effectivement de l’infraction de coups et blessures volontaires simples (article 398 du Code pénal) ou éventuellement aggravés (incapacité de travail, circonstance de vulnérabilité, de préméditation, etc.) (articles 399, 400 et suivants du Code pénal).

III. Le règlement de la procédure : chambre du conseil ou chambre des mises en accusation ?

5. Les lecteurs les plus attentifs auront constaté dans l’introduction de cet article que c’est la chambre des mises en accusation qui a dû analyser le dossier du drame de Strépy-Bracquegnies. Il s’agissait en l’espèce de celle de la Cour d’appel du Hainaut. Comme évoqué, la chambre du conseil de Tournai s’est précédemment penchée sur celui-ci.

6. Ayant estimé que les faits correspondaient aux qualifications de « meurtres » et « tentatives de meurtre », la chambre du conseil avait rendu une ordonnance de prise de corps. Il s’agit de la première étape pour renvoyer un dossier vers la cour d’assises, seule juridiction compétente pour juger des crimes non-correctionnalisables. Ces crimes correspondent aux infractions les plus graves, dont le meurtre fait logiquement partie.
En matière de crimes non-correctionnalisables, la chambre des mises en accusation est en réalité la seule juridiction compétente pour renvoyer un inculpé devant la cour d’assises.

7. Par conséquent, au stade du règlement de la procédure dans un dossier de crime non-correctionnalisable, la chambre du conseil est chargée de qualifier adéquatement les faits et d’examiner s’il existe suffisamment de charges pour organiser un procès devant la cour d’assises.
Dans l’affirmative, elle décide de transmettre les pièces au procureur général, ce qui a pour conséquence de saisir la chambre des mises en accusation. Cette dernière est la seule juridiction compétente pour renvoyer le dossier devant la cour d’assises si elle estime effectivement être saisie de faits qu’elle qualifie de crime non-correctionnalisable.
8. Dans son arrêt du 7 avril 2025, la chambre des mises en accusation a confirmé la qualification décidée par la chambre du conseil. Ainsi, le renvoi vers la cour d’assises a été décidé.

IV. L’impact de la qualification sur la juridiction de fond compétente

9. La chambre du conseil de Tournai avait donc qualifié les faits en « meurtres » et « tentatives de meurtre », conformément aux réquisitions formulées par le Ministère Public.
Toutefois, la chambre des mises en accusation aurait pu établir sa propre qualification et, le cas échéant, s’éloigner de celle qui aurait été établie par la chambre du conseil.

10. De manière générale, la chambre des mises en accusation peut rendre différents types d’arrêt à l’issue de la procédure : un arrêt de non-lieu, un arrêt d’internement, un arrêt de plus ample informé, la suspension du prononcé de la condamnation, un arrêt de renvoi vers une juridiction correctionnelle ou un arrêt de renvoi vers la cour d’assises.

11. En conclusion, « l’étiquette juridique » que reçoit un fait a une incidence énorme sur le parcours d’un dossier pénal.
La chambre des mises en accusation constitue donc l’ultime carrefour entre le renvoi aux assises, la juridiction compétente pour les crimes les plus graves, et le renvoi devant un tribunal correctionnel, en fonction de la qualification qu’elle donne aux faits qu’elle a à connaitre.
Les infractions commises lors du drame de Strépy-Bracquegnies auraient pu recevoir différentes qualifications pénales (meurtres, coups et blessures ayant entrainé la mort sans intention de la donner, tentatives de meurtres, etc.). Cette question est fondamentale et la réponse qui y a été apportée par la chambre des mises en accusation a scellé le renvoi vers la cour d’assises, composé de trois magistrats professionnels et de douze jurés populaires.
Si les meurtres venaient à être établis lors de ce procès, la cour d’assises peut prononcer des peines allant jusqu’à trente ans de privation de liberté, appelée alors « réclusion ».
Par exemple, si les faits dont il est question avaient été qualifiés de coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner, le prévenu aurait risqué un maximum de cinq ans d’emprisonnement (articles 401 et 80 du Code pénal), devant le tribunal correctionnel. L’enjeu était donc de taille.

12. Toutefois, il est important de garder à l’esprit que, si le dossier est renvoyé devant la cour d’assises, celle-ci pourra encore s’éloigner de la qualification de « meurtres » précédemment retenue et en tirer les conséquences sur la peine qui pourrait être prononcée.
La partie est donc encore loin d’être finie et les débats promettent d’être intenses devant la Cour d’assises du Hainaut.

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