Les excès de pouvoir de Donald Trump : la justice peut-elle être la solution ?

par Anne E. Deysine - 14 avril 2025

Nombre de mesures prises par Donald Trump depuis son retour au pouvoir donnent lieu à des décisions de justice les invalidant ou suspendant leur application, ce qui suscite des réactions, parfois vives, de son administration, allant parfois jusqu’à des menaces de destitution des juges concernés.
Anne E. Deysine, professeure émérite à l’Université Paris-Nanterre Nanterre et autrice de l’ouvrage « Les juges contre l’Amérique » (Paris, Presses universitaires de Nanterre, octobre 2024, 196 p.), nous dresse un état des lieux de cette situation et nous propose les réflexions que celle-ci lui inspire.

Le conflit entre Donald Trump et la Justice américaine : quelques éléments de contexte

1. Depuis son retour à la Maison Blanche le 20 janvier 2025, Trump a signé plus de 110 décrets dont bon nombre sont contraires à la loi (limogeages massifs de fonctionnaires, gel des crédits) ou à la Constitution (tentative de mettre fin au droit du sol sans amendement à la Constitution), ce qui a suscité une avalanche de référés et d’actions en justice afin d’éviter le « préjudice irréparable », qui est le critère d’intervention des juridictions en procédure d’urgence.
Une soixantaine de juges a déjà statué contre Trump, exigeant notamment la réintégration des fonctionnaires limogés en violation de leur droit, la levée du gel sur les sommes destinées à certaines agences, dont l’agence de développement international USAid.

2. Ces juges ne sont pas tous d’affreux gauchistes. Bon nombre ont été nommés par R. Reagan (Coughenour), G.W. Bush ou Trump lui-même (Nichols). Et il y a des motifs juridiques à ces décisions.
Mais ceux qui ont osé bloquer des actes illégaux ou inconstitutionnels ont immédiatement été jetés en pâture sur les réseaux sociaux, Fox News et plus généralement dans la blogosphère de droite. Le juge Engelmayer (qui a refusé à Musk l’accès aux données privées et confidentielles du Trésor) a même été accusé de « fomenter un coup d’État contre le gouvernement élu », tweet repris par de nombreux abonnés et retweeté par Elon Musk.
Selon les membres de l’administration, les commentateurs de Fox News et les troupes MAGA (« Make America Great Again »), ces juges sont des activistes qui n’auraient pas le droit de s’opposer à l’action « légitime » du président. C’est ce qu’a déclaré le vice-président Vance, qui, dès 2021, citait le président Andrew Jackson, furieux d’une décision rendue par la Cour suprême de l’époque et qui aurait déclaré : « Le président de la Cour a rendu sa décision. Qu’il se débrouille maintenant pour la faire appliquer ».

3. Depuis qu’il est redevenu président, Trump dispose du soutien logistique et de la chambre d’écho de cette blogosphère de droite qui répercute critiques, accusations et demandes de destitution afin de délégitimer le pouvoir judiciaire et, par la répétition permanente, d’acclimater l’idée que les juges sont des activistes de gauche empêchant le président Trump de faire ce que lui ont demandé les électeurs avec un large mandat (en fait un peu plus de 49 % des suffrages).

4. Ces accusations sont un bel exemple des retournements de logique dont Trump est passé maître : ce sont les juges qui violeraient la Constitution et mettraient la démocratie en danger en s’opposant au président élu.
Trump et ses alliés cherchent à réécrire l’histoire de façon à inscrire les assauts contre le judiciaire dans la lignée d’autres présidents comme Franklin D. Roosevelt. Ce dernier, confronté à l’opposition systématique de la Cour de l’époque (qui invalidait les lois du New Deal), avait envisagé de rajouter quelques membres à la Cour. Devant l’opposition unanime des Républicains et des Démocrates de l’époque, il avait dû renoncer à son projet ; mais les juges avaient finalement évolué.

Menaces et intimidation inacceptables dans un État de droit

5. Trump et ses affidés ont menacé plusieurs juges de destitution.
Il avait dès 2017 appelé à celle du juge Curiel, d’origine mexicaine mais né aux États-Unis, accusé d’être un « Mexicain qui le haïssait à cause du mur de frontière ».
Ensuite, en 2023, Trump a réclamé la destitution du juge Engoron appelé à se prononcer sur les pratiques de fraude financière massive au sein de l’empire Trump.

6. Les juges fédéraux nommés à vie peuvent faire l’objet de la même procédure de mise en accusation que le président en cas de « trahison, corruption ou autres faits graves ».
Au cours de l’histoire des États-Unis, seuls quinze juges ont été mis en accusation (par la Chambre) et seulement huit ont été destitués (par le Sénat) pour alcoolisme ou fraude fiscale, pas pour la teneur de leurs décisions. En d’autres termes, cette procédure exceptionnelle n’a jamais été et ne saurait être mise en œuvre en cas de désaccord avec les décisions rendues par le juge.
C’est ce qu’a souligné John Roberts, le président de la Cour, intervenant une nouvelle fois dans le débat pour rappeler qu’en cas de désaccord avec une décision, il y a la voie normale de l’appel. Or, il est difficile de le ranger parmi les gauchistes : c’est lui qui a, entre autres, accordé une immunité quasi totale à Donald Trump dans la décision rendue par la Cour le 1er juillet 2024.

7. Son intervention est bien un signe de la gravité de la situation.
Le président de la Cour se sent obligé de rappeler l’indépendance de la justice, les juges ne pouvant être l’objet de menaces, de pressions et d’accusations diverses par les membres de l’administration et la blogosphère de droite.
Le Chief Justice Roberts avait déjà repris le président Trump en 2018, lui expliquant qu’il n’y avait pas de « juges Obama » ou de « juges Trump », mais des juges compétents et dévoués qui font de leur mieux pour appliquer le droit en toute justice. Puis, dans son rapport annuel rendu le 31 décembre 2024, le président de la Cour avait dénoncé les attaques personnelles contre les juges : « la violence, l’intimidation et la défiance sont totalement inacceptables car elles minent notre république et la primauté du droit ».

8. Ces remarques et menaces sont inacceptables dans un État de droit et un système de contre-pouvoirs (« checks and balances »), mais elles mettent le doigt sur une vraie difficulté. Le pouvoir judiciaire a été créée comme étant « le plus faible », expliquait Alexander Hamilton dans le Fédéraliste n° 78. Il ne dispose ni de l’épée (l’exécutif) ni du porte-monnaie (le législatif). Et donc, si l’exécutif viole la loi ou la Constitution et refuse d’exécuter ses décisions lui ordonnant d’agir ou de ne pas agir, il n’y a pas grand-chose que le pouvoir judiciaire puisse faire de lui-même.

La Cour suprême et le Congrès confrontés à l’action de Donald Trump

9. La Cour suprême a accepté de prendre plusieurs affaires en procédure d’urgence et a rendu des décisions, certes sur des motifs de procédure, allant dans le sens du président. Elles ont été « vendues » par l’administration Trump, comme des victoires politiques.
Il n’est donc pas certain que la Cour invalide certains des actes du président, même le décret qui prétend abolir le droit du sol par décret (et non un amendement à la Constitution), peut-être pour éviter une crise constitutionnelle si l’administration refuse de se plier à ses décisions.

10. Le Congrès est pour le moment aux ordres, mais il semble se réveiller sur la question des droits de douane. Non par désir de rappeler au président ses prérogatives constitutionnelles en matière de commerce international, mais parce que les électeurs expriment leur mécontentement de plus en plus fort. Ils ressentent, avec retard du fait de la désinformation massive, les conséquences néfastes des coupes tous azimuts, du démantèlement des agences qui leur apportent des services auxquels ils sont attachés, de l’inflation qui redémarre et de la bourse qui chute, affectant par là même leurs plans d’épargne-retraite.
Plusieurs sénateurs républicains ont tenté de revenir sur la délégation de pouvoir en matière de droit de douane. Le texte n’a aucune chance d’être adopté, mais c’est un signal fort que les élus ont entendu le message : les élections de mi-mandat sont dans un peu plus d’un an, en novembre 2026.

Et le peuple ?

11. Aux États-Unis, les sursauts viennent toujours de la base et du peuple. C’est à l’opinion publique de pousser les élus à agir et faire comprendre à l’administration Trump qu’elle doit respecter les valeurs de la primauté du droit (rule of law). Un obstacle majeur est qu’une large portion des Américains « s’informent » sur Fox News et la blogosphère de droite, qui véhiculent en permanence mensonges et insultes. Ce qui explique qu’il ait fallu attendre que les électeurs ressentent eux-mêmes dans leur vie et celle de leurs proches les effets des politiques de Trump.

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