
1. Dans ce livre dense, l’auteur propose une réflexion philosophique sur le concept de « justice restaurative » (l’expression « justice restauratrice » est également utilisée en Belgique).
Apparue d’abord dans le monde anglo-saxon, la justice restaurative est relativement peu connue du grand public. Toutefois, en 2023, le film « Je verrai toujours vos visages » de la réalisatrice Jeanne Herry a donné une visibilité plus large à cette pratique. Justice-en-ligne a d’ailleurs publié un article de Thérèse Jeunejean sur ce film : « Au cinéma : la Justice restaurative (ou ‘restauratrice’) ».
2. Qu’est-ce que la justice restaurative ?
D’après Antoine Garapon, cette forme de justice se fonde sur la réparation des victimes. Cette « réparation » vise à restaurer la personne dans son être intérieur c’est-à-dire au niveau de son intimité. L’objectif est de permettre à la victime de se reconstruire. Contrairement à l’activité des cours et tribunaux, aucun jugement n’est prononcé dans le cadre d’une procédure restaurative.
Ce type de démarche consiste en une rencontre (entre auteurs d’infraction et victimes) et non pas en un affrontement (entre l’accusation et la défense). D’après l’auteur, le but est d’élaborer ensemble « l’horreur des faits » afin de permettre aux victimes de tourner la page.
Les rencontres restauratives se déroulent généralement dans des locaux banals, loin du cérémonial judiciaire. Il est à noter que les procédures judiciaires classiques et restauratives ne sont pas exclusives l’une de l’autre, mais complémentaires.
3. Des processus de justice restaurative ont été mis en pratique dans des contextes variés. On peut citer : au Rwanda après le génocide des Tutsis, en France concernant les abus sexuels dans l’Église, en Afrique du Sud après la fin du régime d’apartheid ou encore en Belgique au niveau de la justice des mineurs.
4. Dans l’introduction du livre, l’auteur établit un parallèle entre les « crimes de masse » fruit d’une politique délibérée (par exemple le crime de génocide) et les « crimes massifs », qui, quant à eux, ne sont pas voulus par une institution, mais couverts par elle (par exemple, les abus sexuels dans l’Église). Ces deux types de crimes participent d’une logique de perversion des institutions et affectent l’existence même des victimes. L’enjeu pour ces dernières est alors de trouver les outils pour sortir de l’irréparable.
5. La première partie de l’ouvrage se centre sur la figure de la victime. Pour Antoine Garapon, la justice restaurative place la victime au cœur de la démarche. La victime ne doit pas être réduite à sa souffrance, il faut également prendre en compte son empêchement d’être.
Ses attentes ne sont pas toujours de l’ordre de la vengeance, mais davantage de la recherche d’innocence pour elle-même. Rendre justice ne doit donc pas se limiter à faire respecter les droits de chacun, mais bien à restaurer le sujet dans son intimité constituante lorsqu’elle a été violée.
La justice restaurative ambitionne également de sortir des impasses de la logique punitive. Lorsqu’un coupable est puni (amendes, prison, etc.) l’ordre public est peut-être apaisé, mais pas le drame intérieur de la victime. C’est grâce à une « déjudiciarisation » de la justice qu’il est possible de mieux prendre en considération l’intimité de la personne qui a souffert.
6. La deuxième partie du livre aborde la question de la réparation.
Comment réparer l’irréparable ? Selon Antoine Garapon, il faut sortir d’une vision comptable de la réparation. Si la justice pénale offre une réponse mesurable (en termes d’années de prison ou de dommages et intérêts), la justice restaurative se place au-delà de toute quantification. Elle vise plutôt à reconstruire la personne et à désapprouver les faits commis.
D’après l’auteur, la dignité de la personne humaine ne peut se calculer comme un prix. Dans le cadre d’une démarche restaurative, une « réunion-séparation » est organisée entre l’auteur et la victime. Ceux-ci sont placés autour de la table au même niveau ; ce qui compte ce n’est pas le rapport à la loi comme dans un procès classique, mais bien le rapport à l’autre.
Antoine Garapon relève que, dans de nombreux cas, les victimes souhaitent les aveux de la bouche même de l’agresseur plutôt que le châtiment. C’est alors la parole et non la peine qui est le principal organe de justice.
7. La troisième partie de l’ouvrage questionne le concept de « justice ».
D’après l’auteur, la justice restaurative offre un espace citoyen porteur de sens. Au sein de celui-ci, l’auteur prend conscience des dégâts qu’il a commis et redevient une figure humaine aux yeux de la victime.
Selon Antoine Garapon, la vérité ultime de la justice restaurative est de retrouver l’état initial d’innocence de la personne préjudiciée, c’est-à-dire de la reconstruire et de mettre fin à un destin funeste. Plus que la vengeance, cette forme particulière de justice cherche à dépasser collectivement la violence. Alors que le procès reproduit la violence à travers la peine, la justice restaurative permet un dépassement commun de celle-ci.
En proposant de « refaire un commencement », la démarche restaurative parvient à se hisser à la hauteur de crimes qui défient tout ordre juridique. En effet, celle-ci dépasse la difficile recherche d’équivalence entre, d’un côté, des actes gravissimes (tels les abus sexuels ou les crimes de masse) et, de l’autre, une sanction pénale.
8. Pour conclure, Antoine Garapon compare le processus restauratif à une forme de renaissance. Certaines victimes ayant participé à ce type de démarche rapportent avoir repris leur vie là où le crime l’avait arrêté.
Pour l’auteur, face à l’irréparable, la justice restaurative offre « aux victimes la possibilité de retrouver la continuité avec elles-mêmes et de rêver à nouveau ».