Pour réaliser des travaux, l’ambassade des États-Unis n’est pas exonérée des exigences imposées par le droit belge

par Michel Delnoy - 21 octobre 2022

Sur la « petite ceinture » à Bruxelles (boulevard du Régent), entre la rue de la Loi et la rue Belliard, se dresse l’ambassade des États-Unis à Bruxelles et, devant elle, le boulevard en question, faisant partie donc de la voirie publique, est occupé notamment par des grilles et des portiques installés par cette ambassade. Les trois permis obtenus pour cela ont été annulés par le Conseil d’État en raison de leur illégalité, ce qui montre que chacun, en ce compris les États-Unis, doit respecter les lois belges et reste soumis au contrôle des juridictions sur ce point.
Michel Delnoy, professeur à l’Université de Liège, avocat au barreau de Liège, nous résume cette affaire.

1. Contrairement à ce que l’on pourrait croire et à ce que l’on entend dire souvent, l’ambassade d’un pays étranger présente en Belgique ne bénéficie pas d’un statut d’extraterritorialité : certes protégée par un statut d’inviolabilité résultant de l’article 22 de la Convention de Vienne ‘sur les relations diplomatiques’, elle n’en reste pas moins située sur le sol belge et est soumise aux lois, décrets et règlements qui sont d’application en Belgique.
Cela vaut évidemment a fortiori quand l’ambassade en question souhaite réaliser des travaux sur la voirie publique qui permet d’y accéder : elle doit, pour ce faire, obtenir les mêmes autorisations administratives que n’importe qui d’autre souhaitant réaliser des travaux sur une voirie publique en Belgique.

2. L’ambassade des États-Unis n’échappe pas à ce qui vient d’être dit.
Ainsi, pour installer les grilles et portillons de sécurité présents devant son bâtiment sur le boulevard du Régent – voirie publique relevant de la Région de Bruxelles-Capitale –, elle a dû obtenir pas moins de trois autorisations délivrées par des autorités belges :

  1. une « permission de voirie », délivrée par l’administration régionale bruxelloise, pour autoriser l’emprise des installations sur le domaine public ;
  2. un « permis de stationnement », délivré par l’autorité communale, pour autoriser la suppression de la circulation publique sur la portion concernée du boulevard du Régent ;
  3. un permis d’urbanisme, délivré par le fonctionnaire délégué de l’urbanisme (un fonctionnaire de la Région de Bruxelles-Capitale), pour autoriser la construction des installations de sécurité concernées.

3. Malheureusement pour l’ambassade, des riverains, se plaignant de divers inconvénients résultant des installations en question, ont introduit des recours devant le Conseil d’État pour obtenir l’annulation de ces trois autorisations.
Par trois arrêts rendus le 17 février 2022 (nos 253.015, 253.016 et 253.017, Huylebrouck et Jacobs), le Conseil d’État a accédé à leur demande et annulé les trois autorisations, en considérant que :

  • la permission de voirie ne respectait pas l’obligation légale d’être assortie d’une justification circonstanciée de son octroi (à savoir une obligation de motivation formelle adéquate, découlant de la loi du 29 juillet 1991 ‘relative à la motivation formelle des actes administratifs’), dans la mesure où les considérants qui y apparaissaient « ne permettaient pas de déceler les motifs pour lesquels l’autorité avait jugé opportun d’autoriser une utilisation privative d’une portion du domaine public régional » ;
  • le permis de stationnement avait été délivré par le collège des bourgmestre et échevins de la ville de Bruxelles, alors que c’était le bourgmestre qui était compétent pour le faire (articles 135, § 2, et 133, alinéa 2, de la Nouvelle loi communale) ;
  • « à défaut d’une autorisation domaniale adéquate », le permis d’urbanisme « méconnaissait l’affectation de la voirie, telle qu’elle était d’ailleurs prévue au [plan régional d’affectation du sol] » (un permis d’urbanisme doit être conforme aux plans d’aménagement du territoire, ici le plan régional d’affectation du sol ; on ne comprend cependant pas la référence faite au défaut d’autorisation domaniale, qui semble contraire au principe d’indépendance des polices administratives, continuellement rappelé par le Conseil d’État).

4. On le voit, ni la puissance des États-Unis d’Amérique, ni leur force de conviction, ni la qualité de leurs relations avec la Belgique, ni la considération que « l’hospitalité de la Belgique, et celle de la Région de Bruxelles-Capitale en particulier, recommande[nt] que soient pris en compte les souhaits de ses hôtes en matière de sécurité, qui constitue[nt] ici une préoccupation légitime et objective » (il s’agit là de l’un des motifs de justification de la délivrance du permis d’urbanisme par le fonctionnaire délégué), n’ont permis à l’ambassade des États-Unis d’être traitée différemment de tout porteur de projet en Belgique, qui doit se soumettre à la multiplicité des autorisations administratives requises, aux réactions défavorables des riverains exprimées dans l’exercice de leur droit au recours et au contrôle du respect de la loi par un juge indépendant.

5. Reste évidemment à voir les suites concrètes qui seront réservées à ces annulations : délivrance de nouvelles autorisations, enlèvement volontaire des installations par l’ambassade, enlèvement forcé des installations par les autorités nationales ? Il n’est cependant pas exclu de penser que cette vérification restera sans objet, vu les rumeurs de déménagement de l’ambassade US … qui ne devrait sans doute pas déplaire aux requérants.

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