Dire le droit et être compris

par Damien Vandermeersch - 10 juin 2010

" Vu les pièces de la procédure,
Ouï les explications et les moyens de défense du prévenu ;
Vu les conclusions déposées par Me D., avocat du prévenu ;
Ouï M. T. substitut du procureur du Roi, en ses résumés et conclusions ;
Ouï les répliques du prévenu,
Attendu que la prescription de l’action publique a été régulièrement suspendue depuis l’expiration du délai ordinaire d’opposition jusqu’au jour de la signification de l’opposition déclarée recevable…
" (extrait d’un jugement du tribunal correctionnel).

Bon Dieu, quel charabia, tout cela !

La lecture d’un jugement ou d’un exploit d’huissier de justice est souvent un exercice fastidieux, même pour un juriste : il faut lire le texte à deux ou trois reprises pour être sûr d’en avoir bien saisi le contenu et la portée.

Le justiciable est pourtant le premier concerné par les actes judiciaires. Or, la plupart du temps, il doit appeler à la rescousse les professionnels pour se faire expliquer ce que le juge ou l’huissier a voulu lui dire.

La justice, faut-il le rappeler, est un service public qui devrait être accessible à tous. Trop souvent, les magistrats, les avocats, les huissiers l’oublient en utilisant un langage ("un jargon") que seuls les initiés comprennent.

Comment un justiciable peut-il répondre de façon adéquate à la justice s’il ne comprend même pas ce qu’on lui veut ? Comment peut-il accepter une décision du juge s’il ne saisit pas ce qui a été décidé ?

Face aux critiques formulées, à juste titre, à l’encontre d’un langage judiciaire trop peu compréhensible pour le public, des magistrats, des criminologues et des linguistes se sont réunis, sur l’initiative de l’Association syndicale des magistrats, pour réfléchir sur la question et offrir un outil pratique pour simplifier le langage judiciaire.

Le travail de cette équipe pluridisciplinaire se retrouve synthétisé dans la publication intitulée "Dire le droit et être compris – Vade-mecum pour la rédaction d’actes judiciaires", dont le Tome I est consacré à la rédaction des actes judiciaires en matière civile (tome I. Civil, Bruylant, 2003, 112 p.) et dont le tome II consacré au droit pénal vient de sortir de presse (Bruylant, 2010, 186 p.).

Ces deux ouvrages destinés aux praticiens du droit les invitent à revoir la façon dont ils rédigent et présentent les actes judiciaires afin de les rendre davantage accessibles à leurs destinataires.

Ainsi, à la simple lecture du jugement, les parties doivent avoir le sentiment qu’elles ont été entendues au cours du procès et que la décision du juge a été mûrement pesée et réfléchie. Ce n’est qu’à ces conditions que la décision, pour autant qu’elle soit elle-même comprise, peut être acceptée comme « juste ».

S’il est nécessaire que les acteurs de justice s’expriment de façon précise et rigoureuse, cette exigence n’est pas incompatible avec l’utilisation d’un langage plus « lisible » pour les justiciables. C’est en tout cas le défi que ces ouvrages invitent à relever.

Car utiliser un langage accessible à son interlocuteur, n’est-ce pas tout simplement savoir communiquer et éviter de multiples malentendus ?

Mots-clés associés à cet article : Langage judiciaire,

Votre point de vue

  • Djunel Barthelemy
    Djunel Barthelemy Le 3 juin 2021 à 01:18

    Merci pour le texte

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  • Cassub
    Cassub Le 29 mai 2015 à 22:26

    Conciliateur de justice et à ce titre en contact avec des interlocuteurs de tous âges, cultures, milieux sociaux je tente de comprendre et faire comprendre, j’incite au dialogue et tente de le faire vivre. Pas facile. Mais cela devient impossible si l’on adopte le langage, voire la posture, des juristes. Je suis déçu de voir certains confrères adopter ce langage, justement dénoncé. L’entre-soi du monde judiciaire est un scandale. Bravo à tous ceux qui mettent le langage au service des hommes, de la compréhension, au service de la pensée et de l’action. Un langue qui doit libérer et non asservir, relier et non cliver.

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  • cp
    cp Le 11 juin 2010 à 08:54

    Je suis entièrement d’accord avec cet article : simplifions le language judiciaire, ce que sera bénéfique pour tout le monde ! (justiciables, mais AUSSI acteurs du monde judiciaire qui, avouons le, ont parfois bien du mal à comprendre certains actes de la pratique, trop souvent alambiqués, mal formulés, ou inutilement compliqués dans leur rédaction !

    Et cela ne signifie nullement, comme l’opposent certains, que l’on doive sacrifier la précision et la rigueur du language juridique pour autant.

    J’ai pris connaissance avec grand plaisir du résultat du travail de l’ASM sur le sujet, et j’ai pu découvrir des tas d’exemples de mauvaises formulations avec, à chaque fois, des propositions de reformulations...Edifiant et, osons le dire, rafraîchissant !

    Loin des lourdeurs languagières et du style pompeux venus tout droit d’un autre temps, le style n’en est que plus agréable à lire et plus simple à comprendre.

    Cela ne signifie évidemment pas, comme le dénoncent certains, que les justiciables pourront faire l’économie d’un avocat parce que, tout d’un coup, il auraient tout compris et pourraient tout décoder d’eux-même, mais bien qu’ils comprendront, à la lecture d’un jugement, de quoi on parle, qui est concerné, et quelle est, en substance, la décision prise par le Tribunal.

    La Justice est au service des justiciables, pas le contraire, ne l’oublions pas.

    Bravo, en tous cas, pour cette belle initiative !

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Damien Vandermeersch


Auteur

Avocat général à la Cour de cassation et professeur à l’Université catholique de Louvain et à l’UCLouvain-Saint-Louis-Bruxelles

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