Lorsqu’une loi avantage indûment une catégorie de personnes par rapport à une autre, cette loi est contraire au principe d’égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution. Il revient à la Cour constitutionnelle de constater cette violation, et d’annuler ou d’invalider la disposition discriminatoire. Telle est la mission qui lui a été confiée par le constituant. Le juge (une juridiction judiciaire ou le Conseil d’État par exemple) qui constate que Pierre jouit d’un droit ou d’un avantage légal qui n’est pas accordé à Jean va donc interroger la Cour constitutionnelle pour l’inviter à contrôler la compatibilité de cette différence de traitement avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Jean peut également (dans certaines conditions) saisir lui-même la Cour constitutionnelle pour lui demander de constater la discrimination. Imaginons que la Cour constitutionnelle convienne qu’effectivement Jean est discriminé par rapport à Pierre. Deux possibilités de réparer cette discrimination se présentent : soit on retire à Pierre l’avantage qu’il avait, soit on accorde à Jean le même avantage qu’à Pierre. Dans les deux cas, Pierre et Jean sont traités de la même manière. Dans les deux cas, l’égalité est rétablie. Mais, pour Jean comme pour Pierre, le choix de l’une ou de l’autre de ces solutions a des conséquences opposées.

Le législateur peut choisir de rétablir l’égalité « par le haut » (le même avantage pour Jean que pour Pierre) ou « par le bas » (aucun avantage, ni pour Pierre, ni pour Jean). En revanche, les juges ne peuvent décider de retirer des droits ou des avantages à certaines personnes, au motif que d’autres personnes devraient en jouir de la même façon. Lorsque la Cour constitutionnelle constate qu’une loi est contraire au principe d’égalité en ce qu’elle ne concerne pas telle catégorie de personnes, elle constate ce que l’on appelle une lacune discriminatoire. Il revient alors au juge à qui s’adresse ce constat, en l’absence d’intervention législative, de corriger la discrimination en incluant dans le champ d’application de la loi la catégorie qui en était injustement exclue. Ainsi, par exemple, tout récemment, un arrêt n° 79/2010 du 1er juillet 2010 de la Cour constitutionnelle lire l’arrêt, après avoir constaté que la loi était incomplète en n’offrant pas à une catégorie de personnes le recours devant le Conseil d’Etat ouvert généralement à tous les citoyens contre des actes comparables, conclut qu’« [é]tant donné que la lacune constatée est située dans le texte soumis à la Cour, il appartient au juge [devant lequel l’affaire est renvoyée] de mettre fin à l’inconstitutionnalité constatée par la Cour, dès lors que ce constat est exprimé en des termes suffisamment précis et complets pour permettre que la disposition en cause soit appliquée dans le respect des articles 10 et 11 de la Constitution » (B.8).

Il faut préciser toutefois que, si le comblement de la lacune avait pour effet de créer une nouvelle incrimination pénale, c’est-à-dire de prévoir que tel comportement est nouvellement punissable par une juridiction pénale, le juge ne pourrait procéder à pareil comblement : seul le législateur est habilité par la Constitution à créer des infractions.

Il est donc exact de dire que la Cour constitutionnelle complète la loi, ou à tout le moins qu’elle invite les juges chargés d’appliquer cette loi à la compléter. Par contre, en faisant cela, elle ne donne pas d’injonction au législateur, celui-ci demeurant libre, sous réserve du respect des droits fondamentaux, de faire disparaître la discrimination constatée de la façon qui lui paraît la plus opportune. Le législateur ne pourrait toutefois pas faire disparaître une loi nécessaire à la garantie d’un droit fondamental ; par exemple, il ne pourrait supprimer le système d’aide de l’État devant les tribunaux, sous peine de violer le droit d’accès à ces derniers, lié au droit au procès équitable.

Toute autre solution conduirait les juges à retirer des avantages ou des droits à des catégories de personnes à qui le législateur les a pourtant octroyés et qui n’auraient même pas eu l’occasion de se défendre. Or, la Cour constitutionnelle n’a pas été instituée pour diminuer le niveau global des droits dont jouissent les citoyens ! Le comblement d’une lacune par un juge, lorsque le caractère inconstitutionnel de cette lacune a été constaté par la Cour constitutionnelle, ne constitue pas une ingérence dans le domaine du législateur plus grave que celle qui résulte de l’annulation ou de l’invalidation d’une disposition législative. Dans les deux cas, bien sûr, une autorité juridictionnelle corrige la loi, soit en la biffant partiellement, soit en la complétant. On ne voit pas comment la Cour constitutionnelle pourrait accomplir autrement la mission qui lui a été confiée par la Constitution. Il n’en demeure pas moins que le législateur, qui peut intervenir à tout moment pour corriger, compléter, défaire ou refaire la loi, garde un pouvoir d’appréciation intact, sous réserve de ce qu’il doit traiter Pierre et Jean de manière égale et qu’il doit respecter les droits fondamentaux dont ils jouissent l’un et l’autre en vertu des textes supérieurs, spécialement la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme.

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