La Chambre a adopté le projet de loi "Salduz", ce 20 juillet 2011

par Jean-Claude Matgen - 5 août 2011

Comme le dossier de Justice-en-ligne dans lequel le présent article vient s’insérer l’a déjà exposé, le 27 novembre 2008, la Cour européenne des droits de l’homme décrétait dans son arrêt « Salduz contre Turquie » qu’un suspect doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat.

Selon elle, un suspect se trouve dans une situation vulnérable ne pouvant être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat. Elle considérait « qu’il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes, faites lors d’un interrogatoire subi sans assistance d’un avocat, sont utilisées pour fonder une condamnation ».

A compter de cet arrêt, suivi par d’autres qui allaient dans le même sens, la Belgique se devait d’adopter un loi consacrant ces principes.

C’est désormais chose faite puisque, le mercredi 20 juillet, la Chambre a adopté le projet de loi relatif à la consultation et l’assistance obligatoire d’un avocat en cas d’audition et de privation de liberté.

Après ce vote, il s’agira de mettre en place les conditions matérielles et humaines de la mise en œuvre de la loi. Il était prévu que celle-ci entre en vigueur le 1er octobre mais un amendement a été adopté qui repousse cette date au plus tard au 1er janvier 2012 tout en n’empêchant pas que certaines dispositions soient concrétisées plus tôt. L’allongement du délai d’entrée en vigueur a été décidé après que la police fédérale eut fait état des difficultés qu’elle rencontre à organiser pratiquement l’audition d’un suspect au commissariat en présence d’un avocat.

Le parcours législatif de ce texte a été long et compliqué. Le gouvernement étant en affaires courantes, le ministre de la Justice, le CD&V Stefaan De Clerck, confia à la commission Justice du Sénat le soin d’avancer.

Son travail consista à faire la synthèse des propositions de loi existantes, de la note que lui avait transmise M. De Clerck et des nombreuses auditions qu’elle avait recueillies pendant l’automne 2010.

Pour les sénateurs, les choses étaient claires. Si le législateur ne prenait pas ses responsabilités, le risque était grand de voir fleurir les procès en responsabilité de l’Etat mais aussi de voir les parties civiles se heurter à des décisions judiciaires prononçant la nullité des poursuites et à des dépassements de délai de prescription en matière civile.

Il était également utile de mettre fin à une certaine forme de cacophonie. En effet, dans divers arrondissements, les barreaux et les autorités judiciaires n’avaient pas attendu le vote d’une loi pour mettre en place des formules d’assistance d’un suspect entendu par le juge d’instruction, sur la base d’un engagement bénévole d’un certain nombre d’avocats.

Ces initiatives furent longtemps diversement commentées. Louées là où elles avaient fleuri, elles furent critiqués par ceux qui craignaient l’installation d’une justice à deux vitesses et des entorses au principe du secret de l’instruction.

Quoi qu’il en fût, l’urgence d’obtenir le vote d’une loi fut encore soulignée par un arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2010. Appliquant l’arrêt Salduz, elle jugea ce jour-là que l’abbé Robert Borremans devait être rejugé. L’abbé avait été condamné à deux reprises, par le tribunal correctionnel de Bruxelles puis par la cour d’appel de Bruxelles, à cinq ans de prison, avec sursis probatoire partiel, du chef de viol et d’attentat à la pudeur commis avec violences et menaces sur la personne de son filleul. La Cour de cassation estima, en substance, que la cour d’appel de Bruxelles n’avait pas le droit d’utiliser, à titre de preuve de sa culpabilité, les déclarations auto-incriminantes (autrement dit les aveux) faites devant le juge d’instruction par l’abbé Borremans… alors qu’il était privé de l’assistance d’un avocat.

Dans la foulée, l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG) décidait d’assigner l’Etat belge devant les tribunaux afin que la loi Salduz soit votée sans délai.

C’est qu’après plusieurs mois d’un régime de permanences bénévoles, l’OBFG et son pendant néerlandophone exigeaient l’installation d’un régime d’indemnisation, dans le cadre de l’aide juridique. Cela ne s’est pas fait : d’où l’assignation mais aussi la suspension des permanences depuis le 1er juillet 2011. Barreaux, parquets et polices continuent toutefois à se parler.

Pour en revenir au volet législatif des choses, le projet de loi une fois voté au Sénat partit à la Chambre, où il fut amendé. D’où retour au Sénat et vote d’un texte à nouveau amendé. Et renvoi, définitif celui-là, vers la Chambre pour le vote ultime le 20 juillet.

En vérité, et pour faire court, Sénat et Chambre ne voyaient pas du même œil la question de la validité de la preuve recueillie au cours de l’audition d’un suspect privé d’avocat. En gros, le Sénat, se basant sur la jurisprudence de la Cour de Cassation, considérait que les juges, pour condamner un prévenu ou un accusé, ne pourraient utiliser de façon exclusive un élément de preuve recueilli au cours d’une audition réalisée sans l’assistance d’un avocat mais que la procédure ne serait pas menacée si d’autres éléments déterminants que celui révélé au cours de l’audition contestée étaient mis au jour.

La Chambre, suivant en cela le Conseil d’Etat, considérait, elle, qu’un élément de preuve recueilli alors que le suspect est entendu hors la présence d’un avocat ne pourrait en aucun cas être utilisé par le juge pour fonder une condamnation. Finalement, la Chambre a fini par se ranger aux arguments des sénateurs.

La mise en oeuvre de la Salduz coûtera cher à l’Etat belge. Plusieurs journaux ont évalué à 55 millions d’euros le montant nécessaire pour que les zones de police puissent organiser les auditions.

A quoi devraient ajouter 23 millions d’euros en heures supplémentaires. Le montant nécessaire pour indemniser les avocats dans le cadre de l’aide juridique sera, quant à lui et d’après le ministre de la Justice, de 30 millions d’euros par an.

Votre point de vue

  • patrick H.
    patrick H. Le 28 septembre 2011 à 19:14

    Des de problèmes sont déjà à relever dans la loi dite SALDUZ, avant même son entrée en vigueur. La loi Salduz impose trois niveaux de droits dans les auditions :
    1er niveau : les droits pour tous types d’audition, c-à-dire pour les témoins, victimes et suspects
    2ième niveau : les droits réservés aux suspects non privés de leur liberté
    3ième niveau : les droits réservés aux suspects privés de leur liberté

    La loi stipule que toute personne, qui, en cours d’audition, révèle des faits susceptibles de faire l’objet d’une privation de liberté, appartient d’office au 3ième niveau de droits ; dont celui d’un entretien confidentiel et préalable avec son avocat ainsi qu’à la présence de l’avocat pendant son audition.

    Il y a là un bât qui blesse dans la mesure où il n’y a pas de distinction entre le flagrant délit et le non-flagrant délit. En effet, en cas de découverte d’un flagrant délit en cours d’audition, l’OPJ ou le magistrat peut priver de liberté et il est logique que le suspect bénéficie des droits de niveau 3. Par contre, hors flagrant délit, les policiers ne peuvent priver de liberté (sauf fuite art.2 de la loi sur la détention préventive). Ils doivent aviser le Magistrat qui seul décide OUI ou NON de la privation de liberté. Or avec Salduz, si le magistrat décide de ne pas priver de liberté le suspect, les policiers seront quand même obligés de faire appel à l’avocat qui devra d’office être présent alors que son client ne sera pas mis à disposition.

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