La vérité en procès : quelques concepts à définir (au terme du colloque « La vérité en procès » des 8 et 9 décembre 2011)

par Martyna Fałkowska-Clarys - 3 février 2012

Comme Justice-en-ligne l’a annoncé en son temps (cliquez ici), l’Université libre de Bruxelles a mis sur pied, ces 8 et 9 décembre 2011 un colloque, intitulé « La vérité en procès », avec en sous-titre « Le juge et la vérité politique ».

Voici quelques réflexions en guise de compte rendu de cette manifestation. Elles nous sont offertes par Martyna Fałkowska, Doctorante au Centre de droit international de l’Université Libre de Bruxelles (l’auteur est doctorante, boursière de l’ULB, et sa recherche doctorale s’inscrit dans le cadre de l’Action de recherche concertée « Le juge, un acteur en mutation », lancée à la faculté de droit de l’ULB en octobre 2010).

Un lien audio vers les exposés et débats tenus pendant le colloque est disponible à l’adresse suivante : www.arcdroit.ulb.ac.be/Archives_Colloque_verite.html

Le « colloque vérité », comme l’appellent familièrement les organisateurs, a été l’occasion non seulement de débattre de la question du rôle du juge dans la société à différents moments de l’histoire mais également de réfléchir sur le concept de juge et celui de justice aux yeux de ceux qui l’érigent en une sorte de notaire de l’histoire, pour reprendre l’expression utilisée par l’un des discutants du colloque.

Des questions

Voici, pour prolonger les débats entamés lors du colloque, quelques-unes des questions avancées et quelques propositions. Quel est ce rôle que l’on attribue au juge dans l’établissement de la vérité ? Est-il légitime pour le juge de l’endosser ? Les juridictions constituent-elles les meilleures enceintes pour établir, déclarer ou donner vie à la vérité ? Une vérité judiciaire est-elle constitutive de la vérité ?

Face à tant d’interrogations, une seule donnée est certaine : les sociologues, les anthropologues, les politologues, les historiens, les philosophes ainsi que les juristes – qu’ils soient académiques ou praticiens – s’accordent tous sur le fait que le juge joue un rôle dans l’établissement de la vérité. Bien qu’à première vue cela puisse sembler évident, dès que l’on se penche sur les concepts contenus dans cette dernière affirmation, l’affaire a quelque peu tendance à se compliquer. En effet, rien n’est moins établi que la portée des termes « juge », « rôle » et « vérité ». Comme l’a fait remarquer l’un des discutants, les guillemets sont très utiles lorsqu’on utilise un terme sans en saisir tout à fait la portée ou qu’on cherche à en souligner une signification peu orthodoxe. C’est exactement le cas ici, étant donné que les notions précitées peuvent prendre des acceptions diverses, plus ou moins larges et précises. Dans les lignes, nous tenterons de définir ces concepts dans le contexte des réflexions liées au thème du colloque. Ceci nous permettra, espérons-le, d’enlever progressivement les guillemets et de jeter un peu de lumière sur les thématiques abordées.

Le « juge »

Puisqu’il faut traiter du rôle qui est le sien, il est nécessaire de pouvoir identifier ce « juge » qui se voit attribuer le rôle central du débat qui nous occupe. Il faut voir le juge comme une figure quelque peu abstraite, différente de la figure humaine qui se cache derrière la toge. L’on vise plutôt le juge comme institution comme partie intégrante d’une juridiction, elle-même étant une composante d’un système judiciaire, qu’il soit national ou international. Certes, l’existence d’un véritable système judiciaire international est à débattre mais l’on peut percevoir les juridictions pénales internationales, notamment le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone ou encore la Cour pénale internationale, comme des enceintes privilégiées pour faire acter la « vérité » sur les responsabilités pour les crimes de masses dont ces instances sont appelées à juger.

La notion de « juge » ne doit dès lors pas être appréhendée uniquement au sens classique du terme. Des institutions ou organismes divers, tels les « commissions de vérité et réconciliation » ou les « tribunaux populaires », sont créés, dans le but précis de débattre de questions traditionnellement traitées par le « juge », et ce parfois même en empruntant les outils qui sont les siens, à savoir le droit et la procédure. Ces instances quasi-juridictionnelles, en s’appropriant les rituels de la justice et la fonction judiciaire, légitiment leur activité qui est, en soi, un acte de nature politique. Ceci est surtout vrai pour les « tribunaux populaires », nés des revendications de la société civile, dont l’existence même permet de mettre en avant le caractère instrumental et ritualisé de la justice.

Ainsi, la notion de « juge » prend une portée non seulement juridique mais également sociale, voire sociétale. Ces différentes facettes ne s’excluent pas nécessairement puisque la « justice » – au sens large – est un acteur sollicité pour se prononcer sur la « vérité » à des époques diverses dans des contextes caractérisés par des régimes politiques ou des mœurs variés. En effet, le colloque a été parfois l’occasion de traverser l’histoire : l’on a pu toucher aux procès relatifs à l’Inquisition, au créationnisme ou encore au jugement de Marie-Antoinette, mais aussi aux considérations liées aux affaires contemporaines de négationnisme, aux crimes de masse devant les juridictions nationales et internationales ou encore devant les différents avatars judiciaires déjà mentionnés. Le point commun de ces contextes à première vue si distincts est que, dans chaque cas, l’on mobilise le « juge » pour qu’il établisse la « vérité », ce qui montre que la mise en scène judiciaire laisse transparaître des enjeux collectifs, symboliques, voire politiques plus ou moins cachés par ailleurs. Parfois, et l’on ne peut s’empêcher de penser au procès de Marie-Antoinette ou aux affaires de négationnisme, où de véritables stratégies politico-sociales sont en jeu. Dans ce dernier cas, l’on demande au juge de se prononcer selon un canevas déjà préétabli, le législateur ayant déjà entériné une conception non seulement des faits mais également du rôle du juge, qui se doit de sanctionner les prises de positions et actes contraires auxdits faits. Ce que l’on attend d’un « juge » est indubitablement lié aux intérêts de celles et ceux qui se tournent vers lui pour faire entendre leurs allégations. C’est à ce stade que se pose la question du « rôle ».

Le « rôle »

Définir le « rôle » du juge implique de s’interroger sur les attentes des différentes parties à une instance, à savoir notamment, les victimes, le procureur, la société civile ou encore les autorités, etc. La fonction et la place du juge dans l’établissement de la « vérité » varie selon que ladite « vérité » (s’)est déjà imposée ou si celle-ci n’est encore nullement connue et doit être découverte.

Le juge se trouvant face à une vérité établie en amont, n’aura plus qu’à s’y référer. Il peut adopter différentes positions face à cette donnée déjà connue. Ainsi, il pourrait s’y soumettre et, partant, la confirmer l’on pense ici notamment aux procès pour négationnisme , il pourrait tenter de la contredire ou y apporter des nuances.

Lorsque le juge est mobilisé pour établir ou même donner vie à une vérité, la tâche est tout autre. L’on ne dispose plus d’un canevas préétabli et c’est au juge de construire une vérité. Certains intervenants du Colloque parlaient de construire l’Histoire à partir d’une micro-histoire d’un seul individu. En ce qui concerne les tribunaux pénaux internationaux, l’on assiste à l’utilisation de techniques de mise en collectif de plusieurs responsabilités individuelles, accompagnées d’une logique d’individualisation ou atomisation. En effet, l’on va juger des individus pour des crimes dont le caractère « massif » peut, selon nous, être appliqué aussi bien aux victimes qu’aux auteurs.

Dans le cadre des procès argentins sur les disparitions forcées opérées sous le régime de la junte militaire, la société civile a poussé les juridictions à établir une vérité factuelle sur les faits et sur le sort des victimes, chargeant le juge de « produire » la vérité dans une enceinte de parole organisée et publique.

Le juge devra ainsi se positionner par rapport soit à sa fonction déclarative (ou déclaratoire), soit à celle de construction ou production d’une vérité. Certains intervenants du colloque parlaient de « verrouiller » la vérité, comme si le fait de pouvoir se référer à une décision judiciaire par rapport à une certaine situation impliquait nécessairement qu’aucune autre vision n’en était possible. D’autres ont remis cette idée en question en insistant sur le caractère incertain de la portée du terme « vérité ».

La « vérité »

Qu’est donc cette « vérité » dont on parle depuis le début et qui a été le concept central du colloque ?

C’est ici que les choses se compliquent encore.

Doit-on parler de la vérité ou d’une vérité ? Un nom commun étant souvent accompagné d’un adjectif, quel serait le qualitatif à attribuer à ce concept : vérité judiciaire, historique, factuelle, religieuse ou encore officielle, voire dogmatique ? Il suffit de comparer les procès d’Inquisition à ceux pour génocide devant les juridictions pénales internationales pour se rendre compte que la vérité n’a pas la même acception. Dans le premier cas, le juge se trouve face à une vérité établie en amont à laquelle il n’a plus qu’à se référer et qui sera son canevas de réflexion. Dans le second, comme cela a été le cas dans les affaires relatives au massacre de Srebrenica devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, l’on demande l’établissement d’une vérité factuelle sur le sort des victimes et judiciaire sur l’existence d’un crime pouvant être qualifié de génocide.

En conclusion

Nous le voyons, la vérité à établir dépendra du « rôle » que les acteurs du processus judiciaire ou judiciarisé concéderont au « juge » et de la fonction que ce dernier voudra ou pourra endosser. On en revient donc, in fine, à la case de départ : des interrogations subsistent et les guillemets reviennent.

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