Clochemerle au Conseil d’Etat : le contentieux des élections communales

par Jérome Sohier - 4 novembre 2012

Nous avons élu nos conseillers communaux le 14 octobre dernier.
Mais ces élections ont-elles été régulières ? Et qui juge de cette régularité ?

Cela se passe en deux étapes : d’abord devant le collège provincial en Région wallonne, le collège juridictionnel à Bruxelles et le collège provincial des contestations électorales en Flandre ; ensuite devant le Conseil d’Etat.

Jérôme Sohier, avocat au barreau de Bruxelles, maître de conférences à l’Université libre de Bruxelles, nous explique comment cela se passe, sans oublier le contrôle exercé sur la limite des dépenses électorales et le type de propagande mise en œuvre.

1. La Constitution belge a, depuis toujours, témoigné d’une grande confiance envers l’institution communale, en lui attribuant une compétence exclusive pour tout ce qui relève de l’intérêt communal et en conférant à ses élus le mandat électif le plus long (six ans) par rapport à toutes les autres assemblées parlementaires du pays.

Il reste que les élections communales gardent une mauvaise réputation. Plus que partout ailleurs, c’est dans les communes que les majorités politiques sont parfois toutes puissantes, que le contrôle politique et populaire est en conséquence moins pénétrant et que, Clochemerle aidant, les inimitiés partisanes ou personnelles y sont les plus vivaces. Des abus et des fraudes se rencontrent à chaque scrutin au sein de l’une ou l’autre entité : tantôt ce sont prétendument des morts qui ont voté pour une liste du bourgmestre, tantôt ce sont les candidats inscrits sur une liste qui ont appris, après l’élection, qu’ils étaient présentés sur cette liste, tantôt c’est le bourgmestre qui offre des abonnements gratuits à la piscine communale en pleine période électorale ! Toutes raisons suffisantes pour que le législateur ait confié, dès l’origine, le contrôle de la validité des opérations électorales à un organe juridictionnel tiers qui est le Conseil d’Etat. Ainsi, les mandataires communaux sont les seuls à ne pas disposer du pouvoir de valider eux-mêmes leurs pouvoirs, à l’instar des parlementaires fédéraux, communautaires et régionaux.

2. C’est ainsi que le contentieux des élections communales présente la particularité de réapparaître tous les six ans et de charger la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat de toute une série d’affaires, parfois fort délicates, où il exerce une compétence dite « de pleine juridiction », conformément à l’article 16 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat. Il dispose en cette occasion, non plus, comme dans la plupart des affaires qui lui sont confiées, d’une compétence restreinte à un pouvoir d’annulation, mais bien des prérogatives complètes d’un juge, qui lui permettent notamment de valider ou non une élection, de désigner les élus ou d’ordonner la déchéance de leur mandat. En cas d’irrégularité, ce n’est donc pas nécessairement l’invalidation complète d’une élection qui est décidée, avec comme suite l’obligation de réorganiser celle-ci ; en fonction du vice constaté, ce sont des meures plus limitées que peut décider le Conseil d’Etat, comme la redistribution des sièges par exemple.

3. Ce contentieux de pleine juridiction se distingue, par ailleurs, de la procédure en annulation à plusieurs égards, notamment l’absence de toute « partie adverse » et l’existence de délais impératifs spécifiques : le recours doit être introduit dans un bref délai de huit jours à dater de la notification de la décision de la juridiction administrative, suivi d’un délai similaire de huit jours à disposition de « toute personne pouvant justifier d’un intérêt » pour envoyer un mémoire en réponse au Conseil d’Etat, après le premier jour de l’affichage de l’avis du recours à la maison communale ; quant au Conseil d’Etat, un délai de soixante jours lui est imparti pour prononcer son arrêt, à dater de l’introduction du recours (ce délai de soixante jours ne constitue qu’un délai « d’ordre », ce qui veut dire que le Conseil d’Etat tente de respecter dans la mesure du possible sans que le dépassement de celui-ci n’ait une quelconque incidence sur la régularité de l’arrêt).

4. Il faut rappeler ici que le contentieux des élections communales est confié, en première instance, à des juridictions administratives, qui varient de région à région : le collège provincial en Région wallonne (anciennement la députation permanente), le collège juridictionnel de la Région de Bruxelles-Capitale (composé de neuf membres désignés par le parlement régional, sur proposition de son gouvernement) en Région bruxelloise et un collège provincial des contestations électorales (composé de trois membres nommés par le gouvernement régional) en Région flamande.

5. La décision de la juridiction administrative est susceptible de recours devant le Conseil d’Etat mais, à la différence une nouvelle fois de ce qui est prévu dans les affaires ordinairement confiées au Conseil d’Etat au contentieux dit de l’annulation, il importe peu que la décision mise en cause (à savoir celle du collège provincial, du collège juridictionnel ou du collège provincial des contestations électorales) soit elle-même irrégulière : ce n’est en effet pas celle-ci qui est jugée mais bien l’élection elle-même et l’arrêt du Conseil d’Etat se substitue en tout état de cause à celle faisant l’objet de l’appel.

Ceci implique que les moyens pris, par exemple, du défaut de motivation adéquate ou de l’erreur manifeste d’appréciation dans le chef de la juridiction de première instance, d’une violation de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs ou de la partialité de cette même juridiction en raison de sa composition politique sont écartés, dès lors qu’ils sont étrangers à la validité des élections elles-mêmes.

6. La jurisprudence du Conseil d’Etat au contentieux électoral communal se montre, dans l’ensemble, assez restrictive et n’aboutit, dans la pratique, à une annulation des élections que de manière tout à fait exceptionnelle.

Les irrégularités susceptibles d’entraîner l’annulation des élections sont limitées à celles qui ont réellement porté atteinte, de manière substantielle, au principe de la libre expression de la volonté des électeurs.

Ainsi, le caractère illicite de la distribution de cadeaux ou d’avantages matériels aux électeurs sera déterminé en fonction, d’une part, de la plus ou moins grande valeur des biens ainsi offerts et, d’autre part, de la nature des électeurs soumis aux faveurs des candidats, et, tout particulièrement, de leur caractère plus ou moins influençable en raison de leur âge ou de leur situation sociale défavorisée.

La jurisprudence du Conseil d’Etat est fixée en ce sens que, pour aboutir à l’annulation des élections, il faut non seulement qu’une irrégularité substantielle ait été commise, mais aussi que cette irrégularité ait pu avoir une incidence sur la répartition des sièges entre les listes en concours.

On relèvera que le caractère récurrent ou non des manifestations et autres festivités organisées au cours de la période de propagande électorale constitue, aux yeux du Conseil d’Etat, un indice de nature à établir s’il faut y voir une manœuvre irrégulière ou non. Ainsi, l’invitation à de telles manifestations sera-t-elle tolérée, si elles sont organisées de manière récurrente, aux mêmes dates chaque année. Par exemple, au sujet des élections de Nevele, l’organisation par un échevin de promenades familiales avec collation offerte à tous les participants, aux frais de la commune, n’a pas été considérée comme faussant la campagne électorale, cette manifestation étant organisée annuellement depuis plus de dix ans.

7. La loi du 7 juillet 1994 ‘relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales engagées pour les élections provinciales et communales’ limite les dépenses électorales, tout en interdisant certaines formes de propagande.

La loi a pour objet principal de limiter les dépenses électorales en fixant des seuils maximum par candidat et par liste, suivant le nombre d’électeurs. Ici aussi, c’est le caractère récurrent ou non des manifestations et autres moyens de propagande au cours des trois mois constituant la période électorale qui déterminera si elles doivent être considérées comme des dépenses de propagande électorale au sens de la loi. De là, le penchant de la plupart des bourgmestres d’organiser leur bal annuel au mois de septembre, les élections étant organisées à date fixe le deuxième dimanche d’octobre.

La loi interdit, d’autre part, certains procédés de propagande, tels que la distribution de cadeaux et de gadgets, l’organisation de campagnes « commerciales » par téléphone ou l’utilisation de panneaux ou affiches à caractère commercial (c’est-à-dire l’utilisation de surfaces d’affichage habituellement louées et rémunérées) ou supérieurs à 4 m2. Les dons d’entreprises au profit des listes ou des candidats sont, quant à eux, formellement prohibés.

La juridiction administrative de première instance peut également être saisie d’une réclamation, en cas de déclaration de dépenses inexacte ou incomplète dans le chef d’un candidat et, si la réclamation est jugée fondée, elle peut conduire à une sanction spécifique, consistant en la privation du mandat du candidat élu qui a contrevenu à la loi ou du candidat présenté en tête de liste si c’est la liste dans son ensemble qui s’est livrée à une propagande interdite ou excessive. L’on se souviendra que c’est cette procédure particulière qui a mené à la destitution du bourgmestre de la commune de Woluwé-Saint-Pierre, M. Vandenhaute, il y a six ans (arrêt du Conseil d’Etat du 16 janvier 2008, n° 178.632).

Dans le cadre d’un tel contentieux, la juridiction administrative de première instance et, en appel, le Conseil d’Etat, disposent d’un certain pouvoir d’appréciation au vu du caractère extrême de la sanction. En l’occurrence, le Conseil d’Etat sera amené à tenir compte, dans une certaine mesure, de la bonne foi du candidat et à respecter, en cette occasion, un rapport de proportionnalité entre les faits reprochés et la gravité de la sanction. Dans le cadre du recours introduit par M. Vandenhaute, il ainsi été jugé que le requérant ne méritait aucune circonstance atténuante, vu son expérience et son passé politique de trente ans, ainsi que le fait que le dépassement du montant maximum autorisé de ses dépenses électorales atteignait les 80 % !

8. La pratique démontre que de très nombreux recours émanent en réalité de « mauvais perdants », qui cherchent un exutoire à leur défaite électorale et sont dépourvus de réels arguments susceptibles de conduire à l’annulation des élections.

La loi des chiffres est implacable à cet égard : un seul arrêt d’annulation, sur 47 recours introduits à la suite des élections du 8 octobre 2000 (C.E., 2 mars 2001, n° 93.716, él. Jurbise) et, de même, un seul arrêt d’annulation sur 43 recours au terme des élections communales du 8 octobre 2006 (C.E., 22 février 2007, n° 168.173, él. Wetteren). Outre cet arrêt d’annulation des élections communales, le Conseil d’Etat a également prononcé deux arrêts d’annulation des élections de CPAS et, comme déjà évoqué ci-dessus, ordonné la privation d’un mandat de conseiller communal.

Il faut donc une certaine témérité aux requérants pour introduire des recours en matière d’élections communales…

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