Le Comité anti-torture du Conseil de l’Europe confirme la situation lamentable des prisons belges

par Pauline Derestiat - 15 janvier 2013

Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou des traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe, appelé parfois aussi le « Comité anti-torture » de cette organisation internationale (ou « CPT ») vient de publier le rapport faisant suite à sa visite en Belgique, qui a eu lieu en avril 2012.

Le tableau n’est guère réjouissant, comme nous le montrent Pauline Derestiat, avocat, et Delphine Paci, avocat, présidente de l’Observatoire international des prisons

Catastrophique, déplorable, alarmante… : les mots ne manquent pas pour qualifier la situation carcérale de notre pays, telle que parfaitement dépeinte dans le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou des traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe à la suite de sa sixième visite en Belgique du 23 au 27 avril 2012, qui vient d’être rendu public.

Ce rapport, consultable sur le site www.oipbelgique.be, était tout à fait prévisible. Cela fait des années que les différents intervenants du secteur pénitentiaire et les observateurs les plus divers tirent la sonnette d’alarme.
Pour la première fois, le CPT a visité la prison de Forest, une des prisons les plus surpeuplées du pays et dans un état de délabrement tel qu’il en devient difficile à qualifier. Le comité, lors de cette visite ad hoc (c’est-à-dire organisée quand cela « s’avère nécessaire » (« Le CPT en bref », http://www.cpt.coe.int/fr/apropos.htm), a également visité l’aile rénovée de la prison de Saint Gilles et la prison d’Andenne.

Il ressort du rapport que l’objectif de cette visite était double : examiner les conditions de détention dans les maisons d’arrêt et les conséquences des grèves sur le fonctionnement des établissements pénitentiaires.
Dès l’introduction du rapport, le ton est donné. Le CPT demande avec insistance aux autorités belges de prendre toutes les mesures nécessaires afin que, dans un avenir proche, les recommandations soient rendues effectives.

En effet, l’Etat belge ne respecte pour ainsi dire jamais les recommandations faites par le comité européen.

À Forest, c’est, sans surprise, la surpopulation criante de la prison qui est visée : plus de 700 détenus pour 405 places. Ensuite, vient la description des conditions de détention : absence de sanitaires ou de points d’eau en cellule (les détenus n’ont pas le droit de prendre une douche tous les jours) dans certaines ailes, absence de toilettes dans d’autres (elles sont remplacées par des seaux hygiéniques…), insuffisance de paravents qui servent de cloisons entre l’espace de séjour et la toilette dans les cellules occupées par plusieurs détenus, piètre qualité et caractère répétitif de la nourriture livrée. Dans certaines cellules, les détenus sont contraints de dormir sur un matelas à même le sol. La liste d’attente pour certains types de visite est de plusieurs semaines…

Vient ensuite l’analyse des activités organisées. En ce qui concerne les prévenus, c’est-à-dire les détenus en attente d’être jugés et bénéficiant donc à ce titre de la présomption d’innocence, l’offre d’activité est réduite à sa plus simple expression : une heure de sortie en préau par jour. L’offre de travail ou de formation est totalement insuffisante, les détenus sont donc enfermés 23 heures sur 24 en cellule.

Enfin, les agents pénitentiaires et le personnel médical (médecins, psychiatres, infirmiers…) sont en sous effectifs. Aucun travail approfondi ne peut être entamé ; or l’incarcération peut entraîner des séquelles psychologiques importantes.

Ces différents constats, combinés avec le manque de personnel des services psycho-sociaux, rend toute perspective de réinsertion illusoire.
La conclusion est donc sans appel : les conditions de détention à la prison de Forest sont constitutives de traitements inhumains et dégradants.

En ce qui concerne l’établissement pénitentiaire d’Andenne, maison de peine, c’est-à-dire prison dans laquelle sont détenus des personnes condamnées, la surpopulation est moins criante (425 détenus pour 395 places lors de la visite du CPT). Les conditions de détention (au niveau purement matériel), elles, sont satisfaisantes. Le régime de détention y est cependant trop strict et ne permet pas de travailler sur la réinsertion. Le manque d’effectif (agents pénitentiaires, services psycho-sociaux, offre médicale) et d’activités (formation, travail, etc.) est également ressenti dans cet établissement (comme dans tous).

Dans l’ensemble du pays, la surpopulation ne cesse de croitre (24 % en juin 2012). Le rapport souligne que la réponse principale apportée à cette surpopulation est l’agrandissement de notre parc pénitentiaire, ce qui n’est pas satisfaisant. La location de la prison de Tilburg, le masterplan (visant la construction de nouvelles prisons) ne seront pas suffisants pour résoudre ce problème bien connu. Le Comité préconise la réflexion sur une politique concertée avec les différents acteurs du secteur.

Enfin, le CPT insiste sur la nécessité d’instaurer un service garanti en cas de grève. Rappelons qu’en cas de grève des agents pénitentiaires, ce sont les policiers qui les remplacent et que les dérives ne sont pas rares.
En conclusion, le rapport du CPT est une énième pierre dans le jardin de l’exécutif pour lui rappeler l’état déplorable de notre système pénitentiaire. Nous serons attentifs aux suites qu’il y sera donné... ou pas (!?).

Votre point de vue

  • Gisele Tordoir
    Gisele Tordoir Le 18 janvier 2013 à 18:34

    De vraies mesures doivent impérativement être prises pour empêcher cette situation inacceptable. Que le coupable soit puni,c’est la moindre des choses mais les conditions pour ce faire doivent rester
    humaines,dans le respect de la dignité des personnes. Il est à remarquer toutefois le pourcentage important de prisonniers d’origine étrangère . Que ceux qui ont la double nationalité soient renvoyés dans leur seconde patrie où ils pourraient goûter aux prisons tellement plus salubres...Cela offre au moins plus de places dans nos geôles pour nos condamnés. Quoi que l’on se targue d’avoir évolué,l’état de nos prisons ramènent à des scènes vues dans des films ou des documentaires sur les siècles passés.Quelle honte...Je confirme mon opinion selon laquelle le monde judiciaire est à réformer en profondeur.Il y va également des conditions de travail des gardiens, du personnel médical, du staff dans son intégralité...Que l’on mette enfin les bonnes personnes aux bons postes.

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  • skoby
    skoby Le 17 janvier 2013 à 18:48

    Ce n’est pas étonnant, ni nouveau. cela fait des années que notre gouvernement ne fait pas le strict nécessaire pour les prisons. Mais il y a une autre remarque à faire :
    Un très grand pourcentage des détenus sont des étrangers (en situation irrégulière ou non). Ce qui veut dire qu’il faut arrêter d’accepter sans cesse de nouveaux habitants, et surtout de ne pas systématiquement en faire des belges.
    De plus les illégaux doivent être renvoyés chez eux, et devenir interdit de séjour en
    Belgique.

    • anonyme
      anonyme Le 18 janvier 2013 à 11:09

      Madame, Monsieur,

      L’analyse est un peu rapide. Il convient de se poser la question de savoir pourquoi il y a une surreprésentation des étrangers... Par ailleurs, il importe également de respecter les engagements internationaux que la Belgique a pris et notamment ne pas renvoyer une personne dans son pays d’origine si elle risque d’y subir des traitements inhumains et dégradants.

      Enfin, contrairement à ce que vous dite, les gens n’obtiennent pas systématiquement la nationalité belge. Il s’agit d’une fausse croyance qui ne repose pas sur des éléments objectifs...(et le dernier exemple médiatique est un fameux milliardaire français...)

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  • Georges-Pierre TONNELIER
    Georges-Pierre TONNELIER Le 16 janvier 2013 à 11:55

    Autant je déplore la non-exécution des peines et la lenteur de la justice qui la rendent inefficace en termes de maintien de l’ordre public par la répression des infractions instituées telles par le législateur, autant je ne peux que déplorer, de la même manière, le non-respect des principes élémentaires d’humanité auxquels toute personne humaine, même privée de liberté, a droit : respect de l’intimité, de l’hygiène, de l’alimentation correcte, etc...

    Georges-Pierre TONNELIER
    Juriste spécialisé en droit des nouvelles technologies
    http://be.linkedin.com/in/georgespi...

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Pauline Derestiat


Auteur

avocat au barreau de Bruxelles, membre de l’observatoire international des prisons (section belge)

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