Comment s’établit, comment se conteste devant les tribunaux la filiation paternelle ?

par Marie Toussaint - 5 septembre 2013

Quelques semaines avant l’abdication du Roi Albert II, l’actualité a fait ressurgir la question de son éventuelle paternité à l’égard de Delphine Boël. La presse a fait état de l’introduction par celle-ci d’une action judiciaire tendant à faire établir cette paternité.

Il n’est pas question, pour Justice-en-ligne, de traiter ce cas particulier, qui ne concerne que la vie privée des intéressés, mais de prendre appui sur cette actualité pour exposer les conditions dans lesquelles la Justice peut intervenir sur ce type de question, quelles que soient les personnes concernées.

Marie Toussaint, avocat au barreau de Bruxelles, nous y aide.

1. Les principales règles qui gouvernent l’établissement et, le cas échéant, la contestation de la paternité d’un homme à l’égard d’un enfant sont les suivantes.

On verra qu’elles font jouer aux juridictions un rôle allant au-delà de la seule application mécanique du droit, compte tenu notamment de la sensibilité des questions posées. Comme le droit ne se réduit pas à la lettre de la loi, on verra aussi que celle-ci est écartée lorsqu’elle entrave la liberté de porter le débat devant un juge.

2. Un enfant né durant le mariage a pour père le mari de sa mère : c’est la présomption légale de paternité (article 315 du Code civil).

3. Cette présomption peut être contestée, notamment par l’enfant concerné.
La loi fixe cependant les conditions suivantes :
 l’enfant ne peut agir s’il a la possession d’état à l’égard du mari, c’est-à-dire s’il est considéré comme son fils ou sa fille sur un plan socio-affectif (article 318, § 1er, du Code civil) ;
 il doit agir entre ses douze et ses vingt-deux ans ou dans l’année de la découverte du fait que le mari n’est pas son père (article 318, § 2, du Code civil).

4. La Cour constitutionnelle a cependant atténué ces conditions en décidant ce qui suit.

En érigeant la possession d’état en fin de non-recevoir absolue, la loi ne permet pas au juge de tenir compte des intérêts des personnes concernées. Cette mesure n’est dès lors pas proportionnée aux buts légitimes poursuivis par le législateur, à savoir la paix des familles et la sécurité juridique des liens familiaux. L’arrêt n° 20/2011 du 3 février 2011 en a conclu que, dans cette mesure, l’article 318, § 1er, du Code civil était anticonstitutionnel.

Par ailleurs, en prévoyant qu’un enfant ne peut plus contester la présomption de paternité au-delà des délais fixés, dans l’hypothèse où cette présomption ne correspond à aucune réalité ni biologique ni socio-affective, la loi, selon l’arrêt n° 96/2011 du 31 mai 2011 de la Cour constitutionnelle ne permet pas au juge de tenir compte de l’intérêt des personnes concernées. Il est en effet ainsi porté atteinte de manière discriminatoire au droit au respect de la vie privée de cet enfant et, dans l’hypothèse évoquée, l’article 318, § 2, du Code civil est anticonstitutionnel.

Un enfant agissant soit hors délai alors que la présomption de paternité ne correspond pas à la réalité, soit dans les délais mais en ayant la possession d’état à l’égard du mari de sa mère, peut donc contester la paternité de celui-ci : le juge prendra en compte les intérêts des parties.

En l’état actuel de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, il paraît en revanche douteux qu’un enfant ayant la possession d’état à l’égard du mari de sa mère puisse contester victorieusement la paternité de celui-ci en agissant hors délai puisque par hypothèse la présomption correspondrait à une réalité socio-affective.

5. Lorsque la paternité d’un enfant n’est établie ni par présomption légale ni par reconnaissance (c’est-à-dire par un acte officiel en ce sens posé par un homme en dehors d’une relation de mariage avec la mère), elle peut l’être par jugement ; c’est ce qu’énonce l’article 322 du Code civil.

Si la paternité est établie par présomption légale, elle doit donc d’abord être victorieusement contestée, avant qu’une action en recherche de paternité ne puisse être intentée à l’égard d’un tiers. Selon l’article 332ter du Code civil, cette dernière action est notamment ouverte à l’enfant.

A défaut de possession de l’état qu’il revendique, l’enfant dispose pour agir de trente ans à compter de sa naissance, ce délai étant suspendu durant sa minorité. Autrement dit, l’enfant bénéficie d’un délai de trente années à dater de ses dix-huit ans, et peut donc agir en recherche de paternité jusqu’à l’âge de quarante-huit ans.

La filiation paternelle s’établit par toutes voies de droit, et notamment par expertise génétique ordonnée par le juge.

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 9 septembre 2013 à 13:54

    Je n’étais absolument pas informée et encore moins sensibilisée à ce type de problèmes que sont la filiation, la reconnaissance ou la contestation de paternité alors qu’à présent je comprends un peu mieux l’impact, notamment au niveau de la responsabilisation (pension alimentaire, succession, e.a.) et des obligations en découlant grâce tant à l’article de madame Toussaint qu’à l’intervention de monsieur Kaninda. Je reconnais que de prime abord, dans l’affaire Delphine Boël, je suis partagée entre divers sentiments : pourquoi ce côté people (que je n’apprécie pas du tout) ?, pourquoi l’intervention d’un psy sur le plateau de RTL ( très peu intéressant dans les faits) ?, pourquoi rendre public ce problème familial perso : parce que notre ex-Roi pourrait y être mêlé ?, en quoi cela nous regarde-t-il ? Puis une certaine curiosité s’installe : Delphine a été reconnue par Jacques Boël, elle a donc un père, pourquoi lui en faut-il un autre ? Pourquoi ces affronts à ces deux hommes ? L’argent, l’héritage y auraient-ils une place prédominante ? Quel est le vrai but de Delphine : retrouver un père, oui mais lequel ? et pourquoi l’un et plus l’autre ? Que va-t-elle faire de ce droit à se trouver un père ? Pour avoir été placée, ma jeunesse durant, dans des institutions principalement et dans des familles parfois, j’ai connu des "pères et mères" de substitution, dont certains tellement formidables qu’ils m’ont permis de réussir ma vie. A chaque fois, j’ai été amenée à porter le nom de famille de ces différents "parents". Je n’ai reporté le nom de mon géniteur que vers mes 17-18 ans puisque la loi m’y obligea. Je n’en suis pas morte...Ce n’est à mon avis pas le nom que l’on porte qui fait ce que l’on est, loin s’en faut...La vie en soi est faite de chances qu’il faut tenter, attirer et attacher à ses basques, il n’est pas si difficile d’en faire un cadeau durable. Quoi qu’il en soit, merci pour les éclaircissements apportés.

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  • JM KANINDA
    JM KANINDA Le 9 septembre 2013 à 11:36

    Dans l’Ancien Régime, où les gens vivaient sous le régime des privilèges ou sinon corvéables et taillables à merci selon qu’ils étaient soit de basse extraction ou soit d’origine aristocratique ou anoblis ou excommuniés, la filiation et le patronyme étaient des piliers fondateurs de la construction de l’identité personnelle, familiale et sociale.

    C’est seulement depuis NAPOLEON et son sinistre Ministre de l’Intérieur MARAT que les fiches de l’état civil (ou fiches de la population) sont tenues de manière uniforme aussi bien pour les "nationaux" que les étrangers... étant entendu qu’avant 1804 (année de la réforme et naissance des Code civil et Code pénal unifiés, c’était l’Eglise qui tenait les registres de la population. Quid alors des Juifs, des Tziganes (Romanichels ou gens du voyage) ?

    Le code de l’honneur, le code de l’étiquette et les privilèges de l’Ancien Régime ayant été abolis, nous sommes censés vivre depuis le Code Napoléonien, que l’Etat soit organisé sous forme de monarchie constitutionnelle ou de "res publica" nous sommes censés vivre sous le régime de la responsabilité individuelle (et donc de la liberté individuelle) et non de la responsabilité "collective ou communautaire", la présente revue de Maître Marie TOUSSAINT est très rafraîchissante car dans l’actuel régime de la responsabilité individuelle, "NUL N’EST CENSE IGNORER LA LOI".

    Excellent article sur un sujet qui n’encombre certes pas les rôles des affaires dans nos tribunaux mais qui , potentiellement, peut concerner certaines situations de mal-séparation ou de divorces hyperconflictualisés dans lesquelles semble-t-il, selon les statistiques, 8% des enfants de divorçants n’auraient pas pour père celui auquel tout le monde pensait... mais en général, c’est une "technique" pour les géniteurs qui veulent se soustraire de l’obligation naturelle et sociale de nourrir sa progéniture que ce soit sous forme de "pension alimentaire" ou non. Merci à Madame TOUSSAINT.

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  • skoby
    skoby Le 7 septembre 2013 à 13:21

    On verra bien comment Delphine Boël arrivera à ses fins ou non.
    Si Albert II est le père, il aurait moralement dû reconnaître sa fille, malgré le refus de Paola. S’il n’est pas le père, un test ADN pourrait le vérifier.
    Ce qui est regrettable c’est que Delphine n’a réagi que parce qu’elle a été déhéritée
    par son père officiel, c’est-à-dire Monsieur Boël.
    De plus, le manque de pudeur de la mère, devrait lui valoir un beau procès pour
    médisance et attaques personnelles à la famille royale. L’émission passée déjà partiellement à la télévision est un scandale :
    Philippe serait à moitié "autiste"
    Paola une mère indigne et personnage infernal
    Etc......

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