L’actualité judicaire se bouscule autour de l’euthanasie

par Jules Messinne - 23 décembre 2015

Premier renvoi au parquet d’un dossier d’euthanasie depuis la loi belge du 28 mai 2002, rejet, par la Cour constitutionnelle, du recours dirigé contre la loi élargissant les possibilités d’euthanasie aux mineurs : l’actualité, ces dernières semaines, a mis en lumière le rôle des juridictions en cette matière délicate.

Jules Messinne, président de chambre émérite au Conseil d’État et professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles nous rappelle les conditions de l’euthanasie légale en Belgique, le rôle de la commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie et les arrêts de la Cour constitutionnelle qui ont validé les législations successivement adoptées en la matière.

1. Plusieurs événements récents ont ravivé l’attention de l’opinion publique sur le problème de l’euthanasie : la communication au parquet, il y a quelques jours à Bruxelles, d’un dossier par la Commission de contrôle, la condamnation en France du Docteur Bonnemaison et sa radiation par le Conseil de l’ordre des médecins (il est renvoyé sur cette dernière actualité à l’article publié par Guy Laporte sur Justice-en-ligne, « Où en est l’affaire Lambert après les arrêts du Conseil d’Etat de France et de la Cour européenne des droits de l’homme validant la procédure française d’euthanasie passive ? »,), une émission consacrée à ce sujet par la Une de notre télévision publique, et le rejet par la Cour constitutionnelle, le 29 octobre dernier, des recours en annulation formés contre la loi du 28 février 2014 qui a étendu aux mineurs la possibilité d’euthanasie.

Ces événements offrent l’occasion de réfléchir quelques instants sur le mécanisme de contrôle instauré par la loi relative à l’euthanasie et sur le rôle de la Cour constitutionnelle dans des matières éthiques controversées.
La « légalisation » de l’euthanasie par une loi belge de 2002 – La commission de contrôle

2. L’euthanasie a été « légalisée » par la loi du 28 mai 2002, qui détermine les conditions dans lesquelles elle peut être pratiquée et qui institue une Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de son application (cliquez ici). Cette commission, dont les seize membres sont nommés pour un mandat de quatre ans par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres, étaient à l’origine proposés par le Sénat et le sont aujourd’hui par la Chambre des représentants ; elle examine la déclaration que doit lui envoyer tout médecin qui pratique une euthanasie et vérifie ainsi si les conditions légales sont réunies.

Les conditions de l’euthanasie

3. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler quelles sont ces conditions : sauf le cas où il a rédigé une déclaration anticipée :

 le patient doit être conscient au moment où il formule sa demande ;

 celle-ci doit être écrite, formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée sans pouvoir résulter d’une pression extérieure ;

 il doit se trouver dans une situation médicale sans issue et faire état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui doit résulter d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ;

 le médecin doit informer le patient de son état de santé et de son espérance de vie, se concerter avec lui sur sa demande, évoquer avec lui les possibilités thérapeutiques encore envisageables ainsi que les possibilités qu’offrent les soins palliatifs et leurs conséquences, arriver avec lui à la conviction qu’il n’y a aucune autre solution raisonnable dans sa situation, s’assurer que la demande est entièrement volontaire, s’assurer aussi de la persistance de la souffrance physique ou psychique du patient et de sa volonté réitérée, mener à cette fin avec lui plusieurs entretiens espacés d’un délai raisonnable au regard de l’évolution de son état, consulter, en précisant les raisons de la consultation, un autre médecin, indépendant tant à l’égard du patient que du médecin traitant et compétent quant à la pathologie concernée, quant au caractère grave et incurable de l’affection ;

 ce médecin consulté doit prendre connaissance du dossier médical, examiner le patient, s’assurer du caractère constant, insupportable et inapaisable de la souffrance physique ou psychique et rédiger un rapport concernant ses constatations ;

 le patient doit être informé des résultats de cette consultation par le médecin traitant, lequel doit encore s’entretenir de la demande avec les proches du patient que celui-ci désigne si telle est sa volonté, s’assurer que le patient a eu l’occasion de s’entretenir de sa demande avec les personnes qu’il souhaitait rencontrer, et, s’il existe une équipe soignante en contact régulier avec le patient, s’entretenir de la demande avec tout ou partie de cette équipe.

De plus, si le médecin est d’avis que le décès n’interviendra manifestement pas à brève échéance, il doit consulter, en précisant les raisons de la consultation, un deuxième médecin, psychiatre ou spécialiste de la pathologie concernée, lui aussi indépendant de chacun des acteurs intervenus jusqu’ici, qui doit lui aussi prendre connaissance du dossier médical, examiner le patient, s’assurer du caractère constant, insupportable et inapaisable de la souffrance et du caractère volontaire, réfléchi et répété de la demande et rédiger un rapport de ses constatations dont le médecin traitant doit communiquer les résultats au patient, l’euthanasie ne pouvant avoir lieu qu’au moins un mois après la date de la demande écrite.

4. On voit qu’aucune de ces conditions n’est anodine et que la réunion de toutes peut conduire une personne à devoir endurer des souffrances constantes, insupportables et inapaisables pendant au moins un mois.

Celui qui n’en respecterait pas une seule pourra être poursuivi du chef d’assassinat.

Tout médecin qui pratique une euthanasie a l’obligation, sous peine de telles poursuites, de communiquer à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation un « document d’enregistrement » dont la loi énonce les mentions qu’il doit comporter et qui permettent à la Commission de vérifier si toutes les conditions légales ont été satisfaites.

Si, par une décision prise à la majorité des deux tiers, elle estime que toutes les conditions n’ont pas été respectées, elle envoie le dossier au procureur du Roi du lieu du décès du patient.

5. La loi du 28 mai 2002, qui résulte essentiellement d’une proposition faite par le sénateur Mahoux au cours de la session 1999-2000, a fait l’objet de travaux préparatoires minutieux, parmi lesquels de nombreuses auditions de personnalités issues de tous les milieux philosophiques, ainsi que de membres du Comité consultatif de bioéthique, instance qui avait d’ailleurs donné au Parlement, sur l’opportunité de légiférer dans cette matière, le premier de ses avis le 12 mai 1997.

Le recours contre la loi de 2002 devant la Cour constitutionnelle

6. La loi du 28 mai 2002 a été attaquée devant la Cour constitutionnelle, qui a rejeté le 14 janvier 2004 les recours formé par les associations Jurivie et Pro Vita.

L’extension aux mineurs des possibilités d’euthanasie par la loi de 2014

7. La loi du 28 février 2014 a étendu aux patients mineurs non émancipés la possibilité d’obtenir une euthanasie en ajoutant aux conditions initiales des conditions supplémentaires :
 le patient doit être doté de la capacité de discernement ;
 ses souffrances ne peuvent pas être de nature exclusivement psychique ;
 son décès doit être imminent ;
 un pédopsychiatre ou un psychologue doit être consulté ;
 il faut bien entendu l’accord écrit de ses représentants légaux (parents, tuteurs, etc.).

Le recours contre la loi de 2014 devant la Cour constitutionnelle

8. Le recours en annulation dirigé par les mêmes associations contre cette nouvelle loi a été rejeté par la Cour constitutionnelle le 29 octobre 2015.

La Cour a considéré que le droit à la vie, garanti par plusieurs articles de notre Constitution et par des conventions internationales, dont la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « ne s’oppose pas au principe même de la dépénalisation de l’euthanasie » car « il ne pourrait découler de ces droits fondamentaux une obligation de vivre, imposée à un individu capable de discernement, quelles que soient les circonstances auxquelles celui-ci est confronté », « que dans des matières éthiques, il appartient avant tout au législateur d’apprécier les choix qui doivent être faits » et que « le législateur a pu raisonnablement considérer que les conditions et les obligations précitées, imposées au médecin traitant, garantissent qu’une euthanasie n’est pratiquée que si le patient mineur doté de la capacité de discernement l’a demandée de manière volontaire et réfléchie ».

L’arrêt précise qu’il résulte des travaux préparatoires de la loi que, contrairement à ce que soutenaient les associations requérantes, l’euthanasie d’un mineur non émancipé ne serait pas autorisée si le psychiatre ou le psychologue consulté estimait que ce patient n’est pas doté de la capacité de discernement requise, c’est-à-dire de « la capacité du mineur à évaluer la portée réelle de sa demande d’euthanasie, ainsi que les conséquences de cette demande » ; en revanche, dit la Cour, si la loi était interprétée comme permettant au médecin traitant de passer outre à l’avis négatif du psychiatre ou du psychologue sur cette question, elle violerait les dispositions constitutionnelles et conventionnelles invoquées par les requérantes.

La Cour constitutionnelle indique ainsi, tant à la Commission fédérale de contrôle qu’au juge éventuellement saisi d’une poursuite, quelle est la seule interprétation raisonnablement possible du texte légal.

Le renvoi au parquet d’un dossier d’euthanasie par la commission de contrôle

9. Comme exposé plus haut, au point 5, la commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie peut renvoyer au parquet les dossiers qui lui ont été obligatoirement remis par les médecins ayant pratiqué l’euthanasie, et ce lorsqu’elle estime que les conditions légales de cet acte n’ont pas été respectées.

C’est alors au parquet de décider, après les enquêtes d’usage, s’il poursuit le médecin devant les juridictions pénales compétentes, par exemple pour assassinat. Si ces poursuites sont exercées, ce sont alors évidemment les juridictions en question qui décideront si le médecin doit être condamné.

Depuis 2002, aucun dossier n’avait ainsi été remis par la commission de contrôle au parquet. C’est à présent chose faite : pour la première fois depuis la dépénalisation, la commission de contrôle, voici quelques semaines, a saisi le parquet.

Il reste à attendre ce que le parquet et les juridictions éventuellement saisies décideront.

Justice-en-ligne en informera ses lecteurs.

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Jules Messinne


Auteur

Président de chambre émérite au Conseil d’État
Professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles

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