L’affaire Wesphael : lost in translation

par Benoît Dejemeppe - 25 février 2016

Le procès Wesphael devait avoir lieu au printemps 2016. Comme il a été inculpé à Ostende, c’est-à-dire en région de langue néerlandaise, toute l’instruction a eu lieu dans la langue de Vondel depuis le début. Mais comme l’intéressé est francophone, il a usé de son droit de demander un changement de langue pour le procès proprement dit. C’est donc devant une juridiction francophone, la Cour d’assises du Hainaut, que celui-ci devait avoir lieu, ce qui impliquait une traduction en français des principales pièces du dossier.

Or, cette traduction s’est avérée désastreuse, ce qui a conduit à un report du procès.

Justice-en-ligne y a consacré une « brève » dans sa rubrique Justice-Actualité.

Benoît Dejemeppe, conseiller à la Cour de cassation et maître de conférences à l’Université Saint Louis à Bruxelles, qui y enseigne le néerlandais juridique, explique l’origine et la raison d’être de ces règles d’emploi des langues en matière pénale.

1. Pour comprendre comment un problème de traduction peut enrayer un procès, un petit détour historique s’impose.

Alors que la majorité de la population était flamande, le Belgique indépendante est née francophone. Il fallut un siècle pour remédier aux abus dont les justiciables flamands, souvent socialement défavorisés, étaient les victimes.

En 1935, on prit une mesure radicale : tracer une frontière judiciaire pour faire en sorte que le français n’ait plus droit de cité en Flandre.

En établissant le principe de l’exclusivité de la langue de la région (le bilinguisme étant réservé à Bruxelles), la loi établit une stricte règle de non-concurrence en présumant que le justiciable qui s’adresse à la justice ou est appelé devant elle s’exprime dans cette langue. Depuis lors, la procédure doit se dérouler en néerlandais dans le nord du pays (et en français dans le sud, ce qui, là, ne changeait rien).

Mais, libérale, la loi prévoit quelques soupapes de sécurité pour préserver certains choix individuels. Ainsi, en matière pénale, le prévenu qui ne connaît que l’autre langue ou s’exprime plus facilement dans cette langue, a le droit de demander le renvoi de la cause devant une juridiction d’un autre rôle linguistique, par exemple de Tongres à Liège, de Tournai à Courtrai ou de Louvain à Bruxelles.

2. Lorsque le suspect d’un crime est renvoyé devant la cour d’assises, il a le droit d’être jugé « dans sa langue » (entendez : le français ou le néerlandais). Il doit le demander devant la chambre des mises en accusation qui joue un rôle d’aiguillage à la fin de l’instruction. Cette juridiction renvoie alors l’accusé devant une cour d’assises de l’autre régime linguistique. C’est ce qui s’est passé dans l’affaire Wesphael. Au juge naturel, celui le plus proche du lieu des faits, en l’espèce la cour d’assises de la province de Flandre occidentale, on substitue donc un autre juge où la procédure sera faite en français. C’est pourquoi l’accusé sera traduit devant une cour d’assises siégeant en français, et celle qui a été choisie par la chambre des mises en accusation de Gand est celle de la province de Hainaut, qui siège à Mons.

3. L’enquête, elle, se fait toujours sous la direction du juge d’instruction « local ». Aucune délocalisation pour raisons linguistiques n’est prévue à ce stade de la procédure (sauf à Bruxelles où on peut passer d’un tribunal à l’autre).
Les faits ayant eu lieu à Ostende, c’est le juge d’instruction de Flandre occidentale, division Bruges, qui a dirigé les opérations en néerlandais.

Ainsi, les constatations des policiers, les procès-verbaux d’audition, les expertises, les décisions du magistrat, de la chambre du conseil ou de la chambre des mises en accusation ont dû être établis dans cette langue. Si les personnes entendues, qui peuvent toujours faire leurs déclarations dans la langue de leur choix (pas nécessairement une langue nationale), souhaitaient s’exprimer en français, les fonctionnaires de police ou les magistrats ont dû consigner ces déclarations en néerlandais avec le concours d’un interprète juré.

4. À présent que l’affaire sera soumise à l’appréciation d’un jury de langue française dont aucune qualification linguistique n’est requise, le dossier doit être traduit, à tout le moins les pièces utiles au jugement de la cause même si la procédure devant la cour d’assises est orale (d’ailleurs, des extraits de procès-verbaux sont souvent lus à l’audience).

De plus, les parties et leurs avocats ont le droit de disposer des pièces en français. Etablie aux frais de l’État, cette traduction est confiée à des traducteurs assermentés. Ceux-ci n’étant pas toujours des spécialistes de la procédure pénale ni des matières techniques, comme les expertises médico-légales, la qualité du produit fini prête parfois le flanc à des contestations, jusqu’à justifier l’accomplissement de révisions en profondeur, ce qui semble être le cas dans cette affaire. La hauteur de la rémunération des traducteurs n’est, il faut en convenir, pas en rapport avec les exigences qualitatives que ce travail difficile implique.

5. Pouvait-on anticiper ces problèmes et faire procéder à la traduction pendant l’instruction ? Dans la mesure où le juge d’instruction, qui instruit à charge ou à décharge, ne peut connaître le sort qui sera fait au dossier lorsqu’il arrivera à son terme ni le choix que l’accusé fera éventuellement (il ne peut formuler sa demande qu’à l’issue de l’instruction et seulement devant la chambre mises en accusation), il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir pris de dispositions à cet égard.

Mais cela montre une fois de plus combien ces questions, spécialement en matière de justice criminelle, coûtent en temps et en ressources humaines et matérielles.

Votre point de vue

  • JM KANINDA
    JM KANINDA Le 25 septembre 2016 à 16:18

    Pffff...

    Je viens d"avoir 62 ans dont 42 ans en Belgique où je suis arrivé le 1er octobre 1974 pour des études de médecine humaine et une spécialisation en gynécologie-obstétrique.

    Les guichets séparés de SCHAERBEEK du temps de Roger NOLS, la loi GOL, le procès fait à Maître Michel GRAINDORGE accusé d’avoir facilité l’évasion d’un lieutenant de MESRINE du palais de justice de Bruxelles, le drame du HEYSEL, l’affaire DUTROUX et la commission d’enquête parlementaire subséquente qui l’a suivie, la Marche Blanche, la démission du Ministre de l’Intérieur Louis TOBBACK suite à la mort au sol dans un avion SABENA de la jeune nigériane Semira ADAMU, la démission du gouvernement MAERTENS lors de la crise dite du poulet à la dioxine, la contestation du poste de Premier Ministre à Yves LETERME ou Monsieur 800.000 voix de préférence...etc...

    Il me semble que la gestion "belge" des affaires majeures ou "sensibles" pour ne pas dire affaires "explosives" du pays devient de plus en plus ubuesque ou surréaliste.

    Répondre à ce message

  • skoby
    skoby Le 27 février 2016 à 17:42

    Il semblerait que les traductions ont été faites par des incapables, ce qui est
    un scandale dans un pays où il existe assez de parfaits bilingues.
    Mais on apprend que plusieurs traducteurs refusent de faire le travail tant
    qu’ils n’ont pas été payés pour des travaux plus anciens. La Justice serait
    très mauvais payeur, et cela c’est un scandale bien plus important que le
    niveau de la rémunération.
    La Justice est depuis longtemps l’enfant pauvre des différents gouvernements
    depuis de très nombreuses années. Mais quand la situation devient intenable,
    la Justice devrait agir et contraindre le gouvernement à faire les investissements
    nécessaires.

    Répondre à ce message

  • GeorgesOE
    GeorgesOE Le 26 février 2016 à 16:02

    « La hauteur de la rémunération des traducteurs n’est, il faut en convenir, pas en rapport avec les exigences qualitatives que ce travail difficile implique. » cette phrase exprimée par un « maître de conférences à l’Université Saint Louis à Bruxelles, qui y enseigne le néerlandais juridique » mais est aussi « conseiller à la Cour de cassation » porte, pour le moins, à réflexion. Devrait-on forcer les traducteurs à s’inscrire à St Louis ?

    Répondre à ce message

  • jpguissard@yahoo.be
    jpguissard@yahoo.be Le 26 février 2016 à 14:47

    L’explication technique dans ce dossier est exacte. Ce qui malheureusement ne l’est pas ce sont les termes farfelus de traduction parus dans la presse après le transfert de la procédure vers Mons. Les déclarations et les traductions parues dans la presse sont elles la réalité ? . Il serait utile de savoir si Monsieur Westphael a compris, contesté les termes reproduits. Il convient de savoir pourquoi il n’a pas contesté " de gebruikte notities en termen die hij zou afgelegd hebbent tijdens zijn verschillende ondervragingen." (traduction" les termes et les paroles prononcées au cours de ses diverses auditions) .
    Si oui, force est de déplorer les traductions parues au niveau de la presse par rapport à la réalité du contexte au cours de l’instruction. C’est à dire que les termes néerlandophones traduits ne peuvent correspondre vraisemblablement aux propos et paroles de Monsieur Westphael prononcés au cours de son instruction orale ....

    Répondre à ce message

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Benoît Dejemeppe


Auteur

président de section émérite à la Cour de cassation, maître de conférences honoraire à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles

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