La Commission parlementaire d’enquête sur les attentats terroristes : une mission à très haut risque…

par Marc Verdussen - 14 avril 2016

La Chambre des représentants devrait installer ce 14 avril 2016 la commission d’enquête parlementaire sur les attentats terroristes du 22 mars dernier.

Après d’autres articles déjà publiés sur Justice-en-ligne sur ce type de commission et la difficulté d’établir leur juste relation avec la Justice et leurs acteurs (consulter ces articles via le moteur de recherche , en saisissant l’expression « Commission d’enquête parlementaire »), cette installation donne l’occasion à Marc Verdussen, professeur à l’Université catholique de Louvain, spécialiste notamment de ces questions, de rappeler le rôle de la commission d’enquête et surtout d’exposer certains principes dont elle doit tenir compte en vue tout spécialement de ne pas mettre à mal les enquêtes judiciaires en cours, et ce dans le respect de la séparation des pouvoirs : « à chacun son rôle », en quelque sorte...

1. Rappelons en premier lieu que l’enquête parlementaire est une procédure par laquelle une assemblée législative constitue en son sein une commission afin de recueillir ou de vérifier un certain nombre de faits dont la connaissance peut lui être utile dans l’exercice de ses fonctions.

Il ne s’agit pas de juger, ni a fortiori de sanctionner. Il s’agit de s’informer et éventuellement de recommander.

Étant entendu que, le rapport de la commission une fois déposé, c’est à l’assemblée elle-même d’en dégager les enseignements, par des réformes législatives ou par la mise en cause de la responsabilité politique des ministres concernés.

Alors même qu’elle n’est pas là pour instruire pénalement une affaire, la commission peut recourir, selon des modalités déterminées, aux mesures d’instruction prévues par le Code d’instruction criminelle (interroger, confronter, perquisitionner, saisir, etc.). C’est là assurément le trait le plus original de la procédure d’enquête parlementaire. Elle ne peut bien entendu placer quiconque en détention préventive.

2. Plusieurs pièges guettent les membres de la commission parlementaire d’enquête sur les attentats terroristes, qui devront être attentifs à trois exigences majeures : faire œuvre utile, respecter la séparation des pouvoirs et ne pas interférer sur les enquêtes pénales.

3. Faire œuvre utile. Une commission parlementaire d’enquête ne peut travailler efficacement que si son mandat est défini avec suffisamment de précision.

En l’occurrence, de l’avis même de certains élus, le champ d’action de la commission parlementaire sur les attentats terroristes est très – trop ? – large. Elle n’aura donc pas d’autre choix que de cibler son mandat, au risque sinon de se perdre et de décevoir les attentes placées en elles.

L’utilité des travaux de la commission dépendra aussi de la capacité de ses membres à gérer intelligemment les rapports avec les médias. Si la loi sur les enquêtes parlementaires leur interdit de divulguer les informations recueillies lors de séances à huis clos, l’éthique de la fonction parlementaire leur impose un devoir plus général de stricte réserve.

4. Respecter la séparation des pouvoirs. Une commission parlementaire d’enquête ne peut s’arroger des pouvoirs non reconnus à l’assemblée elle-même, ce que la commission Dutroux avait par trop oublié à l’époque.

Il n’est pas question, par exemple, qu’elle mette en cause la responsabilité individuelle de magistrats du pouvoir judiciaire, tel un juge d’instruction ou un juge d’application des peines. Il est tout aussi exclu de réclamer des comptes à un officier du ministère public, seul le ministre de la Justice étant politiquement responsable des négligences éventuelles des parquets. La commission parlementaire sur les attentats terroristes devra impérativement s’en souvenir.

Ses membres devront, par ailleurs, se rappeler qu’ils sont tenus d’informer le procureur général près la cour d’appel de tout fait délictueux ou de tout indice dont ils auraient connaissance ou encore – c’est là une conséquence de la célèbre affaire Transnuklear jugée le 6 mai 1993 par la Cour de cassation – qu’il leur appartient de rappeler aux témoins le droit de s’abstenir de déclarations par lesquelles ils s’auto-incrimineraient.

5. Ne pas interférer sur les enquêtes pénales. Lorsque les faits sur lesquels une commission parlementaire d’enquête s’informe font concomitamment l’objet d’une enquête pénale, le risque existe que la première nuise à la seconde. Certes, la loi prévoit expressément que les enquêtes parlementaires « ne se substituent pas à celles du pouvoir judiciaire, avec lesquelles elles peuvent entrer en concours, sans toutefois en entraver le déroulement ». Certes encore, des garanties précises sont prévues par la loi. Ainsi, si la commission a besoin de renseignements se trouvant dans un dossier judiciaire, elle doit adresser une requête au procureur général près la cour d’appel, qui peut opposer un refus motivé.

6. À elles seules, ces règles sont-elles de nature à éviter toute entrave dans le déroulement des enquêtes pénales en cours ? Ce n’est pas certain. Les expériences passées de concours entre procédure judiciaire et enquête parlementaire n’ont pas été très concluantes, c’est le moins qu’on puisse dire. De graves dérapages ont pu être commis par certaines commissions.
En cas de nouvel échec, le législateur n’aura sans doute d’autre choix que d’interdire à l’avenir toute enquête parlementaire sur des faits traités par le pouvoir judiciaire.

Dans tous les cas, seules la prudence et la rigueur des membres de la commission permettront d’éviter des dérapages qui, s’ils devaient se produire, seraient dramatiques. Et pas seulement pour l’image de la Belgique.

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 19 avril 2016 à 14:24

    A la lecture de cet article, je ne comprends toujours pas l’utilité de cette commission d’enquête parlementaire hormis les moyens engagés ( le temps et l’argent, e.a.)...

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