Le suicide de Madison : enfin une prise de conscience en matière de harcèlement ?

par Elise Delhaise - 22 avril 2016

Le suicide de la jeune Madison le 9 février dernier après, semble-t-il, des faits de harcèlement a glacé le sang de nombreuses personnes en Belgique .

Que peut faire la Justice face à de tels comportements ?

Élise Delhaise, assistante à l’Université de Namur, nous répond.

1. Il semble que l’adolescente ait fait l’objet d’insultes et injures sur les réseaux sociaux. Ce type de harcèlement est juridiquement appelé « harcèlement téléphonique » et est régi par la loi du 13 juin 2005 ‘relative aux communications électroniques’. Ce type d’agissement peut également être dénommé « harcèlement moral » si leurs auteurs s’y adonnent en dehors de toute voie électronique (dans la cour de récréation, par exemple).

2. Pour que des poursuites puissent être engagées et donner lieu à une éventuelle condamnation, l’infraction doit être établie (réunion des éléments constitutifs) et celle-ci doit pouvoir être rattachée à son auteur (imputabilité de l’infraction).

3. Trois éléments constitutifs doivent être réunis pour que l’infraction de harcèlement au sens de l’article 442bis du Code pénal soit établie :
 un élément légal : le comportement de harcèlement est érigé en infraction par l’article 442bis du Code pénal ;

 deux éléments matériels : le fait de harceler la victime par un comportement irritant, incessant ou répétitif et une atteinte grave à la tranquillité de cette dernière ; le législateur n’a pas défini l’action de harceler, le sens courant est donc d’application ; de plus, des conclusions hâtives ne peuvent être tirées du comportement de la victime (par exemple, une victime de harcèlement peut se rendre à l’école malgré les moqueries ou insultes et pourtant être gravement perturbée dans sa tranquillité) ; il convient donc d’être particulièrement prudent dans le maniement de ces conditions ;

 un élément moral : l’auteur savait ou aurait dû savoir que ses actes vont avoir pour conséquence d’affecter gravement la tranquillité de la victime.

4. Concernant les faits de harcèlement téléphonique, trois éléments constitutifs doivent également être réunis :
 un élément légal : le comportement de harcèlement téléphonique est incriminé à l’article 145 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques ;
 un élément matériel : l’utilisation d’un réseau ou d’un service de communications électroniques ;
 un élément moral : l’intention d’importuner son correspondant ou de provoquer des dommages.

À la différence du harcèlement incriminé à l’article 442bis du Code pénal, cette infraction ne requiert pas un caractère effectivement harcelant ou que la tranquillité du correspondant soit effectivement perturbée.

Si ces éléments sont réunis, l’infraction de harcèlement est établie. Si cette infraction peut, de plus, être imputée physiquement et moralement à un auteur, ce dernier peut se voir reconnu coupable de l’infraction de harcèlement.

5. Quelles sont les peines encourues pour les auteurs de tels actes ?
Le harcèlement (qu’il soit moral ou téléphonique) concernant les faits tragiques dont il est question, est un délit passible d’une peine d’emprisonnement de quinze jours à deux ans et d’une peine d’amende de cinquante (vingt pour le harcèlement téléphonique) à trois cents euros (à multiplier par six en raison des décimes additionnels), ou d’une de ces deux peines seulement. Le taux de ces peines, particulièrement peu élevé, n’est pas sans poser question au regard de la gravité de cette infraction.

Remarquons que, dans les faits en cause, la circonstance aggravante de l’âge de la victime doit être retenue. Par conséquent, les auteurs voient alors le minimum de leur peine doublé.

6. Précisons enfin qu’une modification législative, prévoyant de supprimer la particularité procédurale (« délit sur plainte ») caractérisant le harcèlement moral (et non le harcèlement téléphonique), est intervenue par l’intermédiaire de la loi du 25 mars 2016 ’modifiant l’article 442bis du Code pénal’. La notion de « délit sur plainte » signifie que le parquet ne lance des poursuites que si la victime a déposé plainte, alors qu’en général, en droit pénal, branche du droit qui tend à protéger des valeurs intéressant la société dans son ensemble, les poursuites sont indépendantes de l’existence ou du maintien d’une plainte.

Depuis l’entrée en vigueur, le 15 avril 2016, de la nouvelle mouture de l’article 442bis du Code pénal, l’infraction de harcèlement sera soumise au régime applicable à la mise en œuvre des poursuites. Actuellement, sans plainte de la victime, le ministère public se retrouve dans l’impossibilité de poursuivre les auteurs des faits. A l’avenir, celui-ci disposera donc de l’opportunité d’engager ou non des poursuites, même sans plainte déposée par la victime.

Nous ne pouvons que nous réjouir d’une telle réforme. En effet, de nombreuses victimes se murent dans le silence, par peur de représailles ou de voir leur situation s’aggraver auprès de leurs harceleurs.

7. La Justice aura donc dorénavant toutes les cartes en main concernant la poursuite et la répression des auteurs d’actes de harcèlement et ne dépendra donc plus des victimes, souvent particulièrement fragilisées et effrayées de voir leur situation rendue publique.

Le harcèlement est une infraction sournoise, pouvant briser des vies. Il est donc temps que la Justice reprenne la main et envoie un signal fort aux auteurs de telles infractions.

Mots-clés associés à cet article : Plainte, Harcèlement, Madison,

Votre point de vue

  • Gilem O
    Gilem O Le 25 juillet 2016 à 20:25

    Le point clé de l’énoncé de loi harcèlement est le savoir et par suite le devoir savoir, conjugué au conditionnel, donc impliquant une cause nécessaire qui ferait savoir ce qui doit être su. Dans ce malheureux cas de suicide, s’il n’en pas dit davantage, on peut comprendre que l’adolescente ait été complètement terrorisée au point de n’en parler à personne et en l’absence d’une personne de référence ? Ce serait le silence absolu, l’impossibilité psychologique de faire savoir. C’est ce disait déjà en 1998 la Dr psychiatre Marie-France Hirigoyen dans son célèbre ouvrage traitant du harcèlement : "Un mot peut tuer" par la terreur qu’il engendre.

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  • Georges-Pierre Tonnelier
    Georges-Pierre Tonnelier Le 1er mai 2016 à 17:47

    Malheureusement, le harcèlement scolaire ne date pas de l’émergence des réseaux sociaux. Cela a existé de tous temps mais il semblerait que l’on en prenne plus conscience aujourd’hui. Tant mieux.

    De mon côté, j’ai créé un groupe Facebook qui est intitulé « NON au harcèlement scolaire »

    Georges-Pierre Tonnelier
    Juriste

    • Gilem O
      Gilem O Le 15 juillet 2016 à 00:49

      Fort bien pour la création de ce groupe Facebook "NON au harcèlement scolaire", qui est dans la lignée des prescriptions de la CIDE qui fait loi au motif de l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais qu’en est-il du harcèlement du jeune dans son milieu familial protecteur par des personnes étrangères à la famille et prétendant avoir le pouvoir d’intervenir de cette façon ? Nonobstant les termes nets de la loi, art. 442bis C. p. "Quiconque - i.e. QUI QU’ONCQUES - aura harcelé sera puni"..."alors qu’il savait ou aurait dû savoir". Pour être bref, voyons d’abord le connecteur logique OU : ce ne peut être que le OUX (ang. XOR) exclusif, en notation de langage de programmation, en latin aut et non vel. La logique de l’énoncé de loi est ainsi conforme à celle de la législation en vigueur en matière de droit international pénal : aut dedere aut judicare, l’obligation alternative à l’égard de l’auteur présumé d’une violation.

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 25 avril 2016 à 15:55

    Le fait de lire, dans des conclusions et/ou lors d’une plainte calomnieuse et diffamatoire déposée par la partie adverse dans notre procédure judiciaire, des propos diffamants dans l’unique intention de nuire à notre réputation et d’influer, dès lors, si possible, dans la décision d’un juge (ou plusieurs juges) ne ressort-il pas également de harcèlement ? Personnellement, c’est ce que je crois du fait du caractère sournois et malveillant de cette attitude détestable. Le fait de déposer une plainte constitue une démarche, une implication personnelle. Comment éviter les abus de procédure en l’absence de plainte ?

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  • skoby
    skoby Le 24 avril 2016 à 15:28

    Cela me semble parfait, encore qu’assez compliqué au niveau formulation et
    conditions requises, mais témoigne néanmoins de la volonté de vouloir agir
    contre ces intentions malveillantes. Il faudrait néanmoins pouvoir alourdir
    les peines prévues, en tenant compte par exemple des dégâts moraux que
    ce harcèlement a provoqué sur la victime.

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