Le « plaider coupable » : peine au rabais ou accélération bienvenue de la justice pénale ?

par Adrien Masset - 17 juin 2016

La loi dite « Pot Pourri II » du 5 février 2016, entrée en vigueur le 1er mars 2016, a introduit en procédure pénale belge un article 216 dans le Code d’instruction criminelle, qui inaugure la procédure de « reconnaissance préalable de culpabilité », que l’on résumé par l’appellation du « plaider coupable ».

De quoi s’agit-il ? Qu’en penser ?

Voici le point de vue d’Adrien Masset, avocat aux barreaux de Verviers et de Liège, professeur à l’Université de Liège et à HEC-ULg

1. Par cette loi, la Belgique permet ainsi le jugement accéléré d’affaires pénales, comme la France le fit dès 2004 ou les pays anglo-saxons (plea bargaining) depuis bien longtemps (il est renvoyé à cet égard à l’article que Benoît Frydman a consacré à ce système en droit américain le 23 mai 2011 sur Justice-en-ligne, « Guilty or not guilty ? » ) : celui qui est en aveux a tout intérêt, penserait-on, à trouver accord avec le procureur sur la peine à subir. L’idée sous-jacente est qu’une peine acceptée est plus rapidement prononcée, gagne en efficacité et est plus facile à exécuter qu’une peine imposée.

2. Si c’est le tribunal qui homologue l’accord intervenu entre le procureur et le coupable, il demeure que le tribunal garde un pouvoir d’appréciation : il vérifie que le prévenu a accepté la procédure en connaissance de cause, qu’il a été assisté d’un avocat, qu’il a bénéficié du délai légal de réflexion, que la peine est proportionnée à la gravité des faits, à la personnalité du coupable et à la volonté de ce dernier d’indemniser les victimes ; le tribunal n’a que le choix d’homologuer ou de ne pas homologuer et il ne peut donc pas modifier l’accord intervenu ; s’il y a refus d’homologation, le dossier repart chez le procureur (pour un nouvel accord ou pour une procédure classique).

Le texte légal autorise cette procédure pour presque toutes les infractions, crimes ou délits, et ne l’interdit que pour les crimes les plus graves (par exemple un meurtre, un viol, une infraction de mœurs sur mineur) ; le suspect n’a pas un droit acquis à obtenir un plaider coupable car le monopole en est réservé au procureur : impossible pour le suspect de terminer une procédure pénale par un plaider coupable si le procureur n’y consent pas ; la conclusion d’un accord sur le plaider coupable peut intervenir durant l’enquête quand le dossier est dans les mains du procureur ou quand le dossier est fixé devant le tribunal de police ou devant le tribunal correctionnel ; elle n’est pas possible quand le dossier est à l’instruction car il faut attendre la fin de celle-ci.

3. La première condition est, évidemment, que le suspect reconnaisse sa culpabilité (et donc accepte d’indemniser les victimes) et que le procureur accepte de se contenter d’une peine au rabais par rapport à ce qu’il aurait demandé devant le tribunal ; là est évidemment toute l’ambiguïté du système : comment mesurer concrètement la réelle diminution de peine (d’emprisonnement, d’amende, de peine de travail, etc.) qui sera obtenue ; le procureur n’acceptera assurément pas de s’engager dans une discussion de marchand de tapis et le suspect devra, sans réelles références, se convaincre d’une réelle diminution de peines. Le suspect pourrait y avoir un vif intérêt si la peine convenue n’est pas de nature à entraîner la révocation d’un précédent sursis ou d’une précédente libération conditionnelle ou reste confinée à une peine qui ne figure pas dans les extraits de casier judiciaire.

4. Sur papier, la formule est généreuse et séduisante : il demeure qu’elle pose des questions lancinantes, et notamment celles-ci :
 Le plaider coupable est-il une manière d’accélérer le traitement de certaines affaires pénales ou d’aboutir à une condamnation pénale de personnes qui, en l’absence de cette procédure, auraient obtenu un classement sans suite ? C’est que cette procédure semble réservée aux affaires simples, avec un prévenu en aveux, sans difficultés procédurales ou probatoires.
 Que peut réellement offrir un procureur face à un prévenu qui, en toute hypothèse, obtiendrait une suspension simple du prononcé ou une simple déclaration de culpabilité devant un tribunal correctionnel ?
 Comment un prévenu, même assisté d’un avocat, peut-il réellement mesurer une diminution de peine par rapport à celle qu’il aurait encourue devant un tribunal pénal ?
 L’aveu ne devient-il pas une circonstance atténuante ?
 Les juges correctionnels n’apprécient guère d’être dépossédés de leurs prérogatives et auront-ils des velléités de refuser l’homologation d’accords intervenus entre procureur et prévenu, à leur insu et sans leur intervention ?
 Certes la victime voit ses droits garantis mais ne se trouve-t-elle pas frustrée d’un procès au rabais ?

5. Sans aucun recul pratique à ce stade, il peut être observé que ne paraissent pas devoir se présenter en Belgique les dérives anglo-saxonnes, où celui qui n’a pas conclu un plea bargaining s’oblige à entrer dans une phase lourde, périlleuse et coûteuse de contestation de l’accusation. En Belgique, le ton est en effet donné bien plus tôt. D’une part, le dossier répressif, écrit durant l’enquête d’information ou d’instruction, permet un bien meilleur pronostic quant à un verdict de culpabilité ou d’acquittement. D’autre part, le juge correctionnel doit, pour homologuer l’accord, vérifier la réalité des faits et la proportionnalité des peines convenues ; ce faisant, il doit aussi examiner le dossier, ce qui n’est pas une garantie d’accélération de la justice.

6. Il peut aussi être observé qu’en France, sur une dizaine d’années d’expérience, environ 12 % des dossiers correctionnels relèvent de cette procédure avec un taux d’homologation de 84 % qui est même porté à 92 % quand les prévenus sont présents ou représentés à l’audience d’homologation ; les débats relatifs à ces dossiers se limitent à moins de quinze minutes et concernent, pour l’essentiel, des dossiers d’atteintes aux biens.

7. Il demeure que l’initiative de la procédure de plaider coupable peut émaner de la défense, ce qui responsabilise d’autant l’avocat du suspect en aveux, mais que le procureur reste maître de la procédure, le dernier mot revenant quand même au tribunal au travers de l’homologation : même dans ce cas, c’est le tribunal qui prononce la peine qu’il aura homologuée.

8. Laissons la pratique s’installer avant de porter une appréciation plus tranchée sur cette nouveauté en procédure pénale belge, pourtant soufflée dans l’oreille des législateurs par le Conseil de l’Europe depuis …1987.

Votre point de vue

  • skoby
    skoby Le 19 juin 2016 à 16:29

    Effectivement, plein de bon sens...mais attendons la mise en pratique pour
    se faire une idée plus précise.

    Répondre à ce message

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 18 juin 2016 à 14:55

    Cet article est vraiment très intéressant (le point 4 résume super bien les questions possibles) et sa conclusion, au point 8, me semble pleine de bon sens : attendons et voyons comment se déroule cette pratique (wait and see).

    Répondre à ce message

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