Liberté d’expression et discours haineux : Fouad Belkacem voit son recours déclaré irrecevable par la justice européenne

par Edouard Cruysmans - 22 septembre 2017

Le 20 juillet 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevable la requête déposée par Fouad Belkacem, leader et porte-parole de Sharia4belgium, contre sa condamnation, en Belgique, pour des propos haineux diffusés sur internet.

Décryptage par Édouard Cruysmans, assistant à l’Université catholique de Louvain et chercheur à l’Université Saint-Louis–Bruxelles, doctorant.

1. Introduction. Peut-on tout dire et divulguer sur internet ? C’est en somme à cette question que la Cour européenne des droits de l’homme s’est attelée à répondre à la suite d’une requête introduite par Fouad Belkacem à l’encontre de sa condamnation par les juridictions belges pour des propos haineux incitant à la discrimination et à la haine. La décision rendue par la juridiction européenne est claire : de tels propos ne peuvent entrer dans le champ d’application du droit à la liberté d’expression.

2. Les faits et procédures en Belgique. Fouad Belkacem a été le leader et le porte-parole de Sharia4belgium, une organisation djihadiste reconnue par la justice belge comme étant une association terroriste, et dissoute en 2012.
La justice belge lui reprochait d’avoir diffusé des vidéos accessibles au public sur la plateforme YouTube. Elle s’est penchée sur le contenu de ces vidéos, les considérant comme incitant à la haine et à la discrimination. Sur ces fondements, le Tribunal correctionnel d’Anvers a considéré que Fouad Belkacem avait enfreint des dispositions pénales. Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel d’Anvers, un pourvoi en cassation ayant ensuite été rejeté.

3. En droit. En Belgique, nous disposons d’un arsenal de loi condamnant l’ensemble des comportements haineux et discriminatoires. Il existe une première loi datant du 30 juillet 1981 ‘tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie’ (dite aussi « loi Moureaux », du nom du ministre de la Justice de l’époque). En 1995, une loi consacre l’interdiction des discours visant à nier, minimiser, justifier ou approuver le génocide des Juifs commis durant la seconde guerre mondiale. En 2007, plusieurs lois renforcent la protection contre les discriminations. L’une d’elle porte sur la lutte contre la discrimination, l’autre vise plus particulièrement la discrimination entre hommes et femmes. Dans cette dernière perspective, citons encore la loi du 22 mai 2014 ayant pour objet la lutte contre le sexisme.

En l’espèce, les comportements pénaux reprochés à Fouad Belkacem s’inscrivent dans la loi de 2007 ‘tendant à lutter contre certaines formes de discrimination’. Plus précisément, les vidéos mises en ligne incitaient à discriminer des personnes ou des groupes de personne, incitaient à la haine et à la violence à l’égard de ces individus et incitaient à la ségrégation d’une communauté.

4. La décision de la Cour. Selon Fouad Belkacem, l’ensemble de ces propos ne font que relater son opinion et ses idées, celles-ci devant être protégées par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre le droit à la liberté d’expression.

La Cour débute son raisonnement en rappelant « le caractère éminent et essentiel de la liberté d’expression », cette-dernière constituant l’un des fondements les plus importants de nos sociétés démocratiques. Cependant, aussi fondamentale soit-elle, cette liberté n’est pas sans limite. La Cour évoque alors l’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cet article précise que les dispositions de la Convention européenne ne peuvent être utilisées pour détruire les droits et libertés consacrés par cette même Convention. Tout en rappelant que l’article 17 ne s’applique « qu’à titre exceptionnel et dans des hypothèses extrêmes », la Cour décide d’en faire usage : elle considère que Fouad Belkacem « tente de détourner l’article 10 de la Convention de sa vocation, en utilisant son droit à la liberté d’expression à des fins manifestement contraires à l’esprit de la Convention ». C’est en ce sens qu’elle déclare la requête irrecevable en raison de son non-fondement manifeste.

5. Conclusion. La Cour européenne des droits de l’homme confirme, en déclarant cette requête irrecevable, le raisonnement qui avait été tenu par les juridictions belges. Elle rappelle, par cette décision, qu’on ne peut se prévaloir de la liberté d’expression pour faire passer des messages qui vont à l’encontre des valeurs du texte européen. La Cour garantit qu’il n’existe pas de liberté pour les ennemis de la liberté.

Votre point de vue

  • francine
    francine Le 24 septembre 2017 à 19:10

    Inévitablement, on fait le rapprochement avec la ridicule et scandaleuse

    condamnation du député Laurent Louis ?

    • Justice-en-ligne
      Justice-en-ligne Le 25 septembre 2017 à 10:58

      Justice-en-ligne consacrera un article à la décision de justice qui oblige Laurent Louis, en raison de ses propos négationnistes, qui sont donc condamnés, à se rendre à cinq reprises pendant cinq ans dans un camp de concentration de l’Allemagne nazie.

    • Nadine Goossens
      Nadine Goossens Le 30 septembre 2017 à 12:57

      Est ce que les tribunaux d’Anvers (Antwerpen) réserveront le même type de sanction aux coupables de la commercialisation des "diamants du sang" qui circulent librement sur les marchés internationaux et qui sont notamment échangés sur la place d’Anvers malgré les sanctions européennes https://lilianeheldkhawam.com/2017/09/12/les-diamants-de-sang-zimbabweens-circulent-librement-sur-les-marches-internationaux-la-tribune/ ?

      Ca fait déjà loin le Mozambique, non ?

    Répondre à ce message

  • skoby
    skoby Le 26 septembre 2017 à 15:09

    Tout-à-fait d’accord avec la décision de la Cour.
    Aucun doute possible

    Répondre à ce message

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Edouard Cruysmans


Auteur

professeur invité à l’Université Saint-Louis–Bruxelles, maître de conférence invité à l’Université catholique de Louvain, Professional Support Lawyer

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