Lorsqu’une personne irresponsable de ses actes en raison de son handicap mental commet une infraction, elle fait l’objet d’une mesure d’internement, destinée à la soigner plutôt qu’à la placer le cas échéant en prison.
Pourtant, un récent rapport d’UNIA fait état de problèmes dans l’application de ces principes inscrits dans la loi.
Thérèse Jeunejean, notre journaliste, nous présente ce rapport.

La Belgique condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme

1. À plusieurs reprises, la Belgique a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme concernant le traitement de ces personnes internées : elles se retrouvaient trop souvent en prison, sans accès aux soins dont elles avaient besoin et auxquels elles avaient droit.
Justice-en-ligne a déjà fait écho à ces condamnations, plus particulièrement dans l’article suivant de François Deguel, « Quel traitement pour un délinquant-malade mental ? La Cour européenne des droits de l’homme précise sa jurisprudence ».

Des lois, des progrès, mais…

2. Une loi du 5 mai 2014 a posé un certain nombre de principes destinés à prendre en considération la particularité des « délinquants » qui sont des malades mentaux.
Ces personnes font alors l’objet d’une mesure d’internement, que la loi définit comme étant « une mesure de sûreté destinée à la fois à protéger la société et à faire en sorte que soient dispensés à la personne internée les soins requis par son état en vue de sa réinsertion dans la société ».
La loi du 5 mai 2014, entrée en vigueur en 2016, a été présentée sur Justice-en-ligne par Florence Thibaut de Maisières dans son article intitulé « Depuis le 1er octobre 2016, une nouvelle vision de l’internement est en vigueur ».
Cette loi limite l’internement aux faits graves, provoquant une atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’un tiers.

3. Ces dernières années, des progrès ont bien été réalisés. Des places d’accueil ont été créées dans des institutions de soins. Autre amélioration importante : un suivi tout au long du trajet de soins doit faciliter la sortie de l’internement.
Aujourd’hui cependant, la Belgique fait interner plus rapidement de plus en plus de personnes : en 2017, il y eut 286 décisions d’internement alors qu’en 2020, elles étaient 475. Une augmentation de 66 % en trois ans.

Comment cela se passe ?

4. Une décision d’internement peut être prise par la chambre du conseil ou la chambre des mises en accusation ou encore par le tribunal correctionnel, une cour d’appel, voire la cour d’assises. Ensuite, la chambre de protection sociale, qui fait partie de certains tribunaux de première instance et des tribunaux de l’application des peines constituée en leur sein, décide d’un placement en institution ou d’une libération à l’essai, avec des conditions.
S’il s’agit d’un placement, cela peut être dans un établissement soignant des personnes atteintes de troubles psychiques (un établissement de défense sociale, un centre de psychiatrie légale, un hôpital psychiatrique). La durée n’est jamais précisée. Si l’intéressé est en prison au moment de la décision, il devra y attendre qu’une place se libère dans le lieu décidé. S’il y a libération à l’essai, la personne devra suivre des conditions et sera suivie par un assistant de justice dépendant des Maisons de Justice.
La chambre de protection sociale est une section du tribunal de l’application des peines, qui est lui-même une subdivision des tribunaux de première instance d’Anvers, Gand, Liège, Mons et Bruxelles. La chambre de protection sociale est présidée par un magistrat, assisté de deux assesseurs, soit un psychologue et une personne spécialisée en réinsertion sociale. Le parquet est présent. Cette chambre fonctionne à huis clos.

Une importante enquête d’UNIA

5. LeCentre interfédéral belge contre les discriminations et pour l’égalité des chances (UNIA)est une institution indépendante qui lutte contre toutes les discriminations.
À ce titre, il reçoit régulièrement des informations et demandes de personnes internées dans différents lieux. Celles-ci signalent des difficultés concernant les conditions de détention, l’accès à la vie affective et sexuelle, l’accès aux soins ou encore aux procédures relatives à leur internement.
Or UNIA est chargé du suivi d’une Convention de l’ONU ‘relative aux droits des personnes handicapées’ (dont font partie les personnes victimes de troubles psychiques). Ce traité international invoque notamment le droit à une vie hors institution.

6. UNIA vient donc de réaliser une importante enquête dans différents centres hospitaliers psychiatriques, des annexes psychiatriques de prison et des sections de défense sociale. Les enquêteurs ont pu s’entretenir avec 91 patients et plus d’une centaine de professionnels.
À chaque stade du parcours des personnes internées, les enquêteurs ont constaté des difficultés et émis des propositions.

Plusieurs manquements

7. Au cours des dernières années, la santé mentale de la population s’est dégradée. L’accès aux soins, à une aide adéquate, qui serait bien utile avant qu’il soit question de problèmes psychiques graves et d’internement, est difficile.
Ensuite, la psychiatrie médico-légale manque d’experts et de moyens alors qu’elle devrait éclairer les juges quant à la décision à prendre.
Il y a d’autres manquements : les dispositifs de soins devant prendre en charge les personnes internées sont insuffisants et saturés. À cause de ce manque de moyens, certaines personnes internées qui pourraient bénéficier d’une libération à l’essai se retrouvent bloquées, privées de liberté. Elles sont maintenues dans leur lieu de placement ou, plus grave, dans l’annexe psychiatrique d’une prison, voire dans une prison ordinaire.
Selon UNIA, les personnes âgées, les personnes avec une déficience intellectuelle et les personnes avec un double diagnostic sont particulièrement lésées. C’est aussi le cas des étrangers sans titre de séjour qui, n’ayant pas accès aux soins médicaux, séjournent en prison ou en établissement de défense sociale sans espoir de libération.

Remarque particulière : trop souvent, la prison

8. Une majorité de personnes internées sont passées par la prison par exemple parce qu’elles ont été en détention préventive. Pourtant, UNIA observe « à quel point le passage en prison fracture des parcours de vie déjà très fragiles ».
D’autres personnes internées s’y retrouvent par manque de place dans un établissement adéquat alors que certaines personnes devraient être internées dans un établissement spécialisé mais elles sont envoyées en prison, faute de place. Cela devrait être banni !
En juin 2023, 523 personnes internées séjournaient toujours dans un contexte d’emprisonnement, dont UNIA souligne les conséquences négatives.
En témoignent aussi des personnes interrogées : « Dès que tu as cette empreinte sur toi, tu ne peux plus t’en débarrasser. Comme le chantait Stromae : tu l’es, tu l’étais et tu le restes ». Ou encore : « Il y a quelque chose de brisé à l’intérieur, j’ai du mal à récupérer. Depuis, je ne supporte plus de voir des gens. Ce passage en prison n’est pas facile à gérer dans ma vie de tous les jours », explique une personne libérée définitivement.

Votre message

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Votre message

Les messages sont limités à 1500 caractères (espaces compris).

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document

Thérèse Jeunejean


Auteur

Diplômée en psycho-pédagogie et journaliste, elle a été la première plume en Belgique francophone à mettre l’actualité socio-économico-politique à la portée d’un jeune public. Sur Questions-Justice, elle décode aujourd’hui le fonctionnement de la justice.

Partager en ligne

Articles dans le même dossier

Avec le soutien de la Caisse de prévoyance des avocats, des huissiers de justice et des autres indépendants
Pour placer ici votre logo, contactez-nous