La Cour de cassation de France inaugure la demande d’avis consultatif à la Cour européenne des droits de l’homme

par Denis Jouve - 1er mars 2019

La possibilité pour les hautes juridictions nationales de dialoguer avec la Cour européenne des droits de l’homme, que constitue la procédure d’avis consultatif prévue par le Protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme, n’est entrée en vigueur que depuis le 1er août 2018 et, déjà, une première juridiction s’adresse à Strasbourg : par un arrêt du 5 octobre 2018, la Cour de cassation de France a été la première juridiction européenne à utiliser ce mécanisme de dialogue.

Denis Jouve, professeur à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, nous a déjà éclairé, le 20 juin 2018, sur ce mécanisme d’avis consultatif. Cette demande d’avis venant de France lui permet de rendre concret ce qui nécessairement a été exposé de manière plus abstraite dans un premier temps.

1. Ainsi qu’il a été vu dans cette contribution précédente, le Protocole n°16 est entré en vigueur à la suite de la ratification par la France et permet aux plus hautes juridictions des États l’ayant ratifié de consulter la Cour européenne des droits de l’homme.

Quelques mois plus tard, la Cour de cassation de France a décidé de mettre en œuvre ce nouvel outil au service de la protection des droits et libertés fondamentaux.

2. En l’espèce, l’Assemblée plénière, qui est la formation la plus solennelle de la Cour de cassation, était saisie de la question de la transcription d’un acte de naissance établi en Californie pour un enfant né en 2000 de mère porteuse.

La Cour de cassation avait déjà refusé une telle transcription au motif que toute convention de gestation pour autrui (GPA) est nulle en droit français.
Néanmoins, à la suite de ce refus, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit à la vie privée et familiale (Cour eur. D.H., 26 juin 2014, Mennesson c. France n°65192/11).

3. Saisie à nouveau, la Cour de cassation a estimé que l’existence d’une convention de GPA ne faisait pas obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi à l’étranger.
Cependant, le droit français s’oppose à une telle transcription pour la mère d’intention, mère qui se distingue de la mère biologique dans le cadre de la GPA.

La Cour de cassation demande donc à la Cour européenne des droits de l’homme si ce refus d’établir une filiation à l’égard de la mère d’intention est contraire à l’article 8 de la Convention et s’il faut distinguer la situation dans laquelle l’enfant est conçu avec les gamètes de la mère d’intention.
Elle demande également à la Cour si l’adoption de l’enfant par cette dernière permet de respecter l’article 8 de la Convention.
La Cour de cassation a suspendu sa décision dans l’attente des réponses de la Cour européenne des droits de l’homme à ses questions.

4. Les conditions de la demande d’avis sont réunies ainsi que l’a confirmé très sommairement la Cour européenne des droits de l’homme le 3 décembre 2018 : les questions sont posées à l’occasion d’un litige pendant, même s’il s’agit de la procédure particulière de réexamen à la suite d’une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, et on est bien en présence d’une question de principe sur la marge d’appréciation de la France dans le respect du droit à une vie privée et familiale.
Néanmoins, en marge de la philosophie du Protocole n° 16, il n’est pas tant question ici d’éviter une future condamnation de la France que de régler les conséquences d’une ancienne condamnation et d’exécuter un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.

Si celle-ci juge les conditions réunies, elle rendra un avis mais qui ne sera pas contraignant ; la Cour de cassation restera libre de sa décision mais le poids symbolique de l’avis rendu devrait pousser la juridiction française à s’y conformer.

5. Par la mise en œuvre de cette procédure, la Cour de cassation montre sa volonté d’accorder sa jurisprudence avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme sur une affaire complexe.
Cette demande n’est sans doute pas dénuée d’intention stratégique de la part de la Haute juridiction française puisque l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme permettra de renforcer sa future solution, que celle-ci confirme le droit positif ou qu’elle justifie au contraire un revirement de jurisprudence.

Pour le dire autrement, la mise en œuvre du Protocole n° 16 offrira à la Cour de cassation un argument de poids pour légitimer sa solution sur une question de société hautement sensible.
Il ne reste dès lors plus qu’à attendre le premier avis rendu par la Cour européenne des droits de l’homme au titre de la mise en œuvre du Protocole n° 16.

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