La Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour la situation déplorable dans une de ses prisons. Quid de la Belgique ?

par Réginald de Béco - 21 mai 2013

La Cour européenne des droits de l’homme, par son arrêt du 25 avril 2013, Canali c. France, a condamné les conditions de détention du requérant à la prison de Nancy, qualifiées de « traitement dégradant » et donc constitutives de violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants »).

Réginald de Béco, avocat spécialiste en droit pénal et en droits de l’homme, président de la Commission Prisons de la Ligue des droits de l’homme, détaille ci-après les éléments de fait qui expliquent cette condamnation, au regard notamment des principaux critères énoncés en ce qui concerne les conditions de détention par le Comité européen pour la prévention de la torture, des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Il propose également un parallèle avec la situation qui prévaut dans les prisons belges.

Cet article prolonge de manière particulièrement concrète plusieurs autres déjà publiés sur ce sujet sur Justice-en-ligne, que l’on peut consulter en saisissant par exemple le mot « Prison » dans le moteur de recherche. Il est fait référence notamment à l’interview donné sur notre site par Benjamine Bovy, avocate au barreau de Bruxelles et membre de l’Observatoire international des prisons, le 4 juin 2012, sur la crise du système pénitentiaire belge.

1. L’arrêt du 25 avril 2013 de la Cour européenne des droits de l’homme décrit ainsi les faits de la cause :

« 6. Le requérant fut placé en détention provisoire du 15 janvier 2003 au 30 mars 2006 pour des faits de meurtre. Dans l’attente de son jugement, il fut placé sous surveillance électronique du 30 mars 2006 jusqu’au jour de sa condamnation. Par un jugement du 24 mai 2006, le requérant fut condamné à huit ans d’emprisonnement et immédiatement incarcéré à la maison d’arrêt de Nancy. 7. Le 13 juin 2006, les services pénitentiaires procédèrent à une fouille générale de la cellule 214 A que le requérant partageait avec un autre prisonnier. Le balai dont ils disposaient jusqu’alors aux fins d’entretien de leur cellule leur fut retiré à cette occasion. 8. Le 15 juin 2006, le requérant adressa à la directrice de l’établissement pénitentiaire et au surveillant-chef une demande écrite aux fins d’installation d’une porte aux toilettes de la cellule, de réparation de ces toilettes en raison d’une fuite et d’un manque de pression de la chasse d’eau et enfin de réparation de prises électriques situées à proximité du lavabo. Il ne reçut alors aucune réponse. Il réitéra oralement sa demande aux surveillants d’étage sans obtenir de réponse. 9. Le 3 juillet 2006, il renouvela sa demande par écrit auprès du surveillant. A cette occasion, il fit valoir que « son collègue et lui même étaient dans un état d’hygiène pitoyable ». Il demanda un balai, un balai brosse et des produits d’entretien. 10. Le 25 juillet 2006, le requérant déposa plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Nancy dans le but de contester ses conditions de détention (pas de porte de WC, fuite de la chasse d’eau et manque de pression, fixation d’une planchette murale pour les ustensiles de cuisine, fixation du plateau de la table, remise en état de la pile électrique située près du lavabo) ».

Au juge d’instruction, le requérant précisa encore sa plainte en ces termes : « _ 1. Ce qui est inhumain, c’est de faire ses besoins à la vue de tous. 2. Le manque de pression de la chasse d’eau m’oblige à réduire les excréments afin qu’ils puissent s’écouler normalement dans l’évacuation. 3. La prise électrique (qui est déboîtée) crée un risque évident d’électrocution, car proche du lavabo, source d’eau [...] ».

Par une ordonnance du 31 octobre 2006, le doyen des juges d’instruction rendit une ordonnance d’irrecevabilité au motif qu’à la supposer établie, l’infraction devait être reprochée à l’administration pénitentiaire et était donc du ressort de la juridiction administrative.

Par un arrêt du 1er mars 2007, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy estima que le juge d’instruction était compétent pour connaître des faits mentionnés dans la plainte et infirma l’ordonnance de refus d’informer prise le 31 octobre 2006. Elle considéra que les faits dénoncés pouvaient entrer dans le champ d’application de l’article 225-14 du Code pénal dans la mesure où : - la personne détenue est, du fait de la privation de sa liberté d’aller et venir, incontestablement en situation de vulnérabilité, au point que des droits spécifiques ont été édictés en sa faveur par le législateur pour compenser son état d’infériorité, et que l’article préliminaire du code de procédure pénale lui garantit que les mesures de contrainte dont elle fait l’objet ne doivent pas porter atteinte à sa dignité, - sa détention s’analyse, au moins en partie, comme un hébergement, ainsi qu’il ressort des articles D. 342 à D. 348 du Code de procédure pénale relatifs à l’entretien des détenus et des articles D. 349 à D. 359 relatifs aux conditions d’hygiène dont ils doivent bénéficier, en particulier en ce qui concerne la literie, la salubrité et la propreté des locaux.

Auditionné par le nouveau juge d’instruction chargé de l’affaire. Il déclara ce qui suit :

« [...] Il n’y avait pas de porte pour les toilettes. On mettait une couverture pour avoir de l’intimité mais les surveillants nous la faisaient ôter parce que c’était interdit. Il y avait un muret qui séparait le WC du reste de la cellule, et comme la fenêtre était du côté des WC, nous avions très peu de lumière dans la cellule. La lumière était obstruée par le muret, les barreaux, les grilles et l’étroitesse de la fenêtre. Près du lavabo, il y avait une prise électrique qui pendait, cela présentait des risques car elle se trouvait à 50-60 cm du lavabo.

Les armoires qui devaient être fixées au mur en hauteur, étaient posées au sol et n’avaient plus de portes, si bien que nos affaires traînaient par terre.

J’estime la taille de la cellule à 9 m² ou 9.5 m². La fenêtre devait faire 1 m² environ. Les lits superposés qui étaient normalement scellés au mur, ne l’étaient plus et il y avait des risques de chute. Lorsqu’il fait chaud, il n’y avait pas d’air, car nous étions tout en haut de la maison d’arrêt. Je restais environ 23 heures dans ma cellule. J’avais fait la demande à mon arrivée pour travailler en atelier mais je n’ai pas eu de réponse. En général, je sortais pendant l’heure de la promenade, soit le matin, soit l’après-midi. Les promenades se faisaient dans des cours d’une cinquantaine de mètres carré.

J’ai demandé à plusieurs reprises, oralement et par écrit aux surveillants, au surveillant-chef, à la directrice, plusieurs choses : la réparation de la prise, de la porte des WC qui existait à l’origine puisqu’il y avait l’encadrement, des produits d’entretien, un balai car le plafond étant très haut, il était impossible d’enlever les toiles d’araignée avec la pelle et la balayette.

Un mois, un mois et demi avant de partir, on nous a donné des produits d’entretien. La prise électrique n’a jamais été refaite du temps de mon séjour, et la porte des WC non plus. Lorsque j’ai quitté la cellule, elle était dans le même état que lorsque je suis arrivé. Il y avait la chasse d’eau qui fuyait, ce qui fait qu’il n’y avait pas de pression et que rien ne s’évacuait. Cela non plus, n’a jamais été réparé. Les murs étaient très sales. Il y avait des trous. C’était décrépi. La peinture s’écaillait. Le local des douches était très sale. Ça sentait mauvais. Il y avait une petite fenêtre dans le fond. Il n’y avait aucun système d’aération. Il y avait des cafards qui couraient partout. Il y avait un auxiliaire qui devait nettoyer les douches, ce n’est pas à nous de le faire. Ma vue a baissé sans doute à cause de la lumière artificielle ».

Saisie d’un pourvoi en cassation, dans un arrêt du 20 janvier 2009 (Bull. crim., 2009, n° 18), la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé, à propos du dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile pour des faits relatifs à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine pendant la détention en maison d’arrêt, que ces faits n’entraient pas dans les prévisions de l’article 225-14 du Code pénal et ne pouvaient admettre aucune qualification pénale.

2. Ayant épuisé tous les recours juridiques internes, le requérant s’est alors adressé à la Cour européenne des droits de l’homme.

Poursuivant la description des faits, l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme relève :

« 25. La prison de Nancy Charles III, construite en 1857, a fermé ses portes en raison de son extrême vétusté en 2009. Déjà en l’an 2000, le rapport sur la situation dans les prisons françaises de l’Assemblée Nationale parlait de ‘conditions d’accueil inacceptables des détenus masculins à la maison d’arrêt de Nancy où existent encore des dortoirs de seize places dans lesquels les détenus s’isolent par des serviettes de bain’. De même, le Garde des Sceaux de l’époque, M. Clément, a prononcé en 2005 un discours dans lequel, s’exprimant sur le projet de construction d’un nouveau centre pénitentiaire à Nancy-Maxéville, il tenait les propos suivants : ‘Je pense que vous êtes tous convaincus de l’urgence qui s’attache à la fermeture de la vieille prison Charles III. Cet établissement a fait son temps. Je tiens à remercier l’action du maire de Nancy, des responsables politiques, du Préfet et de tous les acteurs qui ont permis que ce projet avance rapidement car il y a en la matière, je le répète, urgence’. Enfin, la Commission nationale de réparation des détentions placée auprès de la Cour de Cassation, dans une décision du 29 mai 2006, a considéré qu’il y avait lieu de relever le montant de l’indemnisation de la détention provisoire injustifiée allouée en appel à un ancien détenu à Nancy en raison notamment des ‘conditions de vétusté de cette prison’ (05 CRD077).

26. Dans un article intitulé ‘Surpopulation, vétusté, problème d’accès aux soins... état des lieux sans concession de la prison Charles III’ par quatre juges nancéiens du Syndicat de la magistrature (L’Est républicain, 23 décembre 2008), il est indiqué ce qui suit : ‘260 places, 320 détenus Cette prison souffre comme la plupart des maisons d’arrêt de la surpopulation puisque 320 détenus y sont incarcérés pour une capacité de 260 places. Cette surpopulation n’est pas sans incidence sur les risques de violences au sein de l’établissement puisque les tensions s’accroissent inévitablement à raison de la promiscuité et du manque de place engendrés dans les cellules, et ce alors même que les surveillants ne sont pas à effectif complet (106 agents au lieu de 115). Les douches ne peuvent se prendre qu’une fois tous les deux jours, même si les surveillants accordent dans la mesure du possible une douche supplémentaire avant un parloir ou une audience. Par ailleurs, ils en accordent par principe une après une séance de travail ou de sport. C’est la vétusté de l’établissement qui nous a le plus frappés et c’est un véritable soulagement de savoir que la maison d’arrêt Charles III va fermer définitivement ses portes en juin 2009. Dans l’ensemble des cellules, on a pu constater la présence d’humidité, une propreté variable et un défaut d’éclairage naturel criant’. A deux dans neuf mètres carrés. Il existe des cellules très exiguës de deux détenus (9 m2) seulement percées d’une petite lucarne incapable d’assurer un éclairage naturel satisfaisant. A l’opposé, il existe des cellules de neuf personnes particulièrement vétustes où on ne trouve qu’un seul cabinet de toilette et où l’intimité ne peut être assurée que par l’installation de draps pendant sur les lits superposés. Le matériel est très ancien (lits en fer). Lors d’échanges avec les détenus, ceux-ci se sont plaints des conditions de détention, la plupart soulignant qu’ils avaient froid l’hiver, ou très chaud l’été [...] ».

3. La Cour européenne des droits de l’homme, dans son appréciation des faits, renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence tels que récemment rappelés dans les arrêts Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, §§ 139 à 159, 10 janvier 2012) et Tzamalis et autres c. Grèce, n° 15894/09, §§ 38 à 40, 4 décembre 2012).
Dans le cas d’espèce,

« 48. La Cour observe à titre liminaire que la prison concernée a fermé ses portes en 2009, soit trois ans après les faits dénoncés, en raison de sa vétusté (paragraphes 25 et 26 ci-dessus). 49. La Cour relève que le requérant a été détenu six mois à la maison d’arrêt de Nancy. La cellule qu’il partageait avec un codétenu mesurait 9 m², ce qui lui permettait de disposer d’un espace individuel de 4,5 m2, réduit cependant par les installations sanitaires (lavabo et toilettes) et les meubles de la cellule (dont une table, un lit superposé, et deux chaises). Un tel taux d’occupation correspond au minimum de la norme recommandée par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), qui dans son rapport aux autorités françaises en 2003, les invitait à « persévérer dans leurs efforts de désencombrement des établissements [de Loos et Toulon] afin qu’au plus vite le taux d’occupation de toutes les cellules de 9 à 11 m² se situe à un maximum de deux détenus » (CPT/Inf (2004) 6, § 30). Dans son rapport de 2010, le CPT faisait valoir qu’une cellule individuelle de 10,5 m2 occupée par deux détenus est « acceptable sous réserve que les détenus aient la possibilité de passer une partie raisonnable de la journée, au moins huit heures, hors de leur cellule » (CPT/Inf (2012) 13, § 78). Cela étant, l’espace de vie individuel en l’espèce ne justifie pas, à lui seul, le constat de violation de l’article 3 de la Convention (a contrario, parmi de nombreux exemples, Lind c. Russie, n° 25664/05, § 59, 6 décembre 2007 ; Mandić et Jović c. Slovénie, nos 5774/10 et 5985/10, § 77, 20 octobre 2011), une telle violation n’étant retenue que lorsque les requérants disposent individuellement de moins de 3 m² (Ananyev, précité, § 145) ».
La Cour précise encore :
« 50. Dans les affaires où la surpopulation n’est pas importante au point de soulever à elle seule un problème sous l’angle de l’article 3, la Cour rappelle que d’autres aspects des conditions de détention sont à prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, le mode d’aération, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base. Aussi, même dans des affaires où chaque détenu disposait de 3 à 4 m², la Cour a conclu à la violation de l’article 3 dès lors que le manque d’espace s’accompagnait d’un manque de ventilation et de lumière (Moisseiev c. Russie, n° 62936/00, 9 octobre 2008 ; Vlassov c. Russie, n° 78146/01, § 84, 12 juin 2008, Babouchkine c. Russie, n° 67253/01, § 44, 18 octobre 2007, et Peers c. Grèce, n° 28524/95, §§ 70 72, CEDH 2001-III). De plus, la Cour a souvent considéré qu’un exercice en plein air d’une durée très limitée constituait un facteur qui aggravait la situation du requérant, confiné dans sa cellule pour le reste de la journée sans aucune liberté de mouvement (Gladkiy c. Russie, no 3242/03, § 69, 21 décembre 2010 et Yevgeniy Alekseyenko c. Russie, n° 41833/04, § 88, 27 janvier 2011) ».
En l’espèce, en ce qui concerne le traitement dénoncé par le requérant, Monsieur Canali, à la prison de Nancy, la Cour précise :

« 51. S’agissant de la présente affaire, la Cour note que le requérant ne disposait que d’une possibilité très limitée de passer du temps à l’extérieur de la cellule. Ainsi, et le Gouvernement ne le conteste pas, l’intéressé affirme avoir été confiné la majeure partie de la journée dans sa cellule sans liberté de mouvement, la seule activité extérieure dont il bénéficiait étant la promenade du matin ou de l’après-midi à l’air libre (paragraphe 19 ci dessus) dans une cour de 50 m². Or, la Cour rappelle que selon les normes du [2e rapport général d’activité du CPT (CPT/Inf (92) 3 du 13 avril 1992, cité dans l’arrêt Samaras précité], l’exigence d’après laquelle les prisonniers doivent être autorisés chaque jour à au moins une heure d’exercice en plein air est largement admise comme une garantie essentielle (de préférence, elle devrait faire partie intégrante d’un programme plus étendu d’activité) ; il faut aussi que les aires d’exercice extérieures soient raisonnablement spacieuses. Au regard de ces éléments, la Cour estime que les modalités et la durée très limitées des périodes que le requérant était autorisé à passer hors de la cellule qu’il occupait aggravaient sa situation (voir également, paragraphe 49 ci dessus). 52. Concernant l’installation sanitaire et l’hygiène, la Cour rappelle que l’accès, au moment voulu, à des toilettes convenables et le maintien de bonnes conditions d’hygiène sont des éléments essentiels d’un environnement humain et que les détenus doivent jouir d’un accès facile aux installations sanitaires et protégeant leur intimité (Ananyev, précité, §§ 156 et 157). La Cour observe en l’espèce que les toilettes se situaient dans la cellule, sans cloison, avec pour seules séparations un muret et, en l’absence de réparation de la porte, un rideau ; ainsi, le requérant et son compagnon de cellule devaient les utiliser en présence l’un de l’autre, en l’absence d’intimité, étant précisé que le lit était situé à 90 cm de celles-ci. Or, la Cour rappelle que selon le CPT, une annexe sanitaire qui n’est que partiellement cloisonnée n’est pas acceptable dans une cellule occupée par plus d’un détenu (CPT/Inf (2012) 13, précité, § 78). Les photographies fournies par l’administration pénitentiaire au juge d’instruction ne permettent pas de dire que l’installation sanitaire était délabrée ou en mauvais état de fonctionnement ; en revanche, elles démontrent qu’elle n’offrait aucune intimité réelle (voir, par exemple, Mustafayev c. Ukraine, n° 36433/05, § 32, 13 octobre 2011 ; Veniosov c. Ukraine, n° 30634/05, § 36, 15 décembre 2011). Par ailleurs, eu égard aux pièces du dossier, la Cour n’est pas en mesure de confirmer les allégations du requérant quant au délabrement des installations de douche et à la présence de cafards dans les cellules, mais les conditions d’hygiène décrites, notamment le manque de propreté, sont plus que plausibles et reflètent des réalités décrites par des magistrats et des hommes politiques dénonçant la vétusté de l’établissement (paragraphes 25 et 26 ci-dessus) ».

4. Ainsi, au regard de tous ces éléments, la Cour conclut :
« 53. Eu égard à tout ce qui précède, la Cour considère que l’effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles d’hygiène ont provoqué chez le requérant des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à l’humilier et à le rabaisser. Dès lors, la Cour estime que ces conditions de détention s’analysent en un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition ».

5. Mutatis mutandis, cette condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme des conditions de détention à la prison de Nancy en France aurait très bien pu s’appliquer aux conditions de détention, tout aussi inacceptables, dans de nombreuses prisons belges.

Ainsi, par exemple, à la prison de Forest. Alors qu’à la prison de Nancy, la Cour relève que « 320 détenus y sont incarcérés pour une capacité de 260 places », nous savons qu’à la prison de Forest, il y eut un pic de surpopulation de 740 détenus pour 365 cellules. Alors qu’à Nancy « il existe des cellules très exiguës de deux détenus (9 m2) seulement percées d’une petite lucarne incapable d’assurer un éclairage naturel satisfaisant », Forest connaît un très grand nombre de « trios », soit des cellules tout aussi exiguës mais pour trois détenus dans 9 m2. A Nancy, « les douches ne peuvent se prendre qu’une fois tous les deux jours, même si les surveillants accordent dans la mesure du possible une douche supplémentaire avant un parloir ou une audience », alors qu’à Forest, par application du Règlement d’ordre intérieur, c’est au maximum deux douches par semaine dont peuvent bénéficier les détenus, sauf les quelques travailleurs qui ont droit à une douche quotidienne.

A de nombreuses reprises, la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt, fait référence aux rapports et recommandations du CPT (le Comité européen pour la prévention de la torture, des peines ou traitements inhumains ou dégradants, dit aussi « Comité anti-torture » du Conseil de l’Europe). A propos de l’exigüité des cellules : « Dans son rapport de 2010, le CPT faisait valoir qu’une cellule individuelle de 10,5 m2 occupée par deux détenus est ‘acceptable sous réserve que les détenus aient la possibilité de passer une partie raisonnable de la journée, au moins huit heures, hors de leur cellule’ (CPT/Inf (2012) 13, § 78) ».

6. Après chaque visite en Belgique, et notamment après sa visite « ad hoc » du 23 au 27 avril 2012 (CPT/Inf (2012) 36), le CPT rédige un « rapport au Gouvernement de la Belgique », qui reste lettre morte ; Justice-en-ligne y a fait écho (« Le Comité anti-torture du Conseil de l’Europe confirme la situation lamentable des prisons belges "). Le CPT n’a pas de pouvoir contraignant mais fait des recommandations au Gouvernement auxquelles ce dernier doit répondre et le fait en général en l’assurant que tout est mis en œuvre pour que cela change… Ainsi, tout comme la prison de Nancy, celle de Forest connaît un état de vétusté et d’insalubrité invraisemblable. Il y a de nombreuses années que sa fermeture est annoncée. Elle va être remplacée par celle de Haren, dont on nous annonce l’ouverture en 2018 si pas en 2020.

Sa construction n’a d’ailleurs pas encore commencé et elle est sérieusement menacée par des risques de recours des riverains. En attendant, rien n’est fait à la prison de Forest. Les détenus des ailes A et B sont toujours condamnés à faire leur besoins naturels dans des sceaux hygiéniques, vidés deux fois par jour dans un dépotoir commun, les « trios », qui avaient été drastiquement limités par un arrêté de police de l’ancienne bourgmestre de Forest, Magda De Galan, sont à nouveau plus nombreux avec la remontée de la surpopulation.

Le Gouvernement belge ne s’est jamais réellement préoccupé des rapports et des recommandations du CPT. Aujourd’hui, il va devoir y faire attention dans la mesure où la Cour européenne des droits de l’homme y fait de plus en plus référence. Les requérants, détenus dans les prisons du Royaume, risquent de se sentir encouragés par la jurisprudence de la Cour et les recours pourraient augmenter en conséquence. La Belgique se fera probablement condamner une fois de plus. Espérons que l’un ou l’autre responsable politique voudra l’éviter en prenant sans plus attendre les décisions qui s’imposent.

Votre point de vue

  • Gisele Tordoir
    Gisele Tordoir Le 26 mai 2013 à 19:11

    Il est inacceptable de traiter de façon inhumaine et de dégrader l’être humain. De quel droit ? Trop de condamnés se retrouvent en tôle alors qu’ ils ne le devraient pas. Comme si d’autres modes de contrôles limitant la liberté mais permettant une réinsertion n’existaient pas...Mais pour prendre la bonne décision , il faut non seulement du courage mais aussi de la compétence. Cela on on ne l’apprend pas via les études mais on l’acquiert de par l’expérience ponctuée de remises en question, de doutes, de réflexions et non de certitudes d’avoir raison. Tenant compte de la proportion d’étrangers occupant nos prisons, il est grand temps de changer d’optique et de renvoyer ces personnes dans leur pays d’origine. Il faut cesser de brader la nationalité, de quel que pays que ce soit, elle se mérite. Que nos prisons servent à nos délinquants et le problème se verra résolu. Quoi qu’il en soit, j’ apprécie le courage de madame de Galan qui a dénoncé les dépôtoirs de Forest. Punir, oui mais humilier, avilir, non, sous aucun prétexte. C’est un comble de voir condamnés ceux qui condamnent...Pauvre justice et surtout pauvres justiciables...Nous sommes vraiment en danger au lieu d’être protégés...

    • Gisèle Tordoir
      Gisèle Tordoir Le 10 juin 2013 à 14:27

      Erratum d’orthographe . ..."se retrouvent en taule..." et non pas comme je l’ai écrit trop rapidement...Faute rectifiée. Gisèle Tordoir

    Répondre à ce message

  • skoby
    skoby Le 23 mai 2013 à 22:17

    A quoi servent tous ces jugements s’il n’y a pas de mesures contraignantes !
    Il faut obliger les pays en défaut de réparer ces prisons ou d’en construire rapidement de nouvelles.
    Mais on ose pas dire le pourcentage de détenus qui proviennent de l’immigration et qui ont reçu très facilement la nationalité du pays d’accueil, ce qui fait qu’on ne peut plus
    les renvoyer dans leur pays d’origine. Là aussi, le laxisme de nos politiciens, fait que ces immigrés devenus des nationaux se retrouvent à la charge de la population.

    Répondre à ce message

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Réginald de Béco


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Avocat honoraire au barreau de Bruxelles
_Président d’honneur de la Ligue des droits humains et ancien président de sa Commission Prisons

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