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Le député Van Eyken est remis en liberté deux jours après avoir été placé en détention préventive : le mandat d’arrêt n’était pas signé comme la loi l’exige

par Joëlle Troeder - 22 février 2016

À la fin de ce mois de janvier 2016, un inculpé privé préventivement de sa liberté, a été libéré deux jours après avoir placé sous mandat d’arrêt. En cause : l’irrégularité du mandat en raison de son défaut de signature par le juge d’instruction qui l’avait délivré.

Cette affaire, en raison de la personnalité de l’intéressé, député de son état, a fait quelque bruit dans la presse.

Justice-en-ligne ne s’intéresse pas à l’affaire proprement dite mais a demandé à Joëlle Troeder, avocate au barreau de Bruxelles et assistante à l’Université libre de Bruxelles, de s’interroger sur la raison d’être d’un tel formalisme.

1. À l’instar de la question de l’admissibilité de la preuve illicite dans le cadre d’un procès pénal (voir les articles sur ce site consacrés à la jurisprudence Antigone, désormais consacrée, depuis 2013, par l’article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale : D. Vandermeersch, « Preuve illégale et procès équitable : la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation sur la même longueur d’ondes » ; A. Philippart de Foy, « La perquisition de l’opération ‘Calice’ à nouveau devant la Cour de cassation : quand illégalement ne rime pas avec écartement » ; Fr. Stévenart-Meeûs, « Preuve illégale et établissement de l’impôt : le fisc n’est pas désarmé mais ne peut tout faire »), ce fait divers pose un dilemme d’ordre éthique.

D’une part, un système judiciaire démocratique ne semble pouvoir fonctionner qu’en suivant des règles strictes, à respecter en toutes circonstances et sans possibilité d’exception, de surcroît lorsqu’il s’agit de priver quelqu’un de sa liberté d’aller et de venir. Rappelons qu’en Belgique, l’un des principes fondamentaux qui régit la question de la détention préventive est que celle-ci doit revêtir un caractère exceptionnel.

D’autre part, il est difficile de ne pas être interpellé lorsque le non-respect de règles formelles fait obstacle au déroulement normal d’une enquête portant sur des faits graves et dans le cadre de laquelle le placement sous mandat d’arrêt peut s’avérer nécessaire.

2. Mais quelle est la règle en cause ici et quel est son fondement ?

L’article 16, § 6, alinéa 1er, de la loi du 20 juillet 1990 ‘relative à la détention préventive’ dispose : « Le mandat est signé par le juge qui l’a décerné et revêtu de son sceau ». Une loi du 31 mai 2005 a ajouté la phrase suivante dans cet article : « À défaut de la signature du juge, l’inculpé est mis en liberté ». La règle est donc claire.

Les discussions préalables à l’adoption de cette loi du 31 mai 2005, qui visait à clarifier la sanction des irrégularités majeures du mandat d’arrêt prévues à peine de nullité (Doc.parl., Chambre, 2003-2004, n° 1317/005, rapport), furent très animées mais même un parti politique comme le Vlaams Belang ne discuta pas le fait que, dans le cas extrême où il y avait absence de signature du mandat d’arrêt, la nullité et la nécessité de remettre l’inculpé en liberté s’imposaient.

3. La raison de cette sanction implacable du défaut de signature, entraînant la nullité absolue du mandat, est que cette signature est précisément la garantie que l’ordre d’arrestation émane réellement d’un juge d’instruction.

Par contre, l’apposition du sceau du juge d’instruction sur ce même mandat n’a pas été considérée ni par le législateur, ni par la Cour de cassation comme prescrite à peine de nullité, étant donné que la qualité de juge d’instruction, à vérifier ici, doit normalement résulter des autres mentions du mandat d’arrêt (nom et qualité du magistrat instrumentant, date et heure de privation de liberté, etc.).

4. Pour rappel, c’est le juge d’instruction qui dans notre système démocratique est le gardien des libertés fondamentales dans le cadre de la phase préliminaire d’un procès pénal. Le système belge actuel lui donne d’ailleurs un pouvoir important dès lors qu’à tout moment de la procédure, il peut ordonner la remise en liberté de l’inculpé sans que cette décision ne soit susceptible d’aucun recours. Il est donc impératif qu’une décision de privation de liberté émane de ce magistrat et de personne d’autre. Aucun doute, aussi minime soit-il ne peut exister à cet égard.

L’absence de signature a donc été considérée comme un défaut à ce point important par le législateur qu’elle n’est pas rattrapable par la suite comme pourraient l’être d’autres irrégularités liées par exemple à des erreurs matérielles.

Faire sauter cette balise, qui semble a priori formelle mais qui a donc un sens bien plus essentiel, pourrait s’avérer extrêmement dangereux en ce que bon nombre de négligences se verraient cautionnées en mettant en péril les garanties fondamentales dont doit pouvoir bénéficier un suspect dans notre société et ce même si, sous réserve de la présomption d’innocence, il aurait commis des actes répréhensibles.

5. Il n’est pas inutile de souligner que l’article 28 de la loi sur la détention préventive prévoit qu’un nouveau mandat d’arrêt peut être décerné par le juge d’instruction pour les mêmes faits contre l’inculpé laissé ou remis en liberté notamment si des circonstances nouvelles et graves justifient l’arrestation.

L’inculpé « laissé en liberté » est précisément, comme dans le fait d’actualité qui nous occupe, celui à charge de qui il n’existe pas de titre de détention valablement décerné par un juge.

La possibilité de décerner un nouveau mandat pour les mêmes faits sur la base de l’article 28 peut notamment viser les deux hypothèses suivantes :

1° le défaut de se présenter à un acte de procédure, d’une certaine importance, notamment par négligence et non pour des raisons indépendantes de la volonté de l’inculpé, ce qui rencontre le risque de soustraction à la justice ;

2° des circonstances nouvelles et graves :

 à côté de circonstances qui ne seraient apparues que postérieurement à la mise en liberté de l’inculpé, il peut s’agir également de circonstances existant antérieurement mais qui ne se sont révélées qu’après la mise en liberté de l’inculpé ;

 ces circonstances, qui peuvent être variées et doivent présenter un certain degré de gravité lié à l’absolue nécessité pour la sécurité publique : ainsi, la jurisprudence a retenu la découverte de nouveaux indices de culpabilité, des éléments jetant un nouvel éclairage sur le degré de participation de l’inculpé aux faits, des faits qui aggravent la matérialité de l’infraction, des collusions avec des tiers ou des subornations de témoins, des préparatifs de fuite, une tentative d’organiser son insolvabilité, ou encore des faits nouveaux.

Les éléments de l’enquête en cours à charge du député Van Eyken détermineront, sur la base de ces critères, si un nouveau mandat d’arrêt peut être décerné conformément cette fois aux exigences de fond et de forme prévues par la loi.

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 20 février 2016 à 15:40

    Notre système judiciaire est, effectivement, bien malade. Il lui faut, impérativement, une cure de désintoxication, un sérieux lifting, un séjour en revalidation, une reconstruction complète, à tous les niveaux, depuis la base vers le sommet. Dans son état actuel, il ne faut surtout pas lui laisser davantage d’indépendance, bien au contraire...Mettre les bonnes personnes aux bons postes doit, tout de même, être réalisable...??? J’ai l’impression que le ministre de la justice, et toutes ses équipes, ont pris conscience des erreurs, des dysfonctionnements du système actuel.

    Répondre à ce message

  • skoby
    skoby Le 20 février 2016 à 10:42

    On fait des lois extraordinairement strictes, au profit des criminels, avec emprisonnement de 6 mois à 3 ans pour une détention illégale de plus de dix jours
    pour tout fonctionnaire ou officier public, mais le directeur de la prison, lui, il s’en
    fout qu’il y ait oui ou non un mandat d’arrêt signer.
    Il est temps de remettre tout le système judiciaire est plat et de refaire de
    nouvelles lois avec dens gens capables !

    Répondre à ce message

  • Georges-Pierre Tonnelier
    Georges-Pierre Tonnelier Le 19 février 2016 à 10:42

    Un autre garde-fou, auquel il me semble que, dans le cadre de l’affaire qui nous occupe, il n’a guère été prêté attention, est l’obligation qu’a le directeur de la prison de vérifier la légalité du mandat d’arrêt en vertu duquel la police lui amène, privée de liberté, une personne, et lui demande de l’’incarcérer.

    Si le directeur de la prison accepte dans son établissement pénitentiaire une personne qui n’y est pas amenée en vertu d’un titre légal, il se rend lui-même coupable de détention arbitraire par un fonctionnaire public, ce qui est une infraction pénale...

    Code pénal, art. 147. Tout fonctionnaire ou officier public, tout dépositaire ou agent de l’autorité ou de la force publique, qui aura illégalement et arbitrairement arrêté ou fait arrêter, détenu ou fait détenir une ou plusieurs personnes, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans.
    L’emprisonnement sera de six mois à trois ans, si la détention illégale et arbitraire a duré plus de dix jours.
    Si elle a duré plus d’un mois, le coupable sera condamné à un emprisonnement d’un an à cinq ans.
    Il sera, en outre, puni d’une amende de cinquante [euros] à mille [euros] et pourra être condamné à l’interdiction des droits indiqués aux n°s 1, 2 et 3 de [1 l’article 31, alinéa 1er]1.

    Comment se fait-il que le directeur de la prison ait accepté d’incarcérer le député Van Eyken, dès lors que la police n’était pas en mesure de présenter un mandat d’arrêt dûment signé par un juge d’instruction, et pour cause ?

    Georges-Pierre Tonnelier
    Juriste

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Joëlle Troeder


Auteur

avocate au barreau de Bruxelles
assistante à l’Université libre de Bruxelles

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