La Cour suprême des États-Unis, une institution judiciaire et politique

par Pascal Mbongo - 18 mai 2016

Le décès récent d’un des juges les plus prestigieux, mais aussi des plus conservateurs, de la Cour suprême des États-Unis, Antonin Scalia, donne l’occasion à Justice-en-ligne, de revenir sur cette juridiction, qui joue un rôle fondamental dans l’évolution de la société américaine.
Dans un premier temps, l’article qui suit, dû à Pascal Mbongo, professeur des facultés de droit à l’Université de Poitiers, avocat au Barreau de Paris, rappellera le rôle de cette Cour, en ce compris les enjeux politiques de ses décisions.
Dans un second temps, Justice-en-ligne publiera un autre article du même auteur, un peu plus développé, qui à la fois se situera dans la perspective historique tracée par la Cour suprême, mettra en lumière la conception « originaliste » du juge Scalia et évoquera les enjeux de sa succession (« La Cour suprême des États-Unis avant et après Antonin Scalia »).

La Cour suprême des États-Unis a évidemment changé en plus de deux siècles d’existence. Parce que la Constitution des États-Unis dit très peu de choses sur elle et que ce sont des lois fédérales ainsi que ses propres « code(s) de procédure » qui déterminent son fonctionnement. Parce que la Cour est une institution politique pensée comme devant être l’un des acteurs de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire aux Etats-Unis . Or cette séparation des pouvoirs elle-même épouse les formes historiques de la vie politique. Parce que la Cour est une institution judiciaire qui tranche des litiges ayant une importance politique et sociale.

Un acteur majeur de la vie politique, économique et sociale

Une décision de la Cour peut avoir une grande importance politique pour deux raisons, qui sont elles-mêmes politiques. La décision peut être politique parce qu’à travers elle la Cour valide ou invalide une institution ou une pratique réprouvée par une partie de la société.
Ce fut le cas de l’arrêt Dred Scott de 1857, qui a validé l’esclavage, de l’arrêt Brown de 1954, qui a invalidé la ségrégation raciale, ou de l’arrêt United States v. Windsor de 2013, sur le mariage homosexuel.

La décision de la Cour peut être également politique en raison de ses conséquences sur le fonctionnement des pouvoirs publics fédéraux ou locaux. Ce fut le cas de l’arrêt Miranda en 1966, sur le droit des personnes mises en cause dans une procédure pénale de garder le silence, de l’arrêt Nixon de 1974, sur la soumission au droit et à la justice du président des États-Unis, ou de l’arrêt Bush v. Gore de 2000, sur l’élection contestée du président George W. Bush.

Un acteur de la création/re-création de la Constitution

Ces décisions de grande importance politique ont un point commun, le fait que la solution des litiges en question n’est pas donnée par la Constitution. Il faut donc à la Cour faire dire quelque chose à la Constitution, l’interpréter comme disent les juristes, à partir de sa syntaxe ou d’une recherche des intentions des auteurs du texte. Sachant que, dans tous les cas, il peut y avoir plus d’une interprétation possible.

Le choix de l’une de ces interprétations peut être déterminé explicitement ou implicitement par les valeurs privilégiées par la Cour. Mais il arrive également que la Cour parte des valeurs qu’elle juge souhaitables pour en déduire une interprétation particulière de la Constitution. Ce sont ces possibilités de choix qui sont au cœur du pouvoir de la Cour suprême, comme d’autres juges après tout.

Et ce pouvoir est politique dans la double mesure où les décisions du juge résonnent de valeurs et où les conséquences en sont politiques, que ces conséquences soient jugées « progressistes », « conservatrices » ou « réactionnaires ».

Un acteur politique, bon gré mal gré

Certains juristes et hommes politiques pensent, à la manière du défunt juge Antonin Scalia, qu’il est possible de rendre ces décisions politiquement neutres. En faisant disparaître les possibilités de choix des juges en matière d’interprétation de la Constitution.

Comment ?

En s’en tenant à l’intention des auteurs de la Constitution, disent-ils. D’où le fait que l’on parle d’« originalisme » à propos de cette vision.

Problème n° 1 : il y a de nombreuses questions contemporaines qui n’étaient même pas pensables en 1787-1791, période initiale d’adoption de la Constitution américaine.

Problème n° 2 : il existe de nombreux points de la Constitution sur lesquels ses travaux préparatoires ne sont pas éclairants.

Problème n° 3 : la cinquantaine de membres de la Convention de Philadelphie, auteurs de la Constitution, n’ont pas constamment pensé la même chose et ont souvent cédé à des compromis politiques.

Comme les partisans de l’« originalisme » sont plutôt « conservateurs », leur conception est donc perçue comme étant elle-même politique et intéressée à empêcher la Cour de rendre des arrêts « progressistes ».

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 19 mai 2016 à 15:25

    Pour ce que je comprends du présent article, la justice américaine dépend de la lecture faite et donc de l’interprétation de la Constitution. Est-elle toujours impartiale ou est-elle favorable et parfois défavorable au politique ? Je pense qu’aux Etats-Unis, le lien de dépendance réciproque est évident et absolument pas camouflé entre la justice et la politique.

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Pascal Mbongo


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professeur des facultés de droit à l’Université de Poitiers, avocat au Barreau de Paris

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