La preuve pénale

par Laurent Kennes - 20 avril 2017

La question de la preuve est réglée de manière fort différente en droit pénal par rapport à d’autres domaines du droit, comme le droit civil, le droit administratif, etc.

Il faut tenir compte en effet de ce qu’il appartient fondamentalement aux autorités de poursuite (le parquet et éventuellement la partie civile) de renverser la présomption d’innocence bénéficiant à toute personne citée devant une juridiction pénale. Les procédures sont fort importantes aussi en droit pénal, toujours dans la même perspective d’éviter les abus susceptibles de porter atteinte à nos libertés, ce qui soumet les preuves au respect, en principe, des règles légales.

Laurent Kennes, avocat au barreau de Bruxelles, maître de Conférences à l’Université libre de Bruxelles, nous détaille tout cela.

1. Le débat essentiel devant toute juridiction pénale porte sur la culpabilité de la personne poursuivie.
Pour déterminer si celle-ci est ou non coupable, sera débattue la preuve devant le juge.

2. La preuve est la démonstration de la réalité d’un fait, d’un état, d’une circonstance ou d’une obligation. Elle est pertinente si la démonstration qui en sera la conséquence peut être utile à la solution du litige et donc à la question, en droit pénal, de savoir si le suspect est ou non coupable de l’infraction.

3. La preuve peut être abordée sous différents angles.

La recherche de la preuve

4. Tout d’abord, il peut être question de la recherche de la preuve.
Au cours d’une enquête pénale, les services de police, sous l’autorité du ministère public ou sous l’autorité du juge d’instruction, chercheront les éléments permettant de prouver ou non, que tel ou tel suspect est coupable.
L’administration de la preuve

5. Au-delà de la question de la recherche de la preuve, il est question de l’administration de la preuve devant le juge, c’est-à-dire de la présentation des éléments permettant de convaincre le juge pénal « au-delà de tout doute raisonnable » de la culpabilité de la personne poursuivie. C’est essentiellement de cela qu’il sera question dans le présent article.
Ceci étant dit, trois questions méritent d’être distinguées :
 celle de la charge de la preuve (qui doit prouver quoi ?) ;
 celle de la recevabilité des preuves (quels sont les modes de preuve qui peuvent être pris en compte ?) ;
 celle de l’appréciation de la preuve (quelle force probante accorder aux différents modes de preuve ?).
La charge de la preuve

6. En droit pénal, contrairement au droit civil, la charge de la preuve repose sur les épaules des parties poursuivantes, c’est-à-dire du ministère public et/ou de la ou des partie(s) civile(s). Cela signifie qu’il leur appartient d’apporter les éléments pour prouver la culpabilité de la personne poursuivie au-delà de tout doute raisonnable. S’ils n’y parviennent pas et qu’il demeure un tel doute, le prévenu ou l’accusé sera acquitté.

La preuve doit être apportée sur tous les éléments du débat (principalement : les faits ont-ils été commis ?) et sur l’imputabilité de l’infraction discutée à la personne poursuivie (qui a commis ces faits ?).
Cette dernière n’a, par contre, aucune obligation d’apporter la preuve de quoi que ce soit. Elle peut d’ailleurs garder le silence, l’exercice de ce droit ne pouvant pas être interprété comme une reconnaissance tacite de culpabilité.

7. Le juge du fond, c’est-à-dire celui qui est amené à statuer sur la culpabilité ou non du prévenu ou de l’accusé, peut avoir un rôle actif.
Il contribue activement à la recherche de la vérité. Il pose des questions en ce sens et peut demander la comparution de témoins ou la comparution d’experts, voire même ordonner qu’une expertise soit réalisée.
La recevabilité des preuves

8. Avant d’aborder la question du poids de tel ou tel élément de preuve dans l’appréciation par le juge de la culpabilité, il faut se poser une question préalable.
Les parties poursuivantes sont-elles recevables à présenter tel élément de preuve devant le juge ? Est-il admis, qu’elles puissent apporter tel ou tel type de preuve ?
À ce propos, le principe est la liberté de la preuve. Si les parties poursuivantes ont la lourde charge de la preuve, ils peuvent utiliser tous les moyens pour parvenir à cette fin.

9. Ce principe connaît tout de même des limites.

10. La première de ces limites est que ces preuves doivent être soumises à la contradiction des débats. Cela signifie que la personne poursuivie doit avoir eu connaissance des éléments présentés contre lui au titre de preuve et doit avoir eu l’occasion d’en débattre devant le tribunal. On dit qu’il doit avoir eu l’occasion de contredire les éléments présentés contre lui. Il s’agit du principe du contradictoire.
Les preuves qui n’ont pas été soumises à la contradiction des parties ne peut pas participer à convaincre le juge de la culpabilité. Elles ne sont pas recevables.

11. Toujours à propos de la question de la recevabilité de la preuve, la jurisprudence et puis la législation ont évolué sur les autres limites.
Qu’en est-il en effet des preuves qui ont été obtenues soit en violation de la loi (preuves obtenues illégalement), soit en violation d’une règle générale de droit (on parle alors plus généralement d’une preuve obtenue de manière irrégulière) ?
L’article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale prévoit à ce propos que le juge ne peut pas décider d’écarter une preuve obtenue de manière illicite, sauf dans trois hypothèses :
1° lorsqu’une règle de forme prescrite à peine de nullité a été méconnue : il faut donc que le législateur ait écrit dans la loi qui si telle formalité n’est pas respectée, la preuve obtenue est nulle. Ces cas sont extrêmement rares en matière probatoire ;
2° lorsque l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve ;
3° lorsque l’usage de la preuve compromettrait le droit à un procès équitable.
Cette disposition traduit dans la loi ce que l’on a appelé la jurisprudence « Antigone » de la Cour de cassation ; il est renvoyé sur ce point aux articles que l’on repérera dans Justice-en-ligne en saisissant le mot-clé « Antigone » dans le moteur de recherche.
Il appartient pour l’essentiel au juge du fond de décider si, compte tenu de l’ensemble des circonstances auxquelles il est confronté, la violation de la loi par ceux qui ont collecté des éléments de preuve justifie qu’il faille aller jusqu’à l’exclusion de cet élément. Sans entrer dans les détails, en pratique, la jurisprudence de la Cour de cassation a limité de manière drastique les cas où une irrégularité impliquerait l’écartement et donc la nullité d’un élément de preuve. Pour l’essentiel, cela n’est possible que lorsque la formalité qui n’a pas été respectée porte atteinte à la qualité de la défense de la personne poursuivie.
Par contre, une violation du droit à la vie privée, c’est-à-dire notamment d’une formalité prescrite par la loi pour garantir le droit à la vie privée, n’implique plus, de fait, l’irrecevabilité d’un élément de preuve pénale.
La valeur probante des éléments de preuve

12. Si la preuve est considérée comme recevable, c’est-à-dire que le juge a décidé de l’admettre dans le débat, encore faut-il décider du poids qu’aura cette preuve dans son délibéré.
Une fois encore, c’est le principe de la liberté du juge qui prévaut. Le juge décidera du poids qu’il accordera à cet élément de preuve pour juger de l’innocence ou de la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable de la personne poursuivie.

13. Il existe certaines exceptions organisées par la loi. Tantôt il s’agit d’exceptions liées à des matières spécifiques, comme en matière de chasse. Tantôt il s’agit d’éléments de preuve qui n’ont pas pu être totalement contredits. Il s’agit notamment des déclarations d’un témoin anonyme réalisées devant un juge d’instruction et dans le respect de la loi.

14. Il faut ajouter à cela des illégalités dans la recherche de la preuve qui conduisent non pas à la nullité de la preuve, mais tout simplement à la circonstance que cet élément de preuve-là ne pourra pas participer à convaincre le juge. La preuve est alors dénuée de toute valeur probante. C’est le cas notamment pour des déclarations obtenues en violation de la législation Salduz (soit des obligations d’information des personnes suspectes alors qu’elles sont interrogées par les services de police, ou encore de la violation du droit d’être conseillé ou assisté d’un avocat lors de telles auditions ; il est renvoyé sur ce point aux articles de Justice-en-ligne sur cette législation, que l’on consultera après avoir saisi « Salduz » dans le moteur de recherche).

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 24 avril 2017 à 15:22

    Très bon, très complet et intéressant article de maître Kennes. A quand un article sur "le respect du droit à la vie privée" ? Qu’est la notion de vie privée ? Qu’est-ce qui est permis, autorisé et/ou interdit ?(enregistrement vocal, photos, vidéos, traitement des données, par qui, comment ? transfert et utilisation de ces données (par qui ? comment ?). Quelles limites ? Quels milieux ? Comment apporter la preuve d’une violation, d’une atteinte à la vie privée ? Quel(s) dédommagement(s) ? Qu’est la loi "caméra ?" Qu’est la Commission de Protection de la vie Privée (CPVP) ? Entre autres questions. J’attends avec intérêt que ce site informe sur ce sujet qui me touche personnellement.

    • Gilem
      Gilem Le 10 mai 2017 à 17:26

      "Le respect du droit à la vie privée" a, en effet, depuis longtemps été l’objet d’innombrables controverses, d’autant que le droit n’a pas de définition unique, seulement consensuelle comme disent les philosophes du droit. Pour le court message présent, je me limiterai à rappeler l’oeuvre magistrale du Prof. Pierre KAYSER (Univ. d’Aix-Marseille) : "La protection de la vie privée par le droit. Protection du secret de la vie privée." Préface du Prof. Henri Mazeaud, membre de l’Institut, Fac. Droit de Paris. Edit. Presses Universitaires d’Aix-Marseille et Economica, Paris, 3ème édition, 1995. En conséquence, je souhaite également que l’honorable Prof. Me Kennes shine on, veuille bien éclairer le public sur l’état actuel de ces graves questions récurrentes vues en droit belge. Merci.

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  • Nadine Goossens
    Nadine Goossens Le 3 mai 2017 à 17:55

    Sans vouloir offenser Laurent KENNES, auteur de la chronique, je souhaite faire part d’un sentiment de plus en plus largement partagé.

    Toutes les lois votées sont purement cosmétiques. Elles n’ont pas su, pas pu ou pas voulu toucher à l’architecture du système judiciaire, en particulier dans ce qu’il y a de plus déviant et criminogène.

    Il faut en effet interroger les dispositifs normatifs et les politiques publiques qui en amont mettent en place des systèmes aussi dérégulés et criminogènes.

    On regarde ailleurs et, dans les mêmes bureaux aseptisés, on continue de rédiger des chartes inutiles. Il en va notamment de firmes installées à Bruxelles ou sous la Coupole fédérale en tant que groupes d’influences qui dictent règlement et normes.
    Mais voilà l’affaire est bonne pour les partis politiques et le recyclage luxueux de leurs dirigeants.

    De curieuses coopérations et hybridations se nouent ainsi entre criminels en col blanc, gangsters traditionnels et personnages politiques corrompus.

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  • skoby
    skoby Le 26 avril 2017 à 11:27

    Cela me paraît clair et précis.
    Très intéressant.

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  • Clarge
    Clarge Le 21 avril 2017 à 17:30

    Concis, complet et instructif.
    Merci pour cet excellent exposé.

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  • Alain Declerck
    Alain Declerck Le 20 avril 2017 à 12:07

    Excellent exposé

    Et bravo à toi

    Alain

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