1. Il fut un temps, déjà très ancien, où le procès pénal, qui trouvait sa source dans la vengeance privée, ressemblait à un duel judiciaire mettant en scène la victime et le suspect.
Aujourd’hui, si la victime a le droit de porter plainte et de se constituer partie civile en vue d’obtenir qu’un juge tranche le litige, l’action publique (c’est-à-dire l’enquête et l’éventuelle citation devant un juge pénal) est aux mains d’un organe, le parquet (le procureur du Roi et ses collaborateurs appelés substituts), qui a le droit d’intenter des poursuites dès qu’il a connaissance d’une infraction, sans se préoccuper de l’attitude qu’adoptera la personne lésée.
2. Si le plaignant est décédé avant le procès ou pendant celui-ci, cette circonstance n’a pas d’effet direct sur la poursuite de l’action publique à charge du prévenu, qui est exercée au nom de la société tout entière.
Ce prévenu, s’il est déclaré coupable, est censé rendre des comptes non seulement à la victime, mais à l’ensemble de la communauté. Ce ne serait pas faire justice que la seule circonstance du décès de la victime entraîne l’extinction des poursuites. Par ailleurs, les droits à la réparation du dommage causé par l’infraction peuvent encore être exercés devant le tribunal par les héritiers du plaignant.
3. Toutefois, dans des cas limitativement prévus par la loi, l’intentement des poursuites est subordonné à l’existence d’une plainte.
Ces exceptions se justifient pour des motifs d’ordre privé, par exemple l’intérêt des familles, ou par des considérations d’ordre politique ou social.
Tel était le cas du harcèlement (article 442bis du Code pénal) mais cette condition a été supprimée par la loi du 25 mars 2016 ; tel est toujours le cas des atteintes portées à l’honneur ou à la considération des personnes (article 450 du Code pénal : calomnie et diffamation) et des outrages à un membre des chambres législatives (article 275 du Code pénal). La loi prévoit que, dans ces cas, le désistement de la partie plaignante, avant tout acte de poursuite, arrête la procédure (article 2 du titre préliminaire du Code de procédure pénale). Mais, si le désistement intervient après l’intentement de l’action (autrement dit si le plaignant s’était déjà constitué partie civile chez un juge d’instruction ou si le tribunal correctionnel avait été saisi), ce retrait est sans incidence : dans ces hypothèses également, le décès de la victime est sans effet sur la poursuite de la procédure.
Ajoutons que, si la personne victime de calomnie ou diffamation est décédée sans avoir porté plainte ou sans y avoir renoncé, la poursuite pourra encore avoir lieu, mais seulement sur la plainte de son conjoint, de ses descendants ou héritiers légaux jusqu’au troisième degré inclusivement (article 450, alinéa 2, du Code pénal). Dans la pratique, ce genre de situation relève toutefois du cas d’école.
4. Précisons enfin que, compte tenu du nombre de comportements que la loi qualifie d’infractions, le parquet doit faire des choix. Pour éviter l’arbitraire et l’inégalité de traitement d’un arrondissement judiciaire à l’autre, une politique pénale est mise en œuvre sous la direction du collège des procureurs généraux et du ministre de la Justice. C’est ce qu’on appelle communément l’opportunité des poursuites. Il est renvoyé sur ce point à l’article suivant de B. Dejemeppe sur Justice-en-ligne, « Les infractions Covid-19 classées sans suite ? A propos de l’opportunité des poursuites »)
5. Pour des infractions mineures, il n’est pas exclu que le décès du plaignant ait un effet sur le choix du parquet de poursuivre ou non l’auteur des faits, notamment en raison des difficultés de preuve causées par cette disparition.