L’expert judiciaire, le bras technique du juge : son rôle et ses responsabilités

par Sophie Van Bree - 29 octobre 2012

Un correspondant de Justice-en-ligne s’interroge sur le rôle de l’expert judiciaire. Alors qu’il le considère comme ayant un devoir informatif, technique, objectif et plutôt passif, il se demande s’il peut proposer une solution lui-même : peut-il appliquer lui-même la solution qu’il propose ou doit-il faire appel à un tiers pour réaliser l’ouvrage ? De même que, si l’expert cause des dégâts en essayant de mettre au point une solution qu’il a mise au point lui-même contre l’avis de ceux qui ont demandé l’expertise, en est-il responsable ?

Ces questions donnent l’occasion de préciser le fonctionnement d’une expertise et le rôle de celui qui la mène. Sophie Van Bree, juge au tribunal de première instance de Bruxelles, nous livre ses explications.

1. L’article 962 du Code judiciaire dispose que « le juge peut, en vue de la solution d’un litige porté devant lui ou en cas de menace objective et actuelle d’un litige, charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avis d’ordre technique […] ».

Le rôle de l’expert est déterminé par la mission que lui confie le juge, laquelle est décrite dans le jugement qui le désigne, mais que les parties peuvent décider de commun accord d’élargir.

L’expert doit avant tout éclairer le juge mais aussi, en fin de compte, les parties à un (futur) litige sur les causes d’un trouble technique, objet du (futur) litige.

Dans cette mesure, il doit procéder à des constatations matérielles objectives (dresser un constat de ce qu’il a matériellement constaté : la personne est-elle blessée, les comptes reprennent-ils correctement les factures, y a-t-il de l’humidité, y a-t-il une fissure dans le bâtiment, quelle en est l’ampleur, etc. ?).

En raison de son expérience, qui a précisément mené à sa désignation, l’expert est également invité à donner son avis technique : quant à la cause du trouble (accident, condensation, problème structurel ou non d’aération, humidité ascensionnelle, stabilité du bâtiment, etc.), quant aux dommages causés (incapacité personnelle permanente, chômage locatif, etc.) et quant aux remèdes préconisés (prothèse, création d’une fenêtre permettant une ventilation adéquate, renforcement d’un mur porteur, etc. : son rôle est donc de proposer des solutions au problème).

Son rôle est donc technique, informatif et objectif.

Il ne doit pas se cantonner à un rôle passif dans la mesure où un des points de sa mission consiste à concilier les parties (voy. le point 2 de l’article, ci-après).

Par contre, sa mission s’arrête à ces mesures : constatations matérielles, détermination des causes du problème, évaluation du dommage éventuel, remèdes préconisés, tentative de conciliation.

2. En principe, le rôle de l’expert ne s’étend pas à la réalisation elle-même de la solution préconisée. L’expert ne donne qu’un avis, les parties ont le choix de s’y conformer ou non, ou de demander au juge de contraindre l’une d’elles à réaliser la solution proposée.

Les parties (ou la partie qui doit supporter les travaux) peuvent éventuellement demander à l’expert de procéder aux travaux lui-même. Celui-ci décidera, en fonction de ses règles déontologiques propres, s’il accepte ou non ce contrat. L’expert judiciaire n’a, curieusement, pas de statut propre. Si l’on peut regretter cette lacune législative, dans l’attente, les règles déontologiques sont donc à rechercher par rapport à la profession de l’expert : médecin, architecte, ingénieur, comptable, etc.

Il s’agira là d’un nouveau contrat conclu entre ces parties (ou la partie à laquelle la réalisation des travaux incombe) et l’expert, agissant ici en sa qualité de professionnel et non pas d’expert. Ce contrat sera indépendant de l’expertise judiciaire proprement dite, sauf dans l’hypothèse où l’origine d’un sinistre n’est pas déterminable (l’expert hésite entre deux causes et réalise alors une des solutions – avec l’accord des parties – afin d’éliminer une des causes possibles du trouble : par exemple, une infiltration d’eau dont la cause pourrait se situer à deux niveaux, l’un étant plus probable : l’expert peut réaliser des travaux de réparation à l’un des niveaux dans le cadre de sa recherche de l’origine des infiltrations ; si ces travaux mettent fin aux infiltrations, de facto, l’expert aura procédé aux réparations).

Le fait de confier les travaux à l’expert judiciaire – agissant ici en sa qualité de professionnel dans son domaine et non plus d’expert a indéniablement un aspect pratique : il connaît le trouble pour l’avoir étudié, et cela évite de reprendre le travail à zéro avec les risque d’une « querelle » de techniciens.

Par contre, le risque d’avoir un procès dans le procès existe aussi (dans l’hypothèse où une des parties ne serait pas satisfaite des travaux réalisés, à quelque niveau que ce soit : efficacité, coût, esthétique, etc.). Par ailleurs, il faut rester prudent lorsque l’expertise est en cours, afin d’éviter toute influence de l’expert, qui pourrait se voit miroiter un contrat. Il s’agit donc d’être vigilant afin d’éviter tout nouveau litige.

Les travaux peuvent évidemment être confiés à un tiers. Si la partie à qui les travaux incombent les confie à l’expert (qui ici n’agira plus en sa qualité d’expert), elle peut également accepter que celui-ci les sous-traite.

3. Voici enfin deux sites intéressants concernant l’expertise judiciaire : cliquez ici

Mots-clés associés à cet article : Déontologie, Expertise, Expert,

Votre point de vue

  • Docteur LOUANT
    Docteur LOUANT Le 30 octobre 2012 à 12:21

    dans ma région, les ayants droits sont voictimes d’une situation dramatique par l’incompétence des Médecins "experts" judiciaires qui sont pour la majorité d’entre eux attachés aux Compagnies d’Assurance par un lien économique particulièrement dangereux pour ce qui est de leur indépendance.Ils sont payés comme des indépendants au coup par coup, ce qui leur impose pratiquement de prendre le parti de la Compagnie d’Assurance.
    Je ne fais que de la médecine de recours et me trouve devant des experts judiciaires, effectuant leur expertise dans le bureau qu’ils occupent avec le médecin conseil de la compagnie contre laquelle la procédure est engagée ! Des Médecins conseils d’assureur loi qui sont ausi médecins inspecteur de l’ONEM...L’un d’eux, très connu dans la région, estime que le taux d’IPP qu’il accorderait serait plus important sil’argent allait aux Patrons !!LAMENTABLE !

    • alan
      alan Le 6 février 2016 à 19:54

      bien évidement l’argent va à l’argent
      je suis victime d’un cancer professionnel on m’a viré de mon emploi comme une vieille serpillière et lors de l’expertise le patron était assis a côté de l’expert en riant de mon malheur...bravo la justice des hommes

    • La Colombe
      La Colombe Le 26 février 2017 à 16:25

      Bonjour, je suis moi même victime d’un expert judiciaire. La Justice a besoin pour comprendre de se référer à ce titre à un expert de la profession....cependant !! il faut savoir que si c’est un expert médical il se doit d’exister des ’’super-superhéros’’ car celui ci doit être spécialiste de toute les spécialisations médicales allant du génico au pédicure en passaaaaant par le ’’psychiatrie’’.connaissant aussi au passage le foie, la rate, la vessie, les oreilles, les dents ....etc, alors qu’en fait il s’avère du recrutement des ratés, des plus nuls, et de surcroît de crétain, croyez-vous qu’un homme de science rirait de vos malheurs ??
      Par ce biais et sans le savoir la ’’justice’’ en fait des héros, ne baissez pas les bras et si la force vous le permet battez-vous. Il existe à Grace une association qui se prénomme nouvelle justice. Bon courage à vous.

    Répondre à ce message

  • Gisele Tordoir
    Gisele Tordoir Le 4 novembre 2012 à 14:30

    Pour l’expérience que nous avons connue, un expert judiciaire a été désigné par la juge de paix du fait que la partie adverse, deux magistrats pourtant, prétextant ne pas comprendre nos doléances, ont eu besoin d’un plan détaillé des lieux, des plantations litigieuses. Cet expert a réalisé sa mission à un prix exorbitant à nos yeux, plus de six mille euros, a déposé un véritable carnet d’entretien à nos voisins non utilisé à ce jour. Cet épisode remonte à deux ans. Nous estimons que cette étape aurait pu être évitée avec un minimum de bon sens, de correction et de bonne volonté. Tout ce qui fut et est encore actuellement totalement absent dans la procédure en cours. Nous avons émis notre désaccord par rapport au prix mais la juge de paix en a décidé autrement. Nous avons été choqués d’entendre relevé tant par la juge de paix que par l’expert le fait qu’ une assurance juridique intervenait dans notre affaire.
    Et après, on dira que la justice accuse un retard incroyable...et coûte cher...Notre sentiment est que l’expert s’est offert un pactole aux frais de notre assureur juridique.C’est purement honteux comme fonctionnement cautionné par la "justice".Il faut absolument trouver les remèdes de cheval pour guérir la justice de ses maladies honteuses...

    Répondre à ce message

  • vicqueray
    vicqueray Le 2 novembre 2012 à 11:35

    Vicqueray,
    J’ai mis mon commentaire sur la page "De la preuve à l’expertise : comment ça marche ?"
    Merci

    Répondre à ce message

  • skoby
    skoby Le 30 octobre 2012 à 16:39

    Un cas différent de celui du docteur LOUANT, mais qui de manière générale sème un doute sur le choix des nominations et désignations des experts judiciaires.
    Ce n’est pas en cas vécu en Belgique, mais en France. Le litige porte sur l’achat
    par un producteur nord-africain, de matériel français. L’usage que le nord-africain veut en faire, est impossible suivant le fournisseur français des machines, et le lui fait savoir,non seulement de vive voix, mais le lui confirme par écrit. Le nord-africain s’obstine et l’opération foire ! Nomination par un juge français d’un expert judiciaire.
    1° L’expert ne comprend rien au problème, et ne peut rien constater puisque les faits se sont produits en Afrique du Nord. Sa mission est de toute évidence de trouver un accord, afin d’éviter le procès. C’est visiblement la mission qu’il a reçu du juge.
    Il décide donc que le fabricant français doit dédommager financièrement le producteur nord-africain, et que ce dernier doit rendre les 8 machines, dont 2 sont hors d’état à cause de l’usage fautif qu’il en a fait, alors qu’il était prévenu que cela ne marcherait pas !
    Est-cela le rôle de l’expert judiciaire ? Et est-ce cela le rôle du juge pour éviter une procédure judiciaire ?

    Répondre à ce message

Votre message

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Votre message

Les messages sont limités à 1500 caractères (espaces compris).

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document

Avec le soutien de la Caisse de prévoyance des avocats, des huissiers de justice et des autres indépendants
Pour placer ici votre logo, contactez-nous