1. Le hamster sauvage bénéficie d’une protection au titre de la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, ainsi qu’au titre de la directive Habitats du 21 mai 1992, qui sont insérés dans l’ordre juridique flamand par leNatuurdecreet (décret de la Région flamande ‘concernant la conservation de la nature et le milieu naturel’) du 21 octobre 1997 (« décret sur la nature ») et le Soortenbesluit (arrêté du Gouvernement flamand ‘relatif à la protection et à la gestion des espèces’) du 15 mai 2009 (« arrêté des espèces »).
Malgré cette protection, les populations de hamsters en Flandre ne cessent de diminuer et frôlent l’extinction.
2. En réaction à cette situation critique, la Commission européenne avait, déjà en 2004, envoyé un avertissement officiel à la Belgique, à savoir une mise en demeure, la sommant de respecter ses obligations quant à la conservation du hamster sauvage au titre de la directive Habitats.
Pour donner suite à ce premier avertissement, la Flandre avait adopté un plan d’action visant à protéger l’espèce. Cependant, ses effets se sont avérés limités et n’ont pas permis d’atteindre les objectifs fixés.
3. Estimant que la politique régionale menée depuis plusieurs décennies était insuffisante, les associations Vogelbescherming Vlaanderen, vzw, et Dryade, asbl, ont introduit une action devant le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles contre la Flandre.
4. Dans le jugement rendu le 28 avril 2025 dans cette affaire, le Tribunal a rappelé que la Flandre était tenue de faire tout ce qui est nécessaire afin d’atteindre les objectifs prévus par la Convention de Berne et par la directive Habitats, tels que concrétisés dans le Natuurdecreet et le Soortenbesluit.
Il a précisé que cela implique de maintenir ou de rétablir le hamster sauvage dans un état de conservation favorable et qu’en effet ces dispositions imposent, non seulement des interdictions, telle que l’interdiction de destruction d’habitats, de nids, etc., mais également des obligations actives de conservation et de restauration de l’espèce.
5. Dès lors, le Tribunal a estimé que la Flandre a manifestement manqué à son obligation de prendre toutes les mesures raisonnables afin de maintenir ou de rétablir les populations de hamsters dans un état de conservation favorable. Il a indiqué qu’il est attendu d’un gouvernement normalement prudent et diligent qu’il prenne toutes les mesures nécessaires et raisonnables, selon les connaissances scientifiques actuelles, afin de protéger une espèce gravement menacée, et qu’il en assure le suivi. Or, selon le tribunal, la politique de conservation laxiste, négligente et inadéquate du gouvernement flamand contribue à perpétuer l’état de conservation défavorable de l’espèce.
6. Le Tribunal déduit de cette situation une faute dans le chef de la Flandre au sens des articles 1382 et 1383 de l’ancien Code civil. Ces articles sont les bases légales de la responsabilité dite « extracontractuelle », qui prévoit que toute personne est responsable du dommage qu’elle cause à autrui par sa faute.
Le tribunal indique qu’un lien causal est établi entre la faute constatée, à savoir la violation de l’obligation de conservation et de restauration de l’espèce, et le dommage écologique, c’est-à-dire la quasi extinction du grand hamster en Flandre.
7. Sous couvert du principe de séparation des pouvoirs, le Tribunal estime toutefois devoir s’abstenir d’intervenir dans les choix politiques de mise en œuvre concrète de la future stratégie en matière de hamsters sauvages. Il refuse ainsi d’imposer à la Flandre les objectifs chiffrés de population et de surface d’habitat à atteindre, réclamés par les deux associations demanderesses.
Ceci est critiquable d’un point de vue juridique, dans la mesure où la Cour de cassation a déjà reconnu aux juges la compétence de prescrire aux autorités publiques des mesures destinées à mettre fin à un comportement illégal causant un dommage. Des juridictions ont déjà fait application de cette faculté en fixant des objectifs concrets et précis aux autorités publiques, tout en laissant à celles-ci le pouvoir de déterminer les mesures concrètes pour y parvenir, dans le respect du principe de séparation des pouvoirs.
8. Néanmoins, le tribunal enjoint la Flandre de prendre des mesures urgentes afin de rétablir les populations de hamsters sauvages dans un état de conservation favorable. Il précise que ces mesures devront notamment garantir une taille minimale de population ainsi qu’une superficie suffisante d’habitat adéquat, mais sans fixer de chiffres précis.
9. Bien que critiquable pour les raisons évoquées ci-dessus, ce jugement constitue une avancée majeure dans la définition des obligations qui incombent aux autorités publiques quant à la protection des espèces en vertu du droit européen. En retenant la responsabilité de la Flandre, le Tribunal rappelle que les engagements en la matière ne peuvent rester purement formels mais doivent être effectifs et concrets.
Au-delà de la protection du hamster, ce jugement ouvre la voie à une responsabilité renforcée des pouvoirs publics en matière de protection de la biodiversité. Une affaire similaire vient par ailleurs d’être lancée pour la protection du loup par l’association Landschap, vzw.
10. Pour une analyse juridique de ce jugement au regard du principe de séparation des pouvoirs, voyez l’article suivant paru dans la revue de jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles (J.L.M.B.) (2025/32, pp. 1439 et suivantes), « Entre reconnaissance d’une faute et retenue judiciaire : la protection du grand hamster se heurte à une application rigoriste du principe de séparation des pouvoirs ».