J’ai eu l’occasion, dans le cadre des travaux relatifs à mon doctorat en droit (Chr. Mincke, La médiation pénale face à ses idéaux fondateurs. De l’utopie à l’aveuglement, Bruxelles, Kluwer, 2010), d’assister à des entretiens de médiation pénale, telle que celle-ci est organisée par l’article 216ter du Code d’instruction criminelle.
On a beaucoup écrit sur le statut hybride de cette procédure prise entre répression et médiation, sur la position inconfortable des assistants de justice chargés de la procédure et sur le dévouement qu’il faut pour consacrer ses journées à un processus aussi délicat que la médiation pénale. Il a aussi été souvent question de la libre volonté des parties de participer à la médiation, de même que de l’intérêt de chacun à une sortie négociée du conflit et de la bonne volonté des participants.
Cependant, au cours de mon travail de terrain, il m’est apparu qu’une difficulté majeure était liée à un écueil de taille qui se dressait sur la voie de la médiation, un écueil moins souvent pointé du doigt : celui lié à la capacité des parties à accepter de sortir de leur différend. Il n’est en effet rien de moins certain que les parties souhaitent y mettre un terme.
C’est ainsi qu’alors qu’elles en avaient accepté le principe, de nombreuses parties se montraient plus que réticentes à développer une médiation à proprement parler. De toute évidence, nombre d’entre elles, d’une certaine manière, tenaient à leur litige. En effet, si la médiation prétend résoudre réellement le litige, c’est au prix d’une grande exigence vis-à-vis des parties. Celles-ci sont en effet invitées à se défaire de leur litige et des conceptions personnelles qui y sont attachées : à accepter que l’adversaire devienne partenaire, à concéder pour se voir concéder en retour, à renoncer à leurs position prédéterminées d’auteur et de victime. C’est toute une relation qu’il s’agit de reconsidérer, fût-elle délétère. C’est une histoire qu’il faut relire. Ce sont des certitudes qu’il faut abandonner. Ce sont des privilèges auxquels il faut renoncer, comme ceux qui découlent de l’identification comme victime.
Si je parviens à un accord avec lui, mon ex-conjoint aura montré qu’il n’est pas la brute épaisse que je voyais en lui, qu’il est capable de dialogue… et que ce dialogue aurait pu s’instaurer avant la survenue de faits infractionnels. Pour résoudre le litige, je devrai peut-être concéder que, moi, victime, j’ai participé à la genèse des faits et, moi, auteur, je devrai reconnaître publiquement la faute que j’ai commise. On le conçoit aisément, des enjeux considérables pour les parties peuvent se cacher sous la banalité de faits de faible gravité (au sens pénal).
Certes, une sortie du conflit est peut-être possible, mais on aurait tort de sous-estimer le prix à payer. Un litige, c’est une manière de faire coexister en un même lieu et au même moment, des visions incompatibles. Vu sous cet angle, il est plus fonctionnel que dysfonctionnel.
Loin de moi l’idée de célébrer ici les vertus du litige, mais il faut reconnaître qu’il ne peut être considéré comme une entrave dont chacun est soulagé de se libérer. Le litige peut apparaître aux parties comme nécessaire, presque vital.
Dans ce cadre, la médiation pénale est une entreprise particulièrement ambitieuse : amener les parties, sans recours à la contrainte (ou si peu), à s’engager sur la voie d’une réécriture commune de leur conflit.
Tous ne s’en montreront pas capables. Est-ce parce qu’ils ne le veulent pas ? Est-ce parce que c’est au-dessus de leurs forces ? Est-ce parce qu’il n’est pas temps pour eux de dépasser leur litige ? Quelle que soit la réponse à ces questions, il faut reconnaître ici que, pour ouverte qu’elle soit, la médiation pénale n’en présente pas moins un seuil d’accès élevé.