Dans la foulée des élections fédérales du 13 juin 2010, la controverse sur l’amnistie à accorder, ou pas, aux anciens collaborateurs a été remise sur le devant de la scène politique. C’est l’occasion de rappeler, brièvement, le contenu, la portée et les enjeux de cette mesure exceptionnelle.
Qu’est-ce que l’amnistie ?
L’amnistie est une mesure collective qui retire à certains faits pénalement punissables leur nature infractionnelle. Le caractère répréhensible des faits amnistiés est purement et simplement effacé. Voilà pourquoi il s’agit du procédé de clémence le plus radical, ce qui explique qu’il soit réservé au pouvoir législatif. Il est, en revanche, ignoré par la Constitution, qui ne l’interdit pas pour autant.
L’amnistie ne doit pas être confondue avec la grâce. Quatre éléments distinguent l’une et l’autre. Primo, la grâce est une mesure dispensant une ou plusieurs personnes déterminées de l’obligation d’exécuter tout ou partie de la peine à laquelle elles ont été condamnées, de telle sorte qu’elle n’efface pas le caractère répréhensible des faits. Secundo, la grâce est une prérogative réservée au Roi, qui l’exerce avec le concours de son gouvernement. Tertio, la grâce est formellement reconnue par la Constitution belge. Quarto, les deux mesures ne poursuivent pas les mêmes objectifs : alors que la grâce procède d’un souci d’individualisation de la réaction sociale, l’amnistie représente davantage un pardon juridique, dans un but d’apaisement collectif et de restauration de la cohésion sociale.
Quels sont les effets juridiques de l’amnistie ?
De deux choses l’une.
Ou bien les faits amnistiés n’ont pas encore donné lieu à condamnation, auquel cas l’amnistie empêche ou éteint l’action publique à l’égard de ces faits. Concrètement, le ministère public n’est plus autorisé à engager des poursuites, le magistrat instructeur n’est plus habilité à continuer son instruction et la juridiction pénale doit décider que l’action publique est éteinte.
Ou bien les faits amnistiés ont déjà donné lieu à des condamnations, auquel cas celles-ci sont anéanties rétroactivement par l’amnistie. Cet anéantissement emporte des conséquences précises :
- Les amendes versées devront être restituées par l’Etat, sauf si la loi d’amnistie en dispose autrement, ce qui est généralement le cas. Le même sort est réservé aux frais de justice.
- L’amnistie s’oppose à ce qu’il soit fait mention d’une condamnation amnistiée dans le casier judiciaire de l’intéressé.
- L’amnistie fait disparaître la récidive : selon la jurisprudence, si l’intéressé devait commettre une infraction nouvelle, la condamnation amnistiée ne peut être prise en considération pour constituer la récidive, que la peine ait été ou non subie,
- L’amnistie ne peut représenter un obstacle à l’octroi d’un sursis ou d’une suspension du prononcé de la condamnation, en cas d’infraction nouvelle.
- L’amnistie rend inutile une requête en réhabilitation ayant pour objet une condamnation amnistiée.
Restons toutefois conscients que, tout en procédant de l’idée d’un pardon juridique, l’amnistie est impuissante à décréter l’oubli absolu. En effet, si elle « apparaît comme l’instrument de l’oubli par excellence », elle n’en constitue pas pour autant « une amnésie pure et simple » [1] . La pratique de l’amnistie n’est-elle pas fondée sur certaines modalités qui, malgré les effets radicaux évoqués ci-dessus, tiennent tout de même en éveil le souvenir du mal commis ? C’est ainsi qu’elle ne porte pas atteinte au droit de la victime de l’infraction d’être indemnisée, ce que les lois d’amnistie prévoient parfois expressément.
Plus fondamentalement, comme l’a bien écrit Antoine Garapon, « la justice est une parole, et le jugement un dire public », de telle sorte que « le moment du jugement se suffit à lui-même pour faire lien et permettre que la vie continue » [2] C’est là où le droit et l’éthique se rejoignent quelque peu : dans ce constat que le pardon n’abolit pas la mémoire. « Pour nous, écrit Elie Wiesel, la mémoire constitue le châtiment des tueurs, comme une forme suprême non de vengeance mais de justice. Voilà pourquoi nous voulons tout retenir : les larmes et les cris, le désespoir et le remords – et aussi le silence qui a sa propre mémoire. La mémoire du silence, oui. Le silence de la mémoire, jamais » [3] . L’amnistie ne saurait imposer le silence à la mémoire.
Pour plus de détails, voy. M. VERDUSSEN et E. DEGRAVE, La clémence et la Constitution belge – Amnistie, grâce et prescription, Bruxelles, Bruylant, 2006, 172 pp. ; M. VERDUSSEN, « L’amnistie, un pardon juridique gravé dans la mémoire collective », in Liber Amicorum Henri-D. Bosly – Loyauté, justice et vérité, Bruxelles, La Charte, 2009, pp. 437-442.