La défense de l’environnement plus forte que la raison d’État ?

par Jeanne de Gliniasty - 27 décembre 2023

Photo @ PxHere

Le Conseil d’État de France a annulé le 9 novembre 2023 la décision du Président de la République Emmanuel Macron de dissoudre une association ou groupement de fait, en l’espèce le collectif écologiste « Les Soulèvements de la Terre », qui s’était notamment fait connaitre par ses actions contre la « méga-bassine » de Sainte-Soline à la fin du mois de mars dernier.
Jeanne de Gliniasty, maitre de Conférences à l’Université Paris-Nanterre, nous présente cet arrêt, qui concerne les limites à la liberté d’association et à l’intervention du pouvoir politique en la matière.

1. La liberté d’association est bien sûr constitutionnellement garantie en France ; c’est même par la décision du Conseil constitutionnel qui en fait un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » qu’a été élargi le champ des normes constitutionnellement garanties, ce qu’on appelle le « bloc de constitutionnalité ».

2. Il n’empêche qu’une association peut être dissoute volontairement, mais aussi judiciairement ou administrativement.
Dans ce dernier cas, le législateur prévoit depuis 1936 la possibilité pour le Président de la République de dissoudre certains groupes présents sur le territoire français – à l’époque, surtout, des ligues nationalistes ou des milices privées – dès lors que cette mesure est nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public.
Le fondement juridique a évolué au fil des époques pour s’adapter aux ennemis de la République et aux évolutions des atteintes à l’ordre public. Depuis plusieurs années, en réponse notamment aux attaques terroristes, on voit les mesures administratives de dissolution se multiplier autour de la défense des valeurs républicaines, comme en atteste la loi n° 2021-1109 du 24 aout 2021 confortant le respect des principes de la République – dite « loi séparatisme » – ,qui étend le champ d’application de certains motifs de dissolution, en précise ou en ajoute d’autres.

3. Les Soulèvements de la Terre avaient été dissouts le 21 juin 2023 sur le fondement du 1° de l’article L.212-1 du code de la sécurité intérieure tel que modifié par la « loi séparatisme », relatif aux associations qui « provoquent […] à des agissements violents contre les personnes ou les biens ».
Le juge des référés du Conseil d’État – juge de l’urgence – avait déjà suspendu cette dissolution mais cette décision provisoire était donc en attente d’une décision au fond.
Profitant d’avoir à juger le même jour quatre dissolutions, la haute juridiction trace les grandes lignes de son contrôle en l’inscrivant dans le cadre classique de celui des mesures de police administrative, pour lequel la liberté est la règle et l’interdiction l’exception (pour paraphraser le Commissaire du gouvernement Corneille dans ses conclusions sur l’arrêt Baldy de 1917). Elle rappelle ainsi que la dissolution ne peut être qu’« adapté(e), nécessaire et proportionné(e) à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public ».
Dans ce cadre, le juge exerce un contrôle des motifs de la dissolution non sans avoir préalablement contrôlé la qualification d’association ou de groupement de fait au sens et pour l’application des dispositions législatives – quand bien même cette qualification ne serait pas revendiquée par le collectif comme c’était le cas pour Les Soulèvements de la Terre.

4. Sur ce point, la décision relative aux Soulèvements de la Terre marque une singularité.
Le Conseil d’État, tout en caractérisant l’existence d’une « provocation à des agissements violents contre les biens » (cons. 10), juge toutefois, « au regard de la portée de ces provocations, mesurée notamment par les effets réels qu’elles ont pu avoir, que la dissolution du groupement ne peut être regardée, à la date du décret attaqué, comme une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public » (cons. 12).
Ainsi, pour la première fois depuis la loi de 2021, le Conseil d’État exerçant un contrôle approfondi d’une mesure de dissolution administrative, décide de l’annuler au fond. Il faut en outre signaler que, de façon assez inédite, le rapporteur public avait lui-même conclu au rejet des quatre requêtes et donc notamment à la validation de la dissolution des Soulèvements de la Terre.

5. Cet évènement marque-t-il alors un changement de cap pour la haute juridiction administrative ? Certainement pas à en croire les trois autres dissolutions confirmées le même jour – Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI), Alvarium (une organisation identitaire française) et Groupe antifasciste Lyon et environs (GALE) –, et alors même que cette dernière avait également fait l’objet d’une suspension en urgence.
On peut seulement supposer que cette décision n’est pas étrangère à l’objet statutaire de l’association.
Car, si c’est la première annulation sur des motifs de fond depuis le début du XXIe siècle, c’est aussi la première fois depuis 1936 qu’une association de défense de l’environnement faisait l’objet d’une dissolution.
À l’heure de l’activisme du juge et du Conseil d’État en particulier pour inciter le gouvernement à l’action dans ce domaine (dans le sillage de l’Affaire du siècle et Grande-Synthe), la haute juridiction administrative n’a sans doute pas souhaité se dénier face aux mêmes acteurs de la société civile qui comptent sur elle pour faire avancer la cause environnementale, ni risquer de perdre les faveurs d’une doctrine plus souvent critique à son endroit.

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