Le Conseil d’État rappelle la portée de la liberté de réunion pacifique

par Lucas Fontaine - 25 novembre 2024

Photo @ PxHere.com

Dans son arrêt n° 259.510 du 17 avril 2024, le Conseil d’État a suspendu l’exécution de l’ordonnance du Bourgmestre de Saint-Josse-ten-Noode interdisant la réunion de personnalités d’extrême-droite dans une salle de la commune.
Cette décision est l’occasion pour Lucas Fontaine, avocat au barreau de Bruxelles et assistant à l’Université de Liège, de revenir sur les limites de la liberté de réunion et ses interactions avec la liberté de manifestation.

Les faits en cause

1. Les 16 et 17 avril 2024, la National conservatism conference était organisée à Bruxelles. L’emplacement de ce congrès accueillant plusieurs orateurs nationaux-conservateurs est déplacé la veille de la conférence dans une salle située sur le territoire de la commune de Saint-Josse-ten-Noode.
Informé de ce changement de dernière minute, le Bourgmestre de cette commune décide d’en interdire la tenue en raison des risques que cette réunion entrainerait sur l’ordre public.

La décision du Conseil d’État.

2. Saisi d’un recours en extrême urgence à l’encontre de cette décision, le Conseil d’État en examine la légalité en s’interrogeant sur les limites qu’un bourgmestre peut apporter à la liberté de réunion.
La haute juridiction administrative, dans son arrêt n° 259.510 du 17 avril 2024, rappelle tout d’abord le principe selon lequel l’article 26 de la Constitution garantit à chacun le droit de se réunir pacifiquement. Comme la plupart des libertés fondamentales, la liberté de réunion n’est pas absolue et peut souffrir de restrictions. C’est le cas avec l’article 134 de la Nouvelle loi communale, qui offre aux bourgmestres un pouvoir de police réglementaire l’autorisant notamment à fermer temporairement un établissement qui trouble l’ordre public. Les autorités doivent néanmoins veiller à donner une réponse proportionnée au risque observé.

3. Pour juger de la proportionnalité de l’interdiction en cause, le Conseil d’État analyse le caractère pacifique de la réunion qui se déroule dans un espace fermé et accessible uniquement aux participants préalablement inscrits. Dans son appréciation, il relève que la menace pour l’ordre public découle uniquement des réactions que l’organisation du congrès pourrait susciter chez certains opposants. En effet même si, selon l’OCAM, le congrès induit une menace estimée au niveau 2 (moyenne) pour le congrès, une telle menace n’exige pas des efforts disproportionnés de la part des forces de police pour prévenir tout trouble à l’ordre public.
Ainsi, en l’absence de risque caractérisé de trouble à l’ordre public attribué à l’organisation du congrès en lui-même, le Conseil d’État estime qu’il est disproportionné de l’interdire et ordonne donc la suspension de l’arrêté du Bourgmestre.

Entre liberté de manifestation et liberté de réunion

4. Dans cet arrêt, le Conseil d’État tâche de trouver un équilibre entre deux libertés : celle de se réunir dans un lieu clos et celle de manifester.
Plutôt que d’en faire primer une sur l’autre, il rappelle que c’est à l’autorité d’en ménager l’exercice. En effet, lorsque des confrontations sont à craindre sur la voie publique entre des personnes ayant des opinions politiques différentes, il revient aux autorités de prendre des mesures pour limiter les manifestations sur la voie publique plutôt que d’interdire une réunion dans un lieu fermé.

Une réunion pacifique jouit d’une grande protection

5. L’arrêt du Conseil d’État soulève la question de savoir quand un risque de menace engendré par une réunion est suffisant pour en justifier l’interdiction. Sur ce point, la jurisprudence enseigne que l’interdiction doit être justifiée par des faits concrets et étayés.
Force est de constater qu’en l’espèce une réunion demeure paisible malgré une menace de niveau 2 évaluée par l’OCAM (pour une décision jugeant admissible l’interdiction d’une réunion avec une menace de niveaux 2 et 3, on peut consulter l’arrêt du 3 avril 2014, n°227.249, Lagmich, du Conseil d’État).

Votre point de vue

  • Denis Luminet
    Denis Luminet Le 26 novembre à 11:11

    À rapprocher de la contribution d’Audrey Adam, en date du 6 décembre 2023, qui débutait par un ironique
    « La censure ne pourra presque jamais être établie ». Ce n’est pas en ces termes qu’est rédigée la Constitution.
    ... où elle s’insurgeait contre une décision en référé, d’ailleurs réformée en mars 2024 par la cour d’appel.
    Ainsi, le présent article de Lucas Fontaine pourrait-il être sous-titré
    « Les Belges ont presque toujours le droit de s’assembler » .
    Il rappelle en effet qu’en 2014, le Conseil d’État s’était permis de valider la mesure d’interdiction prise par un bourgmestre.
    Question subsidiaire et [im]pertinente : la divergence entre les arrêts de 2014 et de 2024 est-elle liée à des évaluations différentes de l’OCAM ou à des jurisprudences opposées entre Conseil d’État et Raad van State ? Par ailleurs, il est cocasse de lire qu’avant de se prononcer, tant Mme Vandernacht que M. Van Nuffel s’étaient entendus ... dans leur propre rapport.

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