1. Grâce à notre séminaire d’argumentation en droit pénal, nous avons approché ce que sera demain notre métier d’avocat et peut-être après-demain notre métier de substitut du procureur du Roi ou de juge correctionnel.
Ce séminaire d’argumentation en droit pénal est un cours optionnel inscrit au programme de la deuxième année de master en droit à l’Université libre de Bruxelles. Patrick Mandoux, conseiller honoraire à la Cour d’appel de Bruxelles et maître de Conférences à l’ULB, en est le responsable. Les équipes d’étudiants sont coachées par des professionnels du droit : trois avocats (Virginie Taelman, Mariana Boutuil et Steve Lambert), deux substituts du procureur du Roi (Christine Moiny et Thibault de Sauvage), trois juges (Sophie Grégoire, Berta Bernardo Mendez et Olivier Bastyns). Thomas Henrion, juge à Namur, a récemment rejoint l’organisation du séminaire, compte tenu de son importante fréquentation par les étudiants. De semblables séminaires d’argumentation existent aussi dans les autres disciplines du droit (droit public, droit international, droit de la famille etc.).
2. Pour la première fois, nous avons appliqué nos connaissances, jusqu’alors théoriques, à la défense d’une cause et croisé le fer, grâce aux conseils précieux de nos coachs – véritables juges, avocats ou procureurs – au sein d’un prétoire !
Jusqu’à notre entrée en deuxième année du master, la dernière de nos cinq années d’études, nous ne connaissions du droit que nos syllabus et précis ! Passage obligé mais bien théorique, statique et abstrait de cette discipline…
Le séminaire d’argumentation en droit pénal nous a permis, en étant successivement avocat, juge et procureur, de réviser mais surtout d’appliquer nos connaissances théoriques à des cas réels !
Nous avons de la sorte, en pratiquant le droit plutôt qu’en l’étudiant, pris conscience de l’importance du principe du contradictoire, qui permet l’échange des idées, le débat constructif et, en fin de course, la manifestation utile de la vérité judiciaire !
3. Ce principe important de procédure pénale est la conséquence, nous enseigne-t-on, du respect des droits de la défense garanti à tout accusé notamment par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales : comme l’écrivent Marie-Aude Beernaert, Nathalie Colette-Basecqz, Christine Guillain, Patrick Mandoux, Marc Preumont et Damien Vandermeersch, dans leur ouvrage « Introduction à la Procédure pénale » (La Charte, 5ème édition, 2014, p. 16), « en tant que principe général de droit, le respect dû aux droits de la défense implique également le droit à la contradiction et le droit, tant pour l’accusation que pour la défense, de présenter et de discuter les moyens de preuve de même qu’il emporte l’interdiction de fonder une condamnation sur des pièces qui n’ont pas été versées aux débats et qui n’ont pas été soumises à l’examen et à la contradiction des parties »
4. Beau principe convaincant certes, mais théorique… jusqu’à notre séminaire d’argumentation en droit pénal…
Convaincant parce qu’il est aisément compréhensible que le respect des droits de la défense et le droit de chaque partie à un procès équitable interdisent que le ministère public ou, pis encore, le juge se fonde sur des pièces qui n’ont pas été communiquées à la défense du suspect ou de la victime ! C’est, nous direz-vous, l’évidence même !
Il faut, au-delà de celle-ci, avoir – comme nous – vécu un procès « de l’intérieur » pour comprendre combien, après l’accès à un même dossier de pièces, l’échange des idées en audience publique sous la direction d’un juge loyal est un véritable « révélateur de justice et de vérité » !
5. S’il appartient au juge de « dire le droit », il ne pourra jamais le faire tout seul !
Comme de véritables professionnels, les étudiants avocats, juges et procureurs que nous étions ont eu accès à un seul et même dossier pour chacun des cas élaborés par notre professeur et mis à notre disposition sur un site intranet de l’ULB (la justice, la vraie, est, sur ce point à la traîne...).
C’est ainsi que nous avons eu à traiter du cas délicat d’une jeune femme complice d’un braqueur de banque et du cas, plus délicat encore, d’un père de famille poursuivi du chef d’attentat à la pudeur.
6. Plusieurs constatations s’imposent :
– Malgré « cette base commune », les lectures d’un même dossier peuvent singulièrement différer suivant les intérêts que l’on défend, ceux de la société ou ceux du suspect. Ces différentes approches d’une même problématique – concrétisées à l’audience par la plaidoirie de la défense et le réquisitoire du ministère public – sont chacune éminemment respectables, voire indispensables au bon fonctionnement de la justice dans un état démocratique. À chacun donc « sa vérité », son point de vue, son angle d’attaque, exprimés pour permettre au juge de dire « la vérité », d’autant plus riche et acceptable qu’elle prend racine dans l’échange respectueux des idées.
– « A chacun sa vérité », répétons-nous, et il est trop facile de taxer les avocats qui ne diraient pas la même chose que le procureur d’« affabulateurs ». Même si l’enquête réalisée par le procureur ou le juge d’instruction et la police est minutieuse, un dossier ne dira jamais tout d’un crime, de son auteur et de ses victimes.
– Le juge, à qui il incombera finalement de « dire le droit », est le premier bénéficiaire de cette « contradiction », de cet échange vivant d’idées multiples sur un thème unique.
– Le rôle du juge est primordial dans cette phase essentielle du procès pénal, primordial mais délicat. L’audience ne jouera vraiment son rôle que si le juge a procédé avant celle-ci à une étude serrée du dossier et s’il mène une instruction d’audience précise (l’instruction d’audience est l’ensemble des interventions du juge auprès des parties, sous la forme le plus souvent de questions qui leur sont posées). Il doit toutefois toujours se garder, malgré ses indispensables questions, de sortir de la neutralité qui est sa règle d’or !
Un exercice d’équilibriste !
7. Voici ce que nous pouvons en conclure.
Si l’équité de la procédure exige donc, c’est une évidence, que chaque partie au procès ait accès au même dossier, le principe du contradictoire est bien plus riche encore !
C’est un principe à vivre intensément !
Le jugement acceptable par tous, équilibré, constructeur d’avenir, tenant compte tant des intérêts et des droits du suspect que de ceux des victimes et de la société, prend véritablement racine dans l’échange, courageux mais toujours respectueux, des points de vue différents, défendus à l’audience, à propos d’un même dossier.
Votre point de vue
Gisèle Tordoir Le 17 août 2015 à 15:33
Ce séminaire a dû être des plus intéressants et enrichissants. Très utile initiative pour les futurs(-es) avocats (-es) et peut-être substituts du procureur du Roi ou juges correctionnels. Toutefois, à la lecture des différents points (de 1 à 6), certains m’amènent à des interrogations sans réponse et/ou des observations. Dont :
Au 2."... la manifestation utile de la vérité judiciaire !" Qu’est la vérité judiciaire ? En quoi diffère-t-elle de la vérité tout court ?
Au 4."... l’échange des idées en audience publique sous la direction d’un juge loyal est un véritable « révélateur de justice et de vérité » !" J’en déduis, et cela rejoint mon opinion, tous les juges n’étant pas loyaux...Quid, dès lors de l’image révélatrice de justice et de vérité ?
Au 5. "...(la justice, la vraie, est, sur ce point à la traîne...)." Pas rassurant du tout que la "vraie justice soit à la traîne". Je comprends ici, par rapport à des outils comme intranet. Comment est-ce possible aujourd’hui ? Qui n’a pas, de nos jours, accès à intranet ou internet professionnellement a contrario dans la vie privée ?
Au 6. "L’audience ne jouera vraiment son rôle que si le juge a procédé avant celle-ci à une étude serrée du dossier..." Pour ma part, j’ai eu plus que l’impression, en justice de paix, que le juge n’avait pas lu, de façon récente, notre dossier. Peut-être les toutes dernières et donc plus récentes conclusions ? Même pas sûr... Quand je vois l’épaisseur de certains dossiers, dont le nôtre, je réalise que le juge ne lit pas tout, qu’il doit être aidé d’un greffier et donc il ne s’agit plus du tout de son intime conviction mais d’une interprétation par rapport à l’info qui lui est relayée. Pas convaincue et pas rassurée du tout...
De plus, comme le remarque l’intervenant Skoby, le jeu de scène de certain(s) avocat(s) empêche et/ou affecte la sérénité et la qualité des débats.
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skoby Le 11 août 2015 à 15:54
Si tout cela paraît bien évident, bravo à ceux qui ont pensé à organiser et à diriger
ce séminaire qui a dû être très instructif pour tous ceux qui y ont participé.
Par contre un juge qui a bien étudié le dossier ne sera-t-il pas tenté
de prendre déjà position et d’avoir déjà son avis avant d’avoir entendu les
différents partis, sachant qu’à l’audience certains avocats usent et abusent de leur
temps de paroles et ne savent pas toujours maintenir l’audience attentive aux
faits les plus importants ?
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