1. Le 27 février 2013, la chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Bruxelles a estimé que Madame A., victime de viol et de vol aggravé, ne devait pas se voir condamner à payer les frais de l’action publique.
Au-delà de ce cas, cette décision constitue-t-elle d’une manière plus générale une garantie pour les victimes ?
La réponse est positive, mais doit être nuancée : une intervention législative semble manifestement devoir s’imposer afin de protéger les victimes contre tout risque financier lié à leur action judiciaire si celle-ci est sérieuse. Les victimes et en particulier les victimes de viol hésitent très souvent à déposer plainte voire attendent des années pour oser révéler des agressions. Dans ces conditions, elles ne devraient pas se voir décourager à se constituer partie civile d’autant plus que le rôle de la victime peut-être prépondérant et apporter une plus-value importante au déroulement d’une enquête.
2. Reprenons ici les éléments ayant conduit à l’arrêt du 27 février dernier.
Madame A a été agressée en novembre 2009 et a immédiatement alerté les services de police. Le procureur du Roi, prenant sa plainte au sérieux, a ordonné une série de vérifications qui ont accrédité ses dires. Comme l’enquête stagnait, Madame A s’est constituée partie civile contre X en juin 2010 dans les mains d’un Juge d’instruction, ce qui lui permettait de devenir partie à la procédure, de mieux la suivre et, en bout de course, de demander une réparation de son préjudice.Le 7 juillet 2011, le procureur du Roi a dressé un réquisitoire de non-lieu, mettant un terme aux poursuites, faute d’auteur connu. La victime a alors sollicité des devoirs d’enquête complémentaires, le juge d’instruction a fait droit à ces devoirs, qui n’ont malheureusement révélé aucun résultat probant. Un nouveau réquisitoire de non-lieu est donc intervenu. Le 6 novembre 2012, la chambre du conseil (c’est-à-dire la formation de jugement qui, au sein du tribunal correctionnel, décide en fin d’instruction quel doit être le sort du dossier : renvoi devant le tribunal, non-lieu, devoirs complémentaires d’instruction), tout en ordonnant le non-lieu contre X, a condamné la victime au paiement des frais de l’action publique, soit 5.140,31 euros.La condamnation concernait tant des frais exposés par les devoirs demandés par le procureur que des coûts postérieurs à la constitution de partie civile (téléphonie, recherches ADN, etc.).
Légitimement, la victime a interjeté appel de cette ordonnance devant la chambre des mises en accusation.
3. Le parquet général, tout en reconnaissant que Madame A. avait souffert dans sa chair de faits d’une gravité exceptionnelle, a requis la confirmation de sa condamnation au paiement des frais, vu leur légalité : c’est en effet ce que la loi prévoit.La chambre des mises en accusation a néanmoins réformé l’ordonnance de la chambre du conseil en mettant les frais à charge de l’État.
4. La chambre des mises en accusation a considéré deux types de frais, ceux exposés dans le cadre de l’information suite à la plainte à la police et ceux résultants de l’instruction et donc postérieurs à la constitution de partie civile. Il est renvoyé, sur la différence entre l’information et l’instruction judiciaires, àl’article de Laurent Kennes publié sur Justice-en-ligne, « L’action pénale : ‘information’ ou ‘instruction’ ».
Au niveau de l’information : l’article 162du Code d’instruction criminelle ne peut avoir pour conséquence de mettre à charge de la victime les frais de l’action publique résultant d’actes d’enquête ordonnés par le procureur du Roi dans le cadre de son information antérieurement à la constitution de partie civile. En d’autres termes, lorsqu’une victime dépose plainte à la police ou au parquet, elle ne peut être tenue de payer les devoirs sollicités par le procureur du Roi. La victime de viol ne devrait donc pas craindre d’assumer les frais si elle dénonce son agression aux autorités policières.
À l’étape de l’instruction : la règle contenue dans l’article 162 du Code d’instruction criminelle, selon laquelle la partie civile qui succombera sera condamnée aux frais de l’action publique lorsque l’instruction a été ouverte suite à sa constitution de partie civile, n’est pas applicable lorsque, comme en l’espèce, le dossier pénal accrédite les dires de la partie civile concernant la réalité des infractions reprises dans son acte de constitution et que le non-lieu est décidé pour la seule raison que le ou les auteurs de ces infractions sont demeurés inconnus. Dans ce cas, on ne peut considérer que la partie civile a, au sens de la disposition légale précitée, succombé. Elle ne doit donc pas prendre en charge les frais liés à l’instruction.
Il faut donc rester prudent au stade de l’instruction et rassembler un maximum de pièces pour appuyer sa constitution de partie civile et asseoir sa crédibilité au-delà des éléments récoltés dans le cadre de l’information : témoignages, constatations médicales post-traumatiques, attestation de suivi psychologique, etc., sont des pistes pouvant corroborer utilement une plainte sérieuse.
5. En conclusion, la charge des frais de justice vise notamment à dissuader et quoi de plus normal les plaintes fantaisistes mais il est essentiel de ne pas déposséder une victime des droits dont elle bénéficie en la décourageant d’emblée à aller plus loin qu’une simple plainte à la police ou au parquet.
Rappelons que la constitution de partie civile est l’unique moyen de demander légalement des devoirs d’enquête complémentaires. Accorder via une réforme législative une marge de manœuvre au juge dans l’imputation des frais de justice en cas de constitution de partie civile est donc primordial. Il est inacceptable qu’une victime de viol risque une condamnation aux coûts nécessaires à la recherche de son agresseur si, à terme, l’enquête ne permet pas d’identifier ou de retrouver le coupable, alors que la matérialité des faits de viol ne peut être remise en cause.
Votre point de vue
Gisèle Tordoir Le 4 avril 2013 à 16:40
Dans le cas présent, après toutes les vérifications et les devoirs d’enquête complémentaires, les dires de la victime se sont vus accrédités, les faits n’ont pas été remis en cause : que faut-il de plus pour que les droits de la victime soient totalement et réellement pris en compte ? C’est la lenteur légendaire de la procédure, pléonasme banal, qui a contraint la victime à se porter partie civile et c’est l’insuccès de l’enquête qui fait que l’agresseur reste non connu...Affolant...Mais comment fonctionnent la "justice" et ses enquêteurs ? Malgré tous les moyens dont ils disposent, ADN e.a., pas moyen d’identifier l’auteur des faits ??? A quoi servent et comment sont utilisés les moyens financiers, le matériel et le personnel mis à disposition de l’action publique ??? Madame A., victime et blessée dans sa chair, a eu le courage d’alerter la police et d’engager cette pénible procédure. Le procureur qui a pris la décision initiale de faire payer les frais de cette procédure par la victime devrait être durement sanctionné car comment expliquer que le second procureur ait eu un avis à ce point divergent ? A quand l’avis d’un troisième et/ou d’un quatrième procureur ? C’est un excellent exemple, à mon avis, qu’un jugement doit être rendu dans une cour "à trois juges"...Cela pourrait éviter ce genre de dérapage qui démontre une fois de plus les dysfonctionnements du système judiciaire, comme s’il le fallait encore...Le vide juridique, encore un pléonasme... A combler au mieux et pas simplement au plus vite car "vite et bien" semble utopique. La justice reste un chantier titanesque où bien des réparations voire des reconstructions sont à faire. Je reste néanmoins persuadée qu’il y a encore des avocats, des juges, des procureurs, des greffiers, des enquêteurs et d’autres fonctionnaires dont la justice bien rendue reste le cheval de bataille. Malheureusement, ce sont les cas d’erreurs de jugement, bien trop nombreux, qui entâchent la réputation et qui ternissent l’image du monde judiciaire. La justice, c’est comme la police, la médecine, moins on en a besoin, mieux on se porte...
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Gisèle Tordoir Le 27 avril 2013 à 19:51
Le 4 avril à 16:40, par Gisèle Tordoir
Dans le cas présent, après toutes les vérifications et les devoirs d’enquête complémentaires, les dires de la victime se sont vus accrédités, les faits n’ont pas été remis en cause : que faut-il de plus pour que les droits de la victime soient totalement et réellement pris en compte ? C’est la lenteur légendaire de la procédure, pléonasme banal, qui a contraint la victime à se porter partie civile et c’est l’insuccès de l’enquête qui fait que l’agresseur reste non connu...Affolant...Mais comment fonctionnent la "justice" et ses enquêteurs ? Malgré tous les moyens dont ils disposent, ADN e.a., pas moyen d’identifier l’auteur des faits ??? A quoi servent et comment sont utilisés les moyens financiers, le matériel et le personnel mis à disposition de l’action publique ??? Madame A., victime et blessée dans sa chair, a eu le courage d’alerter la police et d’engager cette pénible procédure. Le procureur qui a pris la décision initiale de faire payer les frais de cette procédure par la victime devrait être durement sanctionné car comment expliquer que le second procureur ait eu un avis à ce point divergent ? A quand l’avis d’un troisième et/ou d’un quatrième procureur ? C’est un excellent exemple, à mon avis, qu’un jugement doit être rendu dans une cour "à trois juges"...Cela pourrait éviter ce genre de dérapage qui démontre une fois de plus les dysfonctionnements du système judiciaire, comme s’il le fallait encore...Le vide juridique, encore un pléonasme... A combler au mieux et pas simplement au plus vite car "vite et bien" semble utopique. La justice reste un chantier titanesque où bien des réparations voire des reconstructions sont à faire. Je reste néanmoins persuadée qu’il y a encore des avocats, des juges, des procureurs, des greffiers, des enquêteurs et d’autres fonctionnaires dont la justice bien rendue reste le cheval de bataille. Malheureusement, ce sont les cas d’erreurs de jugement, bien trop nombreux, qui entâchent la réputation et qui ternissent l’image du monde judiciaire. La justice, c’est comme la police, la médecine, moins on en a besoin, mieux on se porte...
Malgré ma question posée après la première "disparition", je ne sais toujours ni pourquoi, ni suite à qui, à quoi , c’est la deuxième fois QUE MON INTERVENTION DISPARAIT. Je la redépose ce soir samedi 27 avril 2013 à 19h45. Gisèle Tordoir
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skoby Le 3 avril 2013 à 14:10
Ce jugement est tellement normal. Vouloir faire payer les frais judiciaires à une
femme qui a été violée, et dont la Justice ne retrouve pas le coupable, est tellement honteux que le Procureur devrait être démis de ses fonctions.
Une fois de plus, cet incident souligne la médiocrité de notre Justice en Belgique.
Martin Le 3 avril 2013 à 17:33
Vous vous trompez de cible, comme souvent d’ailleurs. Le fait est que c’est une disposition légale, votée par vos (par nos) représentants, qui prévoit cette situation. Un juge l’a appliquée. Un autre a considéré qu’elle ne devait pas être appliquée comme elle l’avait été par le premier juge. C’est ce qu’on appel l’évolution jurisprudentielle.
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Docteur LOUANT Le 3 avril 2013 à 13:12
Cela parait tellement évident qu’il est déplorable de devoir en faire un "cours".
Le faire préciser dans un texte législatif sera probablement nécessaire pour éviter aux victimes de se voir sanctionner pour les faiblesses, voir négligences des autorités responsables et de leurs représentants.Ceci constitue encore une fois un aspect typique de la manière de travailler de ceux qui nous gouvernent.
Ainsi les honoraires des Experts Judiciaires en matière Sociale (INAMI, Handicapés..etc) sont fixés par A.R. de 1987. Mais on a oublié d’abroger un point de procédure.Ce qui fait que je Juge doit attendre que les Parties marquent leur accord sur ces états d’honoraires pour pouvoir les taxer.Les Parties auraient donc plus de "pouvoir" que l’A.R. A quand un peu de bon sens et de rigueur dans le raisonnement ?
Que dire encore de la situation inextricable des enseignants victime d’agression physique de leurs élèves ? situations de plus en plus souvent dramatiquement injustes.
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Monique SABY Le 3 avril 2013 à 12:57
Je suis indignée par cette inégalité des genres qui est contraire à l’article 2 du Traité de Lisbonne. La misogynie s’installe de plus en plus dans ce pays et en toute impunité.
Certaines communautés bien installées et bien défendues, avec des barrières culturelles ancestrales où la femme est ravalée à un utérus au mieux, auront tout avantage à profiter de ce vide juridique.
Il est vrai que la Belgique n’est pas une bon élève au niveau de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (de la femme ; ceci reste à confirmer).
Un véritable appel d’appel d’air à des situations analogues qui se passent en Inde, dans les pays arabes etc...
Continuez comme cela ou sortez de l’UE !
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