La répétibilité des frais et honoraires d’avocat pour les procédures devant le Conseil d’État

par Jérome Sohier - 23 août 2011

Ainsi qu’un précédent article de Jérôme Sohier l’a exposé le 14 mai 2009 dans Justice-en-ligne (« Le coût du procès et la prise en charge des frais d’avocat par la partie perdante - Et qu’en est-il devant le Conseil d’État ? »), celui qui perd un procès devant le Conseil d’État ne doit pas rembourser les frais et honoraires du gagnant. En d’autres termes, le système dit de la répétibilité des frais et honoraires d’avocat, applicable dans certaines limites devant les juridictions judiciaires, ne l’est pas devant le Conseil d’État.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Jérôme Sohier nous explique que la législation et la jurisprudence n’ont pas évolué sur ces questions mais que le débat reste ouvert.

1. Depuis 2007, la répétibilité des frais et honoraires d’avocat est assurée, dans une certaine mesure, par l’article 1022 du Code judiciaire, sous la forme d’une indemnité de procédure, qualifiée d’« intervention forfaitaire dans les frais et honoraires d’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause ». Un arrêté royal établit des montants de base, minima et maxima, de cette indemnité de procédure, en fonction notamment de la nature de l’affaire et de l’importance du litige.

L’article 1022 du Code judiciaire précité n’est cependant applicable qu’aux procédures menées devant les cours et tribunaux du pouvoir judiciaire, à l’exclusion des procédures menées devant la Cour constitutionnelle ou devant le Conseil d’Etat. Les lois coordonnées sur le Conseil d’Etat prévoient, pour leur part, en leur article 30, le paiement de dépens, sous la forme d’un « droit de timbre » de 175 € pour les recours en annulation et/ou en suspension, et de 125 € pour des requêtes en intervention.

En réalité, il ne s’agit nullement ici d’une quelconque indemnité de procédure censée rembourser des frais et honoraires d’avocat, mais bien uniquement d’une taxe qui est, par ailleurs, liquidée « en débet » au terme de la procédure, en fonction de ce qui est décidé dans l’arrêt du Conseil d’État : une copie de l’arrêt est ainsi adressée au Bureau de l’enregistrement, chargé de la perception à charge de la partie requérante ou de la partie adverse. Il apparaît qu’en pratique cette taxe ne donne lieu qu’à de très rares recouvrements.

2. Est-ce à dire qu’un requérant qui a mené avec succès toute une procédure devant le Conseil d’Etat ne dispose d’aucun droit pour obtenir le remboursement des frais et honoraires d’avocat exposés pour sa défense ? Il n’en est rien : si le Conseil d’Etat a toujours refusé, jusqu’ici, d’allouer lui-même une quelconque indemnité de procédure à un requérant (au motif, en substance, que « les dispositions sur l’indemnité de procédure apparaissent clairement, dans les travaux préparatoires de la loi, comme la régulation d’une forme de responsabilité civile ; que la demande du requérant apparaît ainsi comme portant sur une contestation qui a pour objet un droit civil et qui échappe de ce fait à la compétence du Conseil d’Etat, en application de l’article 144 de la Constitution », C.E. 4 mars 2008, arrêt Dries, n° 180.510 ), il n’y a cependant pas de discrimination des justiciables à cet égard.

Par un arrêt du 16 juillet 2009, la Cour constitutionnelle a ainsi eu l’occasion de juger que le requérant qui sort victorieux d’un contentieux devant le Conseil d’Etat peut parfaitement solliciter une indemnité de procédure, pour autant qu’il s’adresse aux cours et tribunaux compétents (Cour constitutionnelle, 16 juillet 2009, n° 118/09 - voir document annexé ci dessous). Il appartient dès lors au requérant d’introduire une nouvelle procédure devant le tribunal civil et de solliciter la réparation de son préjudice, correspondant aux frais et honoraires payés à son avocat dans le cadre de la première procédure menée devant le Conseil d’Etat.

Le Tribunal de première instance de Bruxelles a ainsi été amené à connaître de diverses affaires où, dans une telle hypothèse, un requérant victorieux d’une procédure devant le Conseil d’Etat sollicitait le remboursement des frais et honoraires d’avocat qu’il avait dû exposer à cette fin. La jurisprudence paraît fixée, à cet égard, en ce sens que le tribunal allouera des dommages et intérêts correspondant aux états de frais et honoraires de l’avocat, pour autant que ces états soient produits et qu’ils se situent dans la fourchette entre les taux minima et maxima prévus par l’arrêté royal exécutant l’article 1022 du Code judiciaire précité (soit, entre 82,50 € et 11.000 €). A défaut, c’est un montant forfaitaire de 1.320 €, correspondant au taux de base des affaires non évaluables en argent, qui devrait être octroyé au requérant.

3. S’il n’y a donc pas de discrimination entre les justiciables en l’espèce, le requérant victorieux d’une procédure menée devant le Conseil d’Etat ne pourra obtenir le remboursement de ses frais et honoraires d’avocat qu’au prix d’une deuxième nouvelle procédure menée, le cas échéant à cette seule fin, devant le tribunal civil. La Commission de droit public de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles (c’est-à-dire la commission qui, parmi les avocats bruxellois, examine notamment les conditions dans lesquelles les avocats interviennent dans les matières touchant au droit public au sens large, ce qui concerne principalement la Cour constitutionnelle et le Conseil d’Etat) a eu l’occasion de tenir son assemblée générale en juin 2011 précisément sur cette question, et de conclure à l’opportunité d’une réforme législative, qui donnerait au Conseil d’Etat le pouvoir de fixer lui-même une indemnité de procédure au terme de sa décision, à l’instar des cours et tribunaux judiciaires, le droit à l’obtention d’une telle indemnité de procédure devant être qualifié de droit « procédural », et non d’un droit civil qui relèverait de la compétence exclusive des cours et tribunaux. Ceci permettrait, à tout le moins, d’éviter que les justiciables soient confrontés à la nécessité d’intenter un second procès devant le juge civil sur cette seule question.

4. Il reste une série de questions ouvertes qui font débat en cette matière, et notamment celle de savoir si l’autorité administrative, partie défenderesse dans le cadre de la procédure devant le Conseil d’Etat, pourrait elle aussi requérir le paiement d’une telle indemnité de procédure, dans l’hypothèse où le recours serait rejeté. A l’heure actuelle, il semble qu’aucune décision d’un tribunal civil n’ait encore eu l’occasion de statuer à ce sujet.

Sans doute faut-il admettre que, si le fondement d’une telle indemnité de procédure réside dans un droit procédural, comme il ressort de l’article 1022 du Code judiciaire précité, il n’y a aucune raison de faire une quelconque différence entre les parties. En revanche, si le fondement de cette indemnité réside dans la responsabilité de l’autorité auteur de la norme attaquée, le rejet d’un recours ne démontre pas nécessairement qu’aucune illégalité ni faute n’ait été commise par cette autorité.

C’est bien là l’une des différences essentielles entre un procès portant sur des droits subjectifs et un contentieux dit « objectif » qui, à l’instar des procédures menées devant le Conseil d’Etat, porte exclusivement sur la légalité d’un acte administratif. Il faut admettre également que l’administration doit accepter la contestation par les administrés de la légalité de son action et ne fait, en se défendant devant le Conseil d’Etat, que représenter l’intérêt public. La procédure devant le Conseil d’Etat est d’ailleurs qualifiée d’« inquisitoire », en ce sens que c’est le juge, et non les parties, qui conduit le procès et en dirige l’instruction, avec l’assistance d’un auditorat spécialement chargé d’effectuer cette instruction. Dans ce monde un peu spécial, il n’y a donc pas matière à égalité des parties.

Votre point de vue

  • Bruno LABRIQUE
    Bruno LABRIQUE Le 12 février 2012 à 11:54

    La répétibilité des honoraires d’avocat exposés dans le cadre d’une procédure devant le Conseil d’Etat relevant du droit civil et de la mise en cause de la responsabilité civile éventuelle de la personne juridique ayant causé lesdits frais, il appartient évidemment au demandeur en récupération des frais dont il est question de prouver la "faute" et la relation causale certaine entre celle-ci et les frais d’avocats exposés ce qui n’est pas toujours évident ...

    Il faut d’abord que le justiciable - face à l’autorité - prouve qu’il était pour lui, dans les circonstances concrètes de la cause, indispensable ou, à tout le moins, nécessaire, de diligenter cette procédure administrative pour être rempli de ses droits ou obtenir le résultat concret escompté ...

    Le recours devant le conseil d’Etat n’est pas toujours la seule voie utile, indispensable ou même opportune ...

    La faute s’apprécie quant à elle par rapport au comportement qu’une autre justiciable (ou une autre autorité) normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances aurait adopté.

    Au même titre que le rejet d’un recours devant le Conseil d’Etat n’implique pas nécessairement l’absence de faute dans le chef de l’administration ou de l’Etat, l’acceptation du recours et l’annulation consécutive de l’acte attaqué ne peut, non plus, ipso facto, conduire à conclure en l’existence d’une faute dans le chef de l’Administration ...

    A l’inverse, le fait pour citoyen de croire en l’illégalité d’une acte administratif et de solliciter erronément son annulation n’est pas non plus synonyme de "faute" : un autre citoyen normalement diligent aurait pu aussi se tromper ... (sauf à considérer qu’il y aurait erreur manifeste ou anormale d’appréciation, soit erreur inexcusable et/ou abus de procédure).

    Tout est question d’appréciation concrète par rapport à l’attitude qu’aurait dû adopter un autre citoyen - ou une autre Adminstration - placé dans les mêmes circonstances et, ensuite, de relation causale certaine éventuelle entre cet écart de comportement éventuel - laissé à l’appréciation souveraine du Juge civil - et la nécessité consécutive de l’introduction d’un recours en suspension ou annulation de l’acte querellé devant le Conseil d’Etat et des frais d’avocat exposés à cette fin.

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  • Guy LAPORTE
    Guy LAPORTE Le 25 août 2011 à 12:03

    (Suite du point 1)
    2 - Le juge (administratif ou judiciaire) peut donc, pour des raisons d’équité (situation financière difficile par exemple) exonérer la partie perdante du remboursement des frais d’avocat.
    Cette répétibilité est toutefois partielle en ce sens qu’elle couvre rarement l’intégralité des frais réellement exposés. Les parties demanderesses ne fournissent jamais de notes d’honoraires émanant de leurs avocats qui sont assez réticents pour le faire, et demandent une somme forfaitaire que le juge accorde ou réduit selon le cas.
    Il n’existe pas en France de barème réglementaire comme en Belgique, et le juge (judiciaire ou administratif) apprécie cas par cas en fonction de la nature et de la difficulté de l’affaire. Il le fait à l’intérieur de « fourchettes » résultant d’une jurisprudence assez abondante coordonnée au sommet par la Cour de Cassation (juridictions judiciaires) et le Conseil d’Etat (juridictions administratives).

    Répondre à ce message

  • Guy LAPORTE
    Guy LAPORTE Le 25 août 2011 à 12:01

    J’ai lu avec grand intérêt l’article de Monsieur Jérôme Sohier, et, afin d’alimenter le débat, je me permets d’apporter quelques informations de droit comparé relatives à cette question devant les juridictions administratives en France.

    1 - Les frais et honoraires d’avocat sont répétibles devant toutes les juridictions de l’ordre administratif (tribunaux administratifs, cours administratives d’appel, Conseil d’Etat), en vertu de l’article L761-1 du code de justice administrative qui dispose que : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.". Devant les juridictions administratives, ce texte s’applique dans tous les cas, qu’il s’agisse de contentieux dit de « l’excès de pouvoir » (demandes d’annulation d’actes administratifs pour illégalité), ou de contentieux dit de « pleine juridiction » (contentieux contractuel, contentieux fiscal, contentieux de la responsabilité pécuniaire des personnes publiques).
    Le même texte existe pour les juridictions de l’ordre judiciaire (article 700 du nouveau code de procédure civile).
    (Voir suite au message suivant, point 2)

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