Récemment, la presse s’est emparée de ce que l’on qualifie désormais de l’« affaire Luperto », du nom de l’ancien Président du Parlement de la Communauté française. Il n’a suffi que de quelques plaintes déposées à son encontre pour lancer la machine médiatique, aboutissant à condamner hors des prétoires cet homme politique. Et pourtant, celui-ci demeure présumé innocent…
Le principe de la présomption d’innocence est un des fondements du procès pénal. Inscrit à l’article 6, alinéa 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, il implique que toute personne soit présumée innocente, et traitée comme telle dans le cadre d’un procès équitable, jusqu’à ce que sa culpabilité soit légalement établie.
Le respect de la présomption d’innocence s’applique évidemment au juge, lorsqu’il officie.
En revanche, aucune disposition légale ne contraint, en Belgique, le journaliste au respect de ce principe. Les médias ne peuvent cependant ignorer totalement la présomption d’innocence. Dans un arrêt du 29 août 1997 (Worm c. Autriche ), la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que « les personnalités connues sont en droit de bénéficier d’un procès pénal équitable tel que garanti à l’article 6, ce qui, en matière pénale, comprend le droit à un tribunal impartial. Les journalistes doivent s’en souvenir qui rédigent des articles sur des procédures pénales en cours, car les limites du commentaire admissible peuvent ne pas englober des déclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de réduire les chances d’une personne de bénéficier d’un procès équitable ou de saper la confiance du public dans le rôle tenu par les tribunaux dans l’administration de la justice pénale ».
Outre cet enseignement de la Cour, le journaliste doit avoir égard à plusieurs règles déontologiques qui, sans exiger expressément le respect du principe de la présomption d’innocence, le souhaitent indirectement.
En effet, dans le Code de déontologie journalistique du 16 octobre 2013, adopté par le Conseil de déontologie journalistique, plusieurs dispositions précisent notamment que les journalistes « respectent la vérité », « ne déforment aucune information », qu’ils « tiennent compte des droits de toute personne mentionnée explicitement ou implicitement » et que « l’urgence ne dispense pas les journalistes de […] mener une enquête sérieuse ». Le texte souligne encore que, « lorsque des journalistes diffusent des accusations graves susceptibles de porter atteinte à la réputation ou à l’honneur d’une personne, ils donnent à celle-ci l’occasion de faire valoir son point de vue avant diffusion de ces accusations ». En d’autres termes, la présomption d’innocence ne peut être négligée par le journaliste, celui-ci devant l’intégrer dans une analyse davantage rigoureuse et prudente de l’information.
Le non-respect de ces règles déontologiques ne peut, à lui seul, aboutir à une condamnation civile du journaliste. Toutefois, gardons à l’esprit que le journaliste doit adopter un comportement suffisamment prudent et diligent pour éviter la commission d’une faute au sens de l’article 1382 du Code civil, c’est-à-dire engageant sa responsabilité civile. Dès lors qu’un juge analyse le comportement adopté par un journaliste en comparaison avec le comportement qu’aurait adopté le journaliste suffisamment prudent et diligent dans les mêmes circonstances, le respect des dispositions déontologiques est alors pris en compte.
Constatant cette absence d’obligation légale et souhaitant éviter le détour par les règles déontologiques, certains juges ont considéré que le principe de présomption d’innocence ressortit de la protection du droit à l’honneur et à la réputation ou plus largement du droit à la vie privée. Dès lors, une atteinte à la présomption d’innocence peut constituer une atteinte à l’honneur ou la réputation d’une personne, ce qui peut aussi aboutir à une condamnation civile du journaliste sur la base de l’article 1382 du Code civil.
Enfin, certains auteurs plaident pour une consécration plus large de la présomption d’innocence : ils souhaiteraient que ce principe soit reconnu comme un droit opposable à tous, permettant alors de limiter la liberté de la presse. Il n’est évidemment pas question de museler la presse, mais simplement de garantir à tout individu le respect de sa présomption d’innocence, évitant alors certaines dérives dévastatrices de la presse.
Votre point de vue
Anna Le 6 mars 2016 à 21:13
Je peux affirmer, que la présomption d’innocence n’existe pas quand une personne est confrontée à un haut magistrat. J’ai vécu cela et de la bouche même des enquêteurs, l’instruction se faisait automatiquement à décharge pour le magistrat. La personne était condamnée avant que ne débute un procès de pacotille, instrumentalisé, truqué et qui n’avait qu’un but, ruiner la personne et la mettre à genoux. Un des enquêteurs a d’ailleurs immédiatement reçu une promotion ... alors, la présomption d’innocence n’est valable que pour certains .... ???
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DELCHAMBRE Le 6 mars 2016 à 20:18
Ne faudrait-il pas se souvenir que l’apparition de la présomption d’innocence n’existe que parce qu’elle a été précédée d’une présomption de culpabilité ? Si l’appareil judiciaire - parler de "la justice" m’apparait toujours inapproprié, puisque "la justice" est le but à atteindre - fonctionnait de manière tout à fait neutre, il serait possible de s’en remettre totalement à lui. Mais combien de juges et avocats respectent l’obligation de participer à l’établissement de la vérité ? Sans plus. Tout est donc dans la présentation par les journalistes de l’information. C’est là que le reconnaitra les vrais journalistes des "journaleux" !
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Georges-Pierre Tonnelier Le 21 janvier 2015 à 16:42
Sans vouloir, ainsi que l’auteur de l’article l’a très justement souligné, porter atteinte à la présomption d’innocence, force est de constater que la liberté dont bénéficient les journalistes est parfois détournée par certains d’entre eux à des fins de sensationnalisme.
Un simple exemple est celui de l’obligation, au moins morale si ce n’est déontologique, que devrait avoir le journaliste d’interroger toutes les parties à un procès afin de relayer une information exacte et impartiale. Or, combien de fois peut-on lire des articles où seul le point de vue le plus médiatiquement vendable est exposé, tandis que la défense, de son côté, n’est même pas interrogée ?
Un autre aspect à prendre en considération est la longueur des procédures judiciaires et l’impact désormais permanent des médias sur la vie quotidienne des justiciables. Là où, autrefois, un journal était lu puis jeté, aujourd’hui, Google et la presse en ligne permettent à tout un chacun de prendre connaissance, parfois des années après, d’articles parus au sujet d’une affaire judiciaire concernant un individu.
Si les journalistes professionnels sont arrivés à s’imposer un "droit de suivi" pour les articles traitant d’une affaire judiciaire, permettant au justiciable de faire mentionner, par exemple, son acquittement, sur un article en ligne exposant les poursuites dont il a fait l’objet, force est de constater que cette petite mention tout en bas d’une longue page exposant par moult arguments pourquoi Monsieur X ou Madame Y est poursuivi pour pédophilie ou pour escroquerie n’aide pas vraiment la personne à tourner la page...
Georges-Pierre Tonnelier
Juriste spécialisé en droit des nouvelles technologies
Antoine Lamy Le 4 février 2015 à 13:58
Avez vous entendu parler du site www.maveritesur.com ?
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Gisèle Tordoir Le 26 janvier 2015 à 22:50
Le monde de la presse commet effectivement bien des erreurs dont celle de ne pas respecter la présomption d’innocence, c’est vrai. Mais figurez-vous que le monde judiciaire se permet ce même type de comportement...Le scoop est le nerf du métier journalistique...Mais d’où arrivent les infos ? Qui laisse filtrer les éléments d’enquête ? Où se nichent les indics ? les sources ? Que le monde judiciaire et/ou policier aient la clairvoyance et l’honnêteté de balayer devant leur porte avant de viser les journalistes...Que dire des erreurs de jugement dont les conséquences sont graves ? Tous les fonctionnaires devraient rendre compte de leurs erreurs...Peut-être n’y en aurait-il quasi plus ou alors beaucoup moins ???...La déontologie, le sens de l’éthique, le respect, la recherche de la vérité doivent être la base du fonctionnement de ces institutions importantissimes à mes yeux que sont la justice et la presse. Mais apparemment cela tient davantage du mythe que de la réalité. Une prise de conscience de tous est indispensable.
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Dr Louant Le 21 janvier 2015 à 15:30
La Presse, en partie pour des motifs économiques (vente de journaux soit disant bien informés) mais aussi, semble t il, en tant que Pouvoir (créant l’opinion publique) est devenue extrêmement dangereuse.Les journalistes sélectionnent, trient, et même créent les évènements et par là manipulent l’opinion du publique.Depuis l’Affaire de Charlie Hebdo on les voit s’auto proclamer" intellectuel" "artiste" "défenseur des valeurs démocratiques" selon l’adage" je suis pour la liberté de penser à condition que vous pensiez comme moi" Il est temps, grand temps, que des règles déontologiques, légalement obligatoires pour les professionnels, soient établies par une instance supérieure et indépendante... qui définisse le cadre et les limites de l’acquisition puis de la diffusion d’informations concernant des personnes humaines.Il est temps que l’on s’arrête de penser ou d’agir en fonction de ce que va en dire la Presse.Il est temps que l’information soit affectée d’une valeur morale, respectant la Personne Humaine concrètement.
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skoby Le 21 janvier 2015 à 14:17
Je suis bien d’accord avec le respect indispensable de la présomption d’innocence.
Je suis par contre profondément choqué par certains juges qui laissent des
assassins en liberté, avant même qu’ils n’aient expurgés les peines auxquelles ils
ont été condamnés. Un juge devrait devoir rendre compte de ses actes, cela les
feraient peut-être réfléchir un peu plus.
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FrankP Le 19 janvier 2015 à 15:55
Si on commençait par sanctionner les fonctionnaires indélicats qui renseignent la presse alors qu’ils sont tenus au secret professionnel ????? Je me souvient de l’affaire Ait Out à Liège (meurtre de deux filettes) où le contenu ddu caleçon du prévenu était étalé dans les journaux avant d’arriver sur la table de juge d’instruction... Un comble... Idem dans l’affaire Wesphale où les devoirs des enquêteurs étaient publiés dans la presse au mépris de la présomption d’innocence... Bref, il serait temps qu’on cansacre la même énergie à débusquer ces fonctionnaires indélicats qu’à publier les fuites dans les journanux !
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