En 2007, le journal Le Monde publiait une tribune libre dans laquelle l’écrivain Pierre Mertens qualifiait le président de la N-VA, Bart De Wever, de « leader résolument négationniste ». Lors d’une interview donnée quelques jours après dans l’hebdomadaire Knack, Pierre Mertens expliquait que ses propos s’inscrivaient en réaction aux déclarations polémiques tenues par l’homme politique flamand. Bart De Wever avait qualifié de « gratuites » les excuses faites à la communauté juive par le bourgmestre d’Anvers pour l’implication de cette ville dans la déportation durant la seconde guerre mondiale.
Mécontent de s’être fait traiter de négationniste, Bart De Wever engagea une procédure judiciaire à l’encontre de Pierre Mertens, lui reprochant un délit d’injure et de calomnie envers un membre d’un corps constitué, tel qu’instauré par l’article 4 du « décret » belge du 20 juillet 1831 sur la presse (suite à l’indépendance belge, et avant même la promulgation de la Constitution, une série de textes législatifs fut adopté par le Gouvernement provisoire et le Congrès National sous le nom de « décret »).
Le 14 février 2012, une ordonnance prise par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles a clos la procédure. Manifestant une opinion matérialisée dans un écrit diffusé en plusieurs exemplaires, les propos de Pierre Mertens pourraient être constitutifs de délit de presse, « à supposer établi le caractère calomniateur ou diffamatoire ». Sans analyser en tant que tel ce caractère, la chambre du conseil confirme indirectement que c’est pareil délit qui aurait pu faire l’objet de poursuites à charge de Pierre Mertens en faisant application de l’article 12 du décret précité, sans se prononcer bien entendu – et ce n’est pas son rôle – sur la question de savoir si ce délit a été commis en l’espèce. C’est en effet autour de cette disposition que l’ordonnance concentre ses développements. Organisant un régime particulier de prescription, l’article 12 mentionne que « [l]a poursuite des délits prévus par les articles 2, 3 et 4 du présent décret sera prescrite par le laps de trois mois, à partir du jour où le délit a été commis ou celui du dernier acte judiciaire ».
L’application de ce régime de prescription requiert dès lors la détermination précise du jour où le fait délictueux a été commis. Le point de départ du délai de prescription pour le délit de presse, considéré comme un délit instantané (qui s’accomplit à un moment déterminé par un fait unique), est la date de la première diffusion de l’écrit. Mais le chef de file de la N-VA soulignait la présence de l’article litigieux dans les archives internet du quotidien français. Tenant compte de cette version électronique, il estime que le délit perd son caractère instantané pour devenir continu (qui s’accomplit sur une certaine période et se maintient dans le temps) précisément parce que rendu accessible à tout instant sur le net. Le point de départ du délai de prescription est alors différent : c’est au moment où le délit a cessé, et donc dès l’instant où l’article n’est plus disponible sur le web, que la prescription commence à courir.
La chambre du conseil soutient qu’un délit de presse par internet conserve son caractère instantané.
Une telle solution semble raisonnable à deux égards.
D’une part, il est difficile de reprocher à Pierre Mertens, auteur d’une tribune libre, le maintien en ligne de ses propos alors qu’il n’est pas journaliste pour le quotidien Le Monde. La décision aurait-elle été similaire si l’auteur des mêmes propos avait été journaliste, dès lors responsable de la présence d’un tel article dans les archives internet de son journal ? La question reste ouverte, mais il n’est pas impossible que le juge serait amené à statuer différemment en ce cas.
La solution retenue permet d’autre part d’éviter que les modalités de prescription, et donc d’éventuelles responsabilités des journalistes, soient différentes selon les procédés de publication utilisés.
En application de ces principes, l’ordonnance déclare l’action publique éteinte par voie de prescription, le délai de trois mois étant largement dépassé. Certains regretteront, comme le fait Pierre Mertens, qu’un réel débat sur l’épineuse question des discours négationnistes n’ait pas effectivement eu lieu.