L’interdiction de traitement inhumain et dégradant est absolue et demeure quels que soient les circonstances et les agissements de la victime : ainsi en a jugé la Cour d’appel

par Réginald de Béco - 27 janvier 2014

La presse nous apprend que Farid Bamouhammad, appelé communément « Farid le fou » a récemment obtenu la condamnation de l’État belge par la Cour d’appel de Bruxelles. Dans un arrêt du 6 décembre 2013, celle-ci a, en effet, confirmé l’ordonnance de référés du 6 septembre 2012 du président du tribunal de première instance de Bruxelles qui avait « ordonné à l’État belge de suspendre la politique de transfèrement de M. Bamouhammad et de choisir une prison dans laquelle il pourra bénéficier de l’encadrement existant, propice à sa stabilisation. » Pour le surplus, la Cour d’appel « ordonne à l’État belge de [le] détenir ailleurs que dans un cachot, sauf éventuelle sanction disciplinaire ou demande de M. Bamouhammad, tout en prenant les dispositions nécessaires pour assurer sa sécurité en cas de risque sérieux d’atteinte à [son] intégrité physique ou morale par d’autres détenus, voire par des membres du personnel, sauf dans le cadre d’une éventuelle sanction disciplinaire ».

Réginald de Béco, avocat spécialiste en droit pénal et en droits de l’homme, ancien président de la Commission Prisons de la Ligue des droits de l’homme, nous explique en quoi ce type de décision judiciaire se justifie a regard des droits fondamentaux qui – il faut toujours le rappeler – nous concernent tous.

Farid Bamouhammad est détenu presque sans interruption depuis 1984. Avant cela, il avait été en homes pour jeunes en difficulté dès l’âge de sept ans et en institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ) à partir de ses quatorze ans. En près de trente ans, il a déjà fait l’objet de plus de trente-cinq transferts d’une prison à l’autre.

L’administration pénitentiaire avait adopté à son égard, en janvier 2011, une politique de transfèrement tous les trois mois, qui, en première instance, a été condamnée par l’ordonnance de référés du 6 septembre 2012.
À partir du mois d’avril 2013, il s’est retrouvé à la prison de Nivelles, détenu dans un cachot, pudiquement baptisé « cellule d’isolement aménagée », « afin de limiter – d’après les explications du directeur de la prison – les contacts avec les détenus et le personnel, source de malentendus et de provocations éventuelles au vu de la défiance réciproque toujours présente ».

La Cour d’appel relève qu’il est ainsi resté détenu dans ces conditions pendant plus de sept mois sans provoquer, lui-même, le moindre incident. Le 10 octobre 2013, un membre magistrat de la Commission de surveillance de la prison de Nivelles a indiqué que « le détenu estimait que, malgré des aménagements divers, la modalité concrète de son placement actuel dans une cellule sécurisée est d’une dureté qui dépasse ce qui est nécessaire pour sa sécurité car cette sécurité peut être préservée d’une autre manière. » Le 8 novembre 2013, quelques jours avant l’examen du dossier par la Cour d’appel, Farid Bamouhammad a été subitement réintégré dans le régime cellulaire ordinaire, sans explication ni information préalable, et cela par la force. Son refus, par peur pour sa sécurité, a entraîné une mesure disciplinaire de placement au cachot.

Dans son arrêt, la cour d’appel souligne que « le placement de longue durée de M. Bamouhammad dans un cachot pour des motifs de sécurité et la tentative brutale de réintégration en cellule, alimentent à l’évidence chez [lui] des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à l’humilier, à l’avilir et à briser sa résistance physique ou morale, ce qui constitue un traitement dégradant auquel il convient de mettre un terme ».

On peut aisément comprendre les craintes de Farid Bamouhammad quant à sa sécurité lorsque l’on sait que deux directeurs et un chef de quartier de la prison d’Ittre viennent d’être condamnés par le tribunal correctionnel de Nivelles pour lui avoir infligé des « coups et blessures volontaires » et l’avoir soumis à un « traitement inhumain ». Dans l’arrêt de renvoi ayant précédé ce jugement, la chambre des mises en accusation de Bruxelles a notamment relevé que « l’interdiction de traitement dégradant et inhumain est absolue et demeure quels que soient les circonstances et agissements de la victime ».

Que Farid Bamouhammad ne soit pas un détenu facile, c’est une évidence.

Cela ne justifie pas pour autant le traitement qui lui est infligé. On est en droit de se demander si ce traitement ne l’a pas poussé à bout et ne l’a pas rendu « fou » au sens où les syndicats d’agents pénitentiaires l’ont ainsi surnommé. Il y a effectivement de quoi perdre la raison. A cet égard, l’expert psychiatre dépêché par la Cour d’appel de Bruxelles conclut qu’« on ne peut que caractériser de négatif l’impact qu’a sur [lui] la politique de transfèrement ».

C’est donc à bon droit que ses avocats, Me Marc Nève, du barreau de Liège, Me Chantal Moreau, du barreau de Bruxelles et Me Thierry Moreau, du barreau de Nivelles, se sont mobilisés, quasi bénévolement, dans le souci de faire respecter les droits de l’homme en prison. Ils l’ont fait pour ce détenu comme ils l’auraient fait pour n’importe quel autre condamné soumis à de telles conditions de détention. Ils ne demandent pas l’impossible, loin de là. Ils se battent simplement pour que cet homme puisse enfin exécuter sa peine dans des conditions humaines qui lui permettront de préparer sa sortie de prison et sa réinsertion dans la société.

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 1er février 2014 à 15:42

    Ce type paie par son emprisonnement pour ce qu’il a fait de mal. Quoi qu’il en soit, aucun prisonnier ne mérite l’humiliation, la dégradation. A se conduire comme les voyous, on devient comme eux, on leur ressemble...Il ne faut pas craquer car on le voit cela leur fait de la publicité alors qu’ils ne méritent pas que l’on parle d’eux...Les gardiens de prison sont des femmes et hommes comme nous tous et j’imagine la pénibilité des conditions de travail mais je les en conjure "tenez le coup, ne flanchez pas, soyez plus forts qu’eux car ils n’ont qu’un but c’est vous avilir, vous réduire à leur ressembler"...Si la justice faisait bien son boulot, elle ne se contenterait pas de mettre à l’ombre les coupables mais elle ferait également en sorte que le personnel ait les conditions optimales pour faire leur boulot...Mais visiblement c’est trop attendre du monde judiciaire qui pourtant se croit si efficace...

    • coline
      coline Le 16 mars 2014 à 12:35

      « c’est la raison de la loi légale qui fait un travail selon la justice »

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  • jS
    jS Le 30 janvier 2014 à 07:23

    Bonjour,
    Je partage l’avis de G-P Tonnelier concernant le manque de formation des gardiens. Un service spécialisé ou simplement une formation plus adaptée et complète des gardiens serait l’idéal mais difficilement réalisable lorsque l’on connait le très faible budget réservé au pouvoir judiciaire. Comment améliorer un système lorsque les moyens de mise en oeuvre ne lui sont pas octroyés ? Faut-il encore trouver ces finances... Il me semble qu’une institution préparée à la gestion de comportements tels que celui de ce détenu "difficile" aura moins tendance à virer dans les excès de traitements inhumains ou dégradants. Et parce qu’ils seront formés pour ce genre de situation, les grèves seront probablement moins nombreuses. Notons que les grèves ont également un coût pour la société mais que celles-ci se justifient bien souvent par une crainte des gardiens pour leur propre sécurité voire parfois même pour leur propre vie... Enfin, ceci ne reste que mon avis de non spécialiste en la matière :)

    • Georges-Pierre Tonnelier
      Georges-Pierre Tonnelier Le 23 février 2014 à 22:54

      Bonjour,

      J’ai en effet du mal à comprendre que le monde judiciaire semble s’étonner du comportement, que tout le monde semble découvrir, de certains prisonniers.

      Il ne faut quand même pas avoir fait cinq années de psychologie ou de droit et de criminologie pour se rendre compte qu’on trouve, dans l’univers carcéral, des individus dont l’attitude générale, au quotidien, n’est pas vraiment celle d’un bon père de famille, honnête et respectueux d’autrui, qui résout ses conflits par le dialogue et la tolérance.

      Soyons clairs : on trouve, en prison, pas mal d’hommes violents et caractériels, en gros ingérables. Il faut être naïf pour penser que le contact avec des agents pénitentiaires qui n’ont reçu aucune formation ni en psychologie (ni en sports de combat !) va bien se passer, comme par magie, et que le respect et l’écoute de l’autre vont arriver dans le crâne de tous les détenus par la force du Saint-Esprit !

      Dès lors, les vrais responsables de ce genre de situation sont les autorités politiques qui envoient au casse-pipe le personnel pénitentiaire, et s’étonnent ensuite que ces gens ne soient pas en mesure de gérer une situation explosive.

      Georges-Pierre Tonnelier
      Juriste spécialisé en droit des nouvelles technologies
      http://www.tonnelier.be

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  • CED
    CED Le 28 janvier 2014 à 21:17

    @ skoby

    Je comprends votre indignation mais il a été jugé pour les graves faits qu’il a commis et est en prison, fort heureusement, d’ailleurs.
    Et cela s’arrête là. Il paie sa peine à la société qui a rendu la justice. Comme toute personne humaine il n’a pas à subir des coups et blessures VOLONTAIRES. Les gardiens de prison -qui ont une tâche difficile- n’ont pas à rendre ’justice’ eux-mêmes.
    Par ailleurs, ce n’est pas en donnant des coups et blessures VOLONTAIRES que l’on arrangera son cas problématique. Au contraire sans doute, rendant la tâche des gardiens de prison encore plus difficile. Je peux facilement comprendre le pétage de plombs des gardiens de prison mais il ne faut pas tout mélanger.
    Bien à vous,

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  • Georges-Pierre Tonnelier
    Georges-Pierre Tonnelier Le 28 janvier 2014 à 13:21

    Je suis persuadé qu’avec un peu de psychologie, on devrait pouvoir arriver à des résultats positifs, même avec des individus difficiles.

    Il n’est quand même pas normal qu’un seul homme puisse ainsi mettre à mal tout l’appareil judiciaire au point de provoquer des grèves chez les agents pénitentiaires, qui ne sont de toute façon pas formés pour gérer de tels cas.

    J’en reviens à ma proposition de remplacer les agents pénitentiaires par une unité spéciale de la Police fédérale, en charge de la sécurisation des prisons et des Palais de Justice : http://www.tonnelier.be/la-police-en-greve-contre-lamateurisme-des-services-de-securite-du-palais-de-justice/

    Georges-Pierre Tonnelier
    Juriste spécialisé en droit des nouvelles technologies
    http://www.tonnelier.be

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  • skoby
    skoby Le 28 janvier 2014 à 11:18

    On voit que ce ne sont ni les avocats, ni les Juges qui doivent surveiller ce prévenu.
    Le pauvre, il a subi des traitements inhumains !!!!....Et qu’est-ce qu’il a tout fait
    pour mériter ces si longues années de prison ???? Cela vous n’en parlez pas !
    Combien de victimes a-t-il sur la conscience ? Cela les avocats et les Juges s’en
    foutent !
    Une fois de plus la Justice ne protège pas les victimes, mais les crapules dont on
    oublie un peu vite les actes qu’ils ont commis

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