I. Contexte et décision de la Cour
1. Le 4 février 2021, le tribunal correctionnel d’Anvers a condamné Assaddollah Assadi, un fonctionnaire diplomatique de nationalité iranienne arrêté le 1er juillet 2018 pour avoir commis avec d’autres personnes une infraction terroriste qui a attenté à la vie d’autrui.
A. Assadi projetait en réalité de commettre un attentat à l’occasion d’un rassemblement du conseil national de la résistance iranienne qui devait se tenir en France.
2. Dès lors, plusieurs membres de cette association ont introduit un recours en suspension et en annulation contre la loi du 30 juillet 2022 portant assentiment au traité de transfèrement entre la Belgique et l’Iran en soutenant que, en tant qu’il autorise le Gouvernement belge à transférer en Iran une personne condamnée par les cours et tribunaux pour avoir commis, avec le soutien de l’Iran, une infraction terroriste qui a attenté à la vie d’autres personnes, l’article 5 de cette loi viole le droit à la vie de ces dernières personnes tel qu’il est reconnu par la Convention européenne des droits de l’homme.
Cette décision s’insère également dans un contexte où les autorités iraniennes font pression sur la Belgique en détenant sans procès équitable et dans des conditions épouvantables Olivier Vandecasteele, travailleur humanitaire belge, accusé par l’Iran d’espionnage.
Ainsi, comme l’a déclaré le ministre compétent à l’occasion des discussions parlementaires portant sur l’adoption de la loi d’assentiment au traité de transfèrement, dès le premier jour de l’arrestation du diplomate iranien en 2018, les pressions exercées par l’Iran ont été ressenties et la situation sécuritaire des intérêts belges s’est systématiquement dégradée depuis lors (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2784/003, p. 53).
3. Dans son arrêt n° 163/2022 du 8 décembre 2022, la Cour constitutionnelle a considéré qu’au vu de ce qui précède, la Belgique sait ou doit savoir que, si, en exécution du traité du 11 mars 2022, l’Iran et celle-ci s’accordent sur le transfèrement sur le territoire de l’Iran d’une personne de nationalité iranienne qui a été condamnée par les cours et tribunaux belges pour avoir commis, avec le soutien de l’Iran, une infraction terroriste en vue d’attenter à la vie d’autrui, l’Iran n’exécutera pas effectivement cette peine, en application de l’article 13 de ce traité.
Elle a donc conclu qu’en ce qu’il permet de transférer un Iranien condamné en Belgique pour une infraction terroriste avec le soutien de l’Iran, le traité en question semble, dans ces conditions, violer le droit à la vie des victimes.
De ce fait, celle-ci a suspendu l’application de l’article 5 de la loi portant assentiment au traité, qui dispose que « [l]e Traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées, fait à Bruxelles le 11 mars 2022, sortira son plein et entier effet ».
II. Les contours du droit à la vie garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme
4. L’article 2, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que « [l]e droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ».
Au-delà de l’interdiction d’attenter à la vie d’autrui, la Cour européenne des droits de l’homme considère de longue date que l’article 2 de la Convention contient également une obligation distincte de nature procédurale pour l’État de mener une enquête effective en cas de décès suspect (CEDH, 27 juin 2000, İlhan c. Turquie], §§ 91 et 92 ; CEDH, 9 avril 2009, Šilih c. Slovénie, §§ 153 et 154]).
L’exigence d’effectivité de l’enquête pénale découlant du volet procédural de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme a aussi été interprétée comme une obligation pour les États d’exécuter sans délai leurs jugements définitifs, l’exécution de la peine devant être considérée comme faisant partie intégrante de l’obligation procédurale que cet article fait peser sur l’État (CEDH, 13 octobre 2016, Kitanovska Stanojkovic et autres c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », § 32).
5. Dans cette mesure, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’octroi du bénéfice d’une amnistie aux auteurs de meurtres ou de mauvais traitements de civils, ainsi que permettre à l’auteur de crimes très graves d’exercer des fonctions publiques à l’avenir, serait contraire aux obligations découlant pour les États de l’article 2 de la Convention dès lors que cela empêcherait la conduite d’investigations sur de tels actes et conduirait nécessairement à l’impunité de leurs auteurs (CEDH, 27 mai 2014, Marguš c. Croatie], § 127 ; CEDH, 26 mai 2020, Makuchyan et Minasyan c. Azerbaïdjan et Hongrie, § 171).
Ainsi, dans une décision récente où était soulevée la question des obligations respectives des États dans le cadre du transfert d’un condamné en application d’un traité international, la Cour européenne des droits de l’Homme a estimé que l’État de condamnation est tenu de protéger, dans le cadre de la procédure de transfèrement, le droit à la vie des personnes qui sont affectées par l’infraction commise (CEDH, 26 mai 2020, Makuchyan et Minasyan c. Azerbaïdjan et Hongrie, §§ 195 à 197]).
III. Conclusion
6. En se référant à la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour constitutionnelle a donc considéré, au terme d’un premier examen, que la possibilité de transfèrement de A. Assadi en application du traité conclu entre la Belgique et l’Iran contreviendrait aux droits fondamentaux reconnus aux victimes de ce dernier. En effet, un tel transfèrement les priverait des droits dont elles bénéficient en droit belge en tant que victimes et constituerait une atteinte irréparable à leur droit à la vie.
Dans l’affaire Makuchyan, toutefois, si la Cour européenne des droits de l’Homme a conclu que les mesures prises par l’Etat dans lequel le détenu a été transféré ont concrètement conduit à l’impunité du détenu et n’étaient donc pas compatibles avec le volet procédural du droit à la vie consacré par l’article 2, elle a en revanche considéré que l’État de condamnation n’avait pas violé cette disposition en suivant scrupuleusement les procédures prévues par le traité de transfèrement même en l’absence de réponse satisfaisante de la part de l’État d’exécution. Précisons que, dans ce cas d’espèce, à la différence de l’Iran, les deux États étaient soumis au respect de la Convention européenne des droits de l’homme.
7. Il est à noter que l’arrêt de la Cour constitutionnelle ne fait que suspendre l’entrée en vigueur du traité conclu entre la Belgique et l’Iran, les parties requérantes ayant simultanément introduit un recours en annulation et en suspension contre l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 portant assentiment au traité.
Au stade de l’analyse du recours en suspension, la Cour constitutionnelle ne se prononce que sur l’existence de moyens sérieux invoqués ainsi que sur l’existence d’un risque que l’application immédiate de la règle attaquée puisse causer un préjudice grave difficilement réparable.
La décision de suspension ne préjuge dès lors pas de l’issue de la procédure d’annulation.
La Cour se prononcera sur le recours en annulation dans les trois mois de la décision de suspension. Son arrêt statuant sur le recours en annulation est attendu pour la fin février. Justice-en-ligne y reviendra lorsqu’il sera rendu.