La Cour suprême d’Israël, contre-pouvoir ou gouvernement des juges ?

par Denis Charbit - 22 mai 2023

L’actuel Gouvernement de l’État d’Israël a envisagé de réformer son système judiciaire, affectant essentiellement l’indépendance et le rôle constitutionnel de sa Cour suprême. Ce projet de réforme a suscité une vague inédite de protestations dans le pays.
Denis Charbit, professeur à l’Open University of Israel, décrit ci-dessous les particularités de ce système judiciaire, qui puise ses racines dans l’histoire de ce pays dépourvu de Constitution, les lignes de force de la réforme envisagée et le contexte politique qui l’accompagne.

1. Il arrive que des citoyens d’un État de droit critiquent et contestent même tel ou tel arrêt rendu par la Cour suprême de leur pays.
S’ils en viennent à manifester en masse pour protéger l’institution elle-même, c’est que la démocratie est en danger, le signe qu’elle pourrait bien devenir un régime illibéral. C’est ce qui est récemment arrivé en Pologne. C’est ce qui pourrait arriver en Israël.
Au terme de cette première manche de trois mois entre la coalition gouvernementale israélienne et la société civile, la première s’est inclinée en consentant à suspendre provisoirement le vote en dernière lecture d’une loi visant à modifier la composition de la commission qui désigne les juges de la Cour suprême, la première de tout un ensemble de lois destiné à museler l’autorité judiciaire en verrouillant le système de tous les côtés.

2. La société civile a gagné une bataille, elle n’a pas gagné la guerre.
Une négociation s’est ouverte sous l’égide du président de l’État d’Israël entre représentants de la majorité et de l’opposition. Elle peut aboutir à un compromis honorable ou déshonorant ; elle peut également échouer. Tout est possible, y compris le vote en bloc de cette législation par la Knesset, le Parlement israélien.

3. Que reproche-t-on à la Cour suprême dans les rangs de la coalition au pouvoir et pourquoi des centaines de milliers de manifestants ont-ils réagi avec une telle énergie ?
Personne ne conteste, de part et d’autre, que la Cour suprême jouit en Israël d’un pouvoir réel dans la vie publique mais, alors que l’opposition l’estime nécessaire et souhaitable pour contrebalancer les pouvoirs législatifs et exécutif qui n’en font qu’un dans un régime parlementaire, la majorité considère que c’est le pouvoir de la Cour suprême qui s’avère excessif et exorbitant au point d’entraver l’action du gouvernement et du parlement, donc la volonté du peuple, donc la démocratie.

4. Pour comprendre cet affrontement qui a tourné au psychodrame, il faut remonter à la Déclaration d’indépendance.
Le texte proclamé par David Ben Gourion le 14 mai 1948, au lendemain du départ du Haut-Commissaire mettant fin à vingt-sept ans d’autorité britannique, s’ouvre sur les causes profondes qui légitiment la création d’un État juif : la Bible, le sionisme, la Shoah et l’ONU, laquelle, à la date du 29 novembre 1947, avait approuvé le plan de partage de la Palestine en deux États dont un État juif.
Soucieux de se plier aux recommandations de la résolution onusienne, David Ben Gourion définit alors les principes du régime politique à venir, caractéristiques d’une démocratie. Le mot proprement dit n’y figure pas, mais l’égalité, la liberté, la justice et la paix sont explicitement mentionnées.

5. Enfin, La Déclaration se termine sur les échéances immédiates à respecter : la tenue d’élections générales à la date du 1er octobre 1948 afin que les citoyens élisent une Assemblée constituante chargée, comme son nom l’indique, de rédiger une Constitution.
Non seulement la date des élections a été repoussée au 25 janvier 1949 à cause de la guerre qui faisait encore rage, mais voilà que cette assemblée forte de 120 sièges, une fois élue, faute de rédiger une Constitution comme cela était prévu, décide de se proclamer assemblée législative en charge de promulguer des lois ordinaires.
Conscient des tâches révolutionnaires à accomplir, Ben Gourion préférait nettement gouverner sans cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de son action parlementaire et gouvernementale, tandis que les partis religieux s’opposaient, à ce que l’État juif nouvellement établi puisse être régi par une Constitution autre que la Thora.
Un compromis unique en son genre fut adopté : contrairement à tous les pays dotés d’une constitution, il fut décidé que la Constitution relative à l’État d’Israël ne serait pas rédigée d’un trait et adopté en bloc, mais chapitre par chapitre. Des lois dites fondamentales seraient promulguées au fur et à mesure jusqu’à ce qu’advienne le temps de les rassembler pour former la Constitution écrite de l’État d’Israël.
Ce compromis adopté en 1950 comportait deux lacunes : aucune échéance précise et impérative ne fut arrêtée pour clore une fois pour toutes la rédaction de cette constitution et le législateur n’a pas cru bon octroyer de statut constitutionnel à ces lois fondamentales : elles seraient votées et pourraient être modifiées comme des lois ordinaires.

6. Parallèlement, un système judiciaire à trois niveaux fut mis en place, au sommet duquel la Cour suprême fut établie.
Elle remplit initialement deux fonctions essentielles : la première fait d’elle une cour de cassation chargée d’examiner des jugements rendus par la juridiction inférieure (appelée tribunal de district) ; la seconde, qui l’apparente au Conseil d’État, consiste à arbitrer les contentieux entre un citoyen et toute autorité publique émanant de l’État (ministères, municipalités, etc.). Elle porte alors dans ce cas le nom de Haute Cour de Justice, dont l’acronyme se dit en hébreu Bagatz).
Il n’y avait pas lieu à l’époque de faire de la cour suprême une Cour constitutionnelle puisque cet organisme n’a de raison d’être que s’il existe une Constitution à l’aune de laquelle les lois votées par les députés sont validées ou non par la Cour lorsque celle-ci est saisie pour rendre ses arrêts.

7. Jusqu’en 2023, la Knesset a voté quatorze lois fondamentales, qui sont autant de chapitres de cette Constitution à venir.
Ces lois fondamentales définissent, pour la plupart, les prérogatives des institutions : loi fondamentale sur la Knesset, sur le gouvernement, sur l’armée, etc.
Ce qui manquait à ce catalogue était une déclaration des droits (bill of rights, comme disent les constitutionnalistes américains), autrement dit l’ensemble des libertés fondamentales que garantit une Constitution. Des arrêts de la Cour suprême portant sur ces libertés faisaient jurisprudence, mais aucune loi fondamentale n’avait jamais été promulguée à cette fin.

8. En 1992, des députés de gauche et de droite qui avaient une formation juridique se sont unis pour faire passer une loi fondamentale regroupant l’ensemble de ces libertés – liberté d’expression, de mouvement, d’association, etc. Pressentant l’opposition des partis religieux si elles étaient votées en bloc, les députés, habiles, décidèrent de les voter une par une en commençant par la loi fondamentale sur la liberté de l’emploi, puis, dans la foulée, une seconde sur la dignité de l’homme et sa liberté.
Ils parvinrent surtout à introduire dans chacune d’elles une clause capitale stipulant que toute modification ultérieure de chacune de ces deux lois requiert le vote d’une majorité qualifiée (en l’occurrence, une majorité absolue de 61 voix).
En conférant à ces deux lois fondamentales un statut distinct d’une loi ordinaire, qu’elle ait compris pleinement ou non la signification de son vote, la Knesset avait enclenché le processus qui allait aboutir, trois ans plus tard, à un arrêt décisif et historique des juges de la Cour suprême. Désormais, ont-ils déclaré, Israël dispose d’un socle constitutionnel composé de ces deux lois fondamentales à l’aune duquel ils pourront désormais décréter la constitutionnalité ou non des lois ordinaires promulguées par la Knesset.
La « révolution constitutionnelle » était née et baptisée du nom de son instigateur, le président de la Cour suprême de l’époque : Aharon Barak. Cour de cassation et Conseil d’État depuis sa fondation, la Cour suprême devenait, à partir de 1995, Cour constitutionnelle.

9. Résumons l’itinéraire parcouru : faute de Constitution, la Knesset comptait sur l’autodiscipline de ses membres pour ne pas abuser du pouvoir qui leur était confié. Sur la base de ces deux lois fondamentales votées par la Knesset, Aharon Barak introduisait Israël dans le club des démocraties libérales fondées non seulement sur l’indépendance de l’autorité judiciaire, mais aussi sur sa fonction de contre-pouvoir capable de limiter le législateur en cas d’abus.
Qu’avait donc fait Aharon Barak, avec l’aide de la Knesset, sinon établir un équilibre entre les institutions après un demi-siècle environ durant lequel l’Exécutif et le Législatif avaient disposé d’une suprématie sur la justice ?
C’est la raison pour laquelle la révolution constitutionnelle en question a été une révolution de velours décrétée sans tambours ni trompettes, et sans opposition manifeste non plus.

10. Depuis 1995, la Haute Cour de justice s’est prononcée sur vingt-deux lois de la Knesset pour exercer un contrôle de constitutionnalité.
Elle a parfois rejeté la requête, annulé un paragraphe seulement ou bien la loi dans son intégralité.

11. La Cour suprême est-elle donc activiste ?
Quantitativement parlant, elle ne l’est pas : vingt-deux arrêts sur environ 3500 lois promulguées à la Knesset.
Cependant, si la plupart de ces arrêts ont porté sur des points juridiques dépourvus de toute signification politique ou idéologique, la Cour a également annulé des lois qui se trouvent ont au cœur des controverses politiques en Israël depuis sa création.
Ainsi, par exemple, en 2012, la loi « Tal », qui avait établi un arrangement concernant les devoirs militaires des jeunes orthodoxes, fut déclarée anticonstitutionnelle car elle transgressait le principe de l’égalité devant la loi.
L’année suivante, la Cour a annulé également un amendement en vertu duquel il était possible d’incarcérer pour une période neuf mois des réfugiés et des travailleurs immigrés dépourvus de papiers en règle sans avoir été préalablement déférés devant un juge.

12. Aussi peu nombreux que soient ces arrêts, ils étaient suffisamment éloquents pour que se constitue progressivement une fronde réunissant orthodoxes, droite conservatrice et extrême-droite, vent debout contre l’intervention intempestive de la justice dans le travail du législateur.
La Cour suprême est entrée alors dans le collimateur de la droite nationaliste et cléricale.
Longtemps, Benyamin Netanyahou, l’actuel premier ministre, fit barrage à des projets de loi visant à restreindre les prérogatives de la Cour, d’autant que participait à toutes ses coalitions au moins un parti qui posait comme condition de son entrée au gouvernement le gel de toute réforme de la justice de nature antilibérale.
En 2020, inculpé par la justice, Netanyahou fit cause commune avec les adversaires de la Cour suprême.
En 2022, et pour la première fois, Netanyahou se trouvait en mesure de former une majorité gouvernementale unanimement déterminée à mener bataille contre la Cour suprême.

13. Trois semaines après la formation du nouveau gouvernement, le ministre de la Justice, Yariv Levin, bras droit et homme de confiance de Netanyahou, définissait froidement et sûrement les grandes lignes de son projet le 4 janvier 2023 :

  • 1° La commission de nomination des juges composée depuis les années 1950 de neuf membres (trois juges de la Cour suprême dont le président de la Cour, deux membres du conseil de l’ordre des avocats dont le président, deux ministres du gouvernement dont le ministre de la Justice, deux membres de la Knesset dont l’un appartient à la majorité et l’autre à l’opposition) serait modifiée de telle sorte que le gouvernement et la coalition parlementaire disposeraient désormais d’une majorité de voix pour désigner des juges correspondant à leurs convictions.
  • 2° La Haute Cour de justice ne pourra annuler des lois qu’à l’unanimité des quinze juges, et non plus à la majorité des juges, selon la règle en vigueur. De plus, alors que, dans la situation actuelle, un arrêt de la Cour est sans appel, désormais, en cas d’annulation à l’unanimité – en soi une conjoncture improbable –, la Knesset pourra revoter la loi telle quelle si elle parvient à réunir le nombre de 61 députés, correspondant à la majorité parlementaire minimale (« clause de contournement »).
  • 3° D’autres dispositions prévues visent le conseiller juridique du gouvernement, autorité indépendante chargée de vérifier et de déclarer la légalité des actes du gouvernement. Alors que son avis oblige le gouvernement, il deviendrait, dans le cadre de la réforme, consultatif seulement. Quant aux conseillers juridiques en fonction dans chacun des ministères, le projet de loi prévoit qu’ils soient nommés par le ministre, à qui ils devront rendre compte de leur décision, perdant ainsi leur indépendance fonctionnelle.
  • 4° Enfin, il est prévu de restreindre le droit de saisir la Haute Cour de justice : alors que depuis les années 1990 les associations de défense des droits de l’homme peuvent déposer des requêtes au nom de leurs clients, seules les personnes directement affectées par le contentieux pourraient désormais le faire.

14. Le catalogue législatif déposé par la coalition est plus fourni encore que ce qui en a été décrit mais, d’un projet de loi à l’autre, le sens de la marche est transparent : autour de cette « réforme », que ses adversaires qualifient de « coup d’État », ce sont deux conceptions de la démocratie qui s’affrontent : la première est formaliste et fait de la règle de la majorité sanctionnée par le suffrage universel le noyau dur et exclusif de la démocratie. « Le peuple a parlé » et ses représentants ont pour vocation de réaliser les promesses engagées, qu’elles touchent à la politique dans les différents secteurs – sécurité, défense, économie, éducation, santé, cultes, etc. – ou aux règles du jeu politique et à l’équilibre entre les pouvoirs ; la seconde conception est autrement plus substantielle et voit dans la limitation du pouvoir le cœur battant de la démocratie afin d’éviter la tyrannie de la majorité.

15. Depuis la « révolution constitutionnelle » de 1995, la Haute Cour de justice est perçue par le gouvernement comme le bastion principal de l’opposition de gauche, d’où celle-ci parvient à faire passer, par les arrêts de la Cour, les lois qu’elle n’est plus en mesure de faire voter à la Knesset par une majorité de députés.
Si cette représentation est caricaturale, il est indéniable que la plus grande partie des droits dont ont bénéficié les Israéliens dans les trente dernières années ont résulté de quelques-uns de ces arrêts de la Cour suprême et non de lois promulguées par la Knesset.
Il est indéniable également que ces arrêts d’orientation libérale ont été un ballon d’oxygène pour les électeurs de gauche et du centre. Cependant, si la Cour est susceptible de freiner des lois de la Knesset et des décisions du gouvernement, c’est aussi que la Knesset n’ose légiférer alors qu’elle en conserve l’autorité. Pour ne citer qu’un exemple, lorsqu’en 1992, la Haute Cour de justice a supprimé la discrimination qui interdisait l’accès des jeunes filles à la formation de pilotes de l’armée de l’air, on imagine mal la Knesset voter une loi pour rétablir la discrimination.

16. Les partisans de la réforme dénoncent le biais libéral sinon « gauchiste » de la Cour suprême sans se prononcer sur le fait que celle-ci s’est montrée respectueuse de la volonté de l’Exécutif à propos des colonies de peuplement en Cisjordanie.
La Cour les a légitimées en tant qu’elles présentent un caractère provisoire à condition toutefois qu’elles ne soient pas érigées sur des terres dont les Palestiniens sont légalement détenteurs.
Elle autorise également la destruction de la maison de l’auteur d’un acte terroriste, malgré le caractère de punition collective que présente cette mesure héritée du mandat britannique.
Mieux encore, la mise en cause de l’indépendance de la Cour suprême pourrait entraîner une intervention de la Cour pénale internationale et de la Cour internationale de justice de La Haye, ce dont elles se sont abstenues à ce jour en se fondant sur l’indépendance de l’institution judiciaire israélienne.

17. Attaché à la règle de la majorité, le gouvernement trouve face à lui une Cour suprême dont la raison d’être est précisément de tenir compte des droits de l’individu et des minorités garantis par la loi.
Cette tension entre les deux pouvoirs est inéluctable, nécessaire et même souhaitable.
À vouloir remodeler les règles du jeu de telle sorte que la Cour aurait pu continuer d’exercer ses fonctions tout en privant ses futurs arrêts de toute effectivité, la coalition gouvernementale est allée trop loin. Car, outre le fond de la réforme, la manière d’agir a consterné la population. L’erreur fatale de la coalition a été de déposer un projet clé en main, qui ne laissait guère place à des aménagements.
On a employé l’expression allemande de blitz pour décrire cette législation votée au pas de course. La précipitation avec laquelle le ministre de la Justice, Yariv Levin, et le président de la commission des lois, Simcha Rothman, ont agi a choqué jusque dans les rangs de l’opinion de droite en Israël. Ce qui était présenté comme un renforcement impératif de la démocratie est très vite apparu non comme un rééquilibrage des pouvoirs au profit de la majorité, mais bel et bien comme un changement de régime, dans le prolongement de ce qui s’est produit ces dernières années en Turquie, en Pologne et en Hongrie.
Levin et Rothman, comme un duo infernal imperturbable et imperméable à toute concession, ont rappelé à quel point la démocratie israélienne, en dépit de la révolution constitutionnelle de 1995, est en fait une démocratie fragile (Cohen, 2021), dont les règles de fonctionnement ne sont pas gravées dans le marbre d’une Constitution mais sur le sable mouvant d’une majorité parlementaire capable à tout instant de les modifier.
Aussi certains estiment qu’à la faveur de cette crise l’heure est venue enfin de promulguer une Constitution de l’État d’Israël en bonne et due forme après soixante-quinze ans durant lesquels les vingt-cinq Chambres qui se sont succédé depuis 1949 se sont accommodé du « péché originel » de Ben Gourion.

18. Ce qui a suscité l’émoi et l’effroi des manifestants venus grossir les rangs des opposants à la réforme de la première heure, c’est que la coalition a cru bon dévoiler ce qu’elle entendait faire une fois la Cour suprême réduite au rôle passif qu’elle lui destinait. La voie serait libre, ont-ils déclaré, pour disposer d’une Cour plus conservatrice, moins encline à contredire les lois et les décisions de la Knesset et du gouvernement, et pour faire advenir surtout un projet théocratique et colonisateur : voter des lois qui empiètent sur la liberté de conscience et coloniser à tour de bras et sans entrave.
La contestation est allée en s’amplifiant car progressivement des avertissements rationnels sur les retombées économiques, sécuritaires et diplomatiques qui résulteraient de l’adoption de la réforme ont supplanté les divergences de vue idéologiques sur la nature de la démocratie. Repousser la réforme n’était plus seulement une affaire de régime, mais une question de bon sens.

19. On ne saurait expliquer pleinement l’ampleur du mouvement si l’on ne voit pas que la réforme a fait vaciller l’équilibre entre État juif et démocratique sur lequel repose Israël.
Mais, outre la tension entre ces deux conceptions opposées quant à la place du pouvoir de l’autorité judiciaire en démocratie – l’une subordonnée et soumise, l’autre libre et indépendante –, la crise a révélé au grand jour la complexité de la mosaïque israélienne : ce ne sont pas seulement les partisans et les opposants de la réforme qui s’affrontent, c’est aussi la tension inhérente entre orthodoxes et libres penseurs, entre nationalistes et patriotes, entre partisans de l’annexion et partisans d’un retrait négocié, entre les élites de droite, qui ont le pouvoir et les élites scientifiques, économiques, militaires et culturelles, qui ont le savoir et l’avoir, entre classes moyennes instruites et diplômées et classes moyennes inférieures qui n’ont pas bénéficié de la même formation et cultivent un ressentiment à l’égard des premières.

20. Il est prématuré de déterminer lequel des deux courants l’emportera ou bien si un compromis finira par réunir les parties.
Il est toutefois trois secteurs de la population qui assistent à cette confrontation en spectateurs engagés du bout des lèvres : les Arabes israéliens penchent pour la Cour suprême mais sont convaincus, à tort ou à raison, qu’elle n’en a pas fait assez pour la défense de leurs droits ; les orthodoxes sont ralliés au gouvernement puisque les deux formations politiques qui les représentent y siègent. Ils reprochent à la Cour d’intervenir dans leurs affaires ; enfin, les Juifs orientaux, bastion du Likoud, sont en faveur du gouvernement et soutiennent au moins la revendication d’introduire parmi les quinze juges une plus grande diversité sociale et culturelle.
Et cependant, aucun de ces trois groupes sociaux qui, à eux trois sont majoritaires dans le pays, ne sont venus grossir les rangs de l’un ou l’autre des deux cortèges. C’est leur mobilisation potentielle qui déterminera peut-être l’issue de ce psychodrame sans précédent.

L’article qui précède est publié avec l’aimable autorisation de Madame Marie-Laurence Debray, qui publiera dans les prochaines semaines le livre de Denis Charbit, Israël et ses paradoxes. Idées reçue sur un pays qui attise les passions, aux éditions « Le Cavalier bleu », d’où sont extraits les principaux éléments de ce texte.

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