Le procès dit du Carlton ou DSK à Lille : y a-t-il un accusateur dans la salle ?

par Paul Dhaeyer - 18 février 2015

Dominique Strauss-Kahn est cité devant le Tribunal correctionnel de Lille et pourtant le parquet n,’avait pas demandé son renvoi devant cette juridiction et il y requiert l’acquittement de ce prévenu. Comment cela se fait-il ? Le parquet ne doit-il pas toujours porter la parole de l’accusation ?

Paul Dhaeyer, juge d’instruction au Tribunal de première instance du Hainaut, division Charleroi, assistant à l’Université Saint-Louis et ancien substitut du parquet de Bruxelles, nous explique ci-après qu’en sa qualité de « gardien de la loi », le parquet a une fonction bien plus nuancée, ce qui explique la situation il est vrai assez rare à Lille.

1. L’imaginaire autour de la justice est imprégné de culture anglo-saxonne. A travers les innombrables séries télévisées américaines, le rôle du procureur est souvent dépeint comme un accusateur qui doit à tout prix obtenir la condamnation du prévenu.

La réalité de la justice en Europe est infiniment plus nuancée. Dans la tradition française, dont nous avons héritée, le parquet (appelé aussi le ministère public ou la partie publique) est le représentant de la société et à ce titre il doit faire preuve d’objectivité lorsqu’il requiert (c’est-à-dire lorsqu’il prend la parole) à l’audience. Le procureur doit avant tout veiller à ce que la loi soit appliquée. Il n’est donc pas nécessairement un accusateur. De même il ne représente ni l’État, ni les victimes. Il ne doit donc pas prendre automatiquement partie pour les victimes et contre le prévenu.

La position du ministère public est de ce point de vue fondamentalement différente de celle de l’avocat des victimes, appelées parties civiles lors du procès. L’avocat des parties civiles défend les intérêts privés de ses clients et présentera ses arguments dans leur seul intérêt. Le Parquet quant lui, a l’obligation de faire connaitre au tribunal l’ensemble des éléments dont il dispose. S’il détient des éléments favorables à la défense, il doit les faire connaître au juge.

Le magistrat du parquet est également libre de requérir à l’audience ce qu’il croit juste au regard des preuves qui y sont présentées. Même si son collègue ou son supérieur avait requis le renvoi d’un inculpé devant le tribunal correctionnel, le substitut du procureur, à savoir celui qui représente le parquet à l’audience, peut requérir l’acquittement s’il estime qu’il n’y a pas suffisamment de preuves de culpabilité.

2. Dans l’affaire dite du « Carlton de Lille », le parquet avait ordonné l’ouverture d’une instruction judiciaire.

Lorsque l’enquête fut terminée, le parquet a requis le non-lieu pour M. Strauss-Kahn après avoir étudié le dossier de l’instruction, estimant qu’il n’y avait pas assez de charges contre lui. Les juges d’instruction français en ont décidé autrement et ont renvoyé M. Strauss-Kahn devant le tribunal correctionnel. En France, les juges d’instruction remplissent en effet la fonction de notre chambre du conseil et peuvent par conséquent décider du renvoi ou du non-lieu dans une affaire qu’ils ont instruite. Les juges d’instruction n’étaient pas tenus de suivre les réquisitions de non-lieu du parquet. A l’inverse, le parquet n’est pas lié, dans ses réquisitions, par les inculpations du juge d’instruction ni même par la décision de renvoi.
Le parquet et le juge remplissent des fonctions différentes et sont indépendants l’un de l’autre. En outre, ce n’est pas parce que Dominique Strauss-Kahn a été renvoyé en correctionnelle qu’il est coupable.

L’ordonnance de renvoi se borne à constater qu’il existe des charges contre lui qui justifie un débat public devant le tribunal.

Il n’y a donc rien de surprenant ou d’anormal à ce que le substitut du Procureur de la République ait requis l’acquittement à Lille, après que les témoins et les inculpés aient été interrogés par le président du tribunal. Le parquet requiert l’acquittement s’il estime que tous les éléments constitutifs de l’infraction reprochée au prévenu ne sont pas réunis. Il le fera dans l’intérêt de loi. Telle doit être son attitude même si au cours des débats des comportements « hors normes » ou immoraux ont été évoqués. La loi pénale ne réprime en effet que des comportements strictement définis et explicitement interdits par la loi seule. La mission du parquet est de faire appliquer la loi pénale et non de faire régner telle ou telle morale qui est par essence subjective et peut varier pour chacun.

En bout de course, il reviendra au Tribunal correctionnel de Lille de déterminer si les comportements incriminés constituaient une infraction. Il le fera en toute indépendance après avoir entendus toutes les parties. Son jugement sera susceptible d’appel.

Votre point de vue

  • skoby
    skoby Le 22 février 2015 à 16:33

    Tout-à-fait d’accord avec François. Procès stupide et inutile, argent du contribuable
    gaspillé. Cela appelle des sanctions. DSK est un malade sexuel, mais on n’a
    jamais eu d’indication sur le fait qu’il soit un proxénète.

    Répondre à ce message

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 19 février 2015 à 16:42

    Pour faire un vrai nettoyage des taupes, il faut un super taupier...Dans ces milieux, cela n’existe pas ou ne peut pas exister car il prendrait des risques énormes. Le secret des sources, des fuites d’infos est l’argument communément utilisé. Vous avez tout à fait raison : ce procès était en fait un vaudeville burlesque et vulgaire. DSK est certes un personnage "sexuellement" malade qui pourrait être, s’il le veut seulement, "aidé". Mais on le cherchait, on voulait purement et simplement le jeter en pâture...Pendant que l’on parlait "sexe" on occupait la presse, les médias, les voyeurs en tous genres. Pendant ce temps-là le gouvernement prenait des décisions "en stoemelings" comme les jours fériés supprimés et remplacés ceux par d’autre(s) communauté(s), e.a. L’état de la France est lamentable, elle n’est plus que l’ombre de la grande nation qu’elle fut...

    Répondre à ce message

  • Francois
    Francois Le 19 février 2015 à 10:07

    Donnons pour une foi la parole aux contribuables :
    Deux hypothèse à ne pas écarter : soit les juges d’instruction ont été "politiquement" priés d’ "enfoncer le clou", soit ils n’ont pas osé suivre l’avis négatif du parquet par peur de se voir accusé de laxisme face à une affaire médiatisée (le moyen de pression "politique" peut d’ailleurs être la menace d’une campagne de presse sur leur "laxisme").
    L’acquittement vu le déroulement des audiences ne fait aucun doute, comme le parquet l’avait prévu : on a donc gaspillé allègrement l’argent du contribuable, qui en retour n’a reçu que de belles histoires croustillantes à raconter au bistrot ou au travail, à la pause... au détriment des acteurs d’un Vaudeville de haut vol !
    Quand des juges ne suivent pas l’avis du parquet, et que l’acquittement était tout aussi prévisible, il serait peut-être temps de responsabiliser les fonctionnaires qui ont pris la mauvaise décision de poursuivre en leur faisant payer tout ou partie du coût du procès : ras le bol des gaspillages aux frais du contribuable !
    L’indépendance de la justice est importante, mais elle n’autorise pas pour autant un gaspillage évident... surtout quand le parquet, sous le feu des médias qui ne pardonnent pas les erreurs, rend un avis nuancé, motivé et raisonnable...
    A noter également que le secret de l’instruction a été bafoué au-delà de ce qui est admissible dans cette affaire où la presse s’est livrée à un voyeurisme déplacé qui a bien fait "vendre", chaque fois que des détails croustillants étaient imprimés ! Il serait temps qu’on consacre la même énergie à débusquer puis licencier pour faute grave les "taupes" qui trahissent depuis trop longtemps le secret des instructions et des rapports de police ! Trop c’est trop !

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