Les victimes de la pédophilie et leurs secrets

par Paul Martens - 20 septembre 2010

C’est un très beau débat que l’on peut lire ci-avant. Il illustre deux des questions les plus intéressantes de la théorie du droit : existe-t-il, à côté du droit positif, un droit naturel qui le précède et le transcende et peut-on tolérer l’existence d’une pluralité d’ordres juridiques ?

Théoriquement, on peut admettre qu’une composante de la société civile fabrique son propre droit, mais non qu’elle prétende, en matière pénale, évincer le droit commun et rivaliser avec les juridictions que la Constitution et la loi désignent pour l’appliquer.

Mais ce n’est pas cette question qu’on abordera ici.

Les victimes se soucient peu de savoir si elles doivent réclamer justice en invoquant la violation du droit positif ou du droit naturel. Ce qu’elles souhaitent, c’est pouvoir mettre le drame de leur vie entre les mains d’une institution sachant leur accorder une qualité d’attention qui excède les aspects purement juridiques de l’infraction qui les a blessées. On ne traite pas la victime d’un abus sexuel de la même manière que celle qui se plaint d’avoir été préjudiciée par un chauffard, un voleur ou un escroc.

Il fut un temps où des victimes renonçaient à confier à la justice les atteintes à leur intégrité sexuelle parce qu’elles craignaient d’être accueillies par un scepticisme narquois. Les mêmes raisons les dissuadaient d’ailleurs de s’adresser à d’autres institutions, qu’elles soient scolaires ou familiales. Aujourd’hui, la justice a profondément modifié l’accueil des victimes, spécialement celles qui sont victimes d’abus sexuels, et le droit de chaque enfant « au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle » a été inscrit, en 2000, au plus haut de notre ordre juridique : dans l’article 22bis de la Constitution. Il est bon que des magistrats et des avocats aient pris la plume ou la parole pour le rappeler.

Mais tout n’est pas dit pour autant.

Tout d’abord, nul n’est contraint de choisir la voie pénale pour tenter de cicatriser les blessures infligées à ce qu’une personne a de plus intime. Même mené dans le plus grand respect des victimes, le procès pénal est une épreuve qui ne peut être imposée à la personne qui ne se sent pas le courage de l’affronter. Si des personnes auxquelles leur fragilité psychologique a fait craindre la violence d’un procès ont décidé de s’adresser à une commission privée qui a su assurer la discrétion qu’elles recherchaient, ce serait les abuser à nouveau, juridiquement cette fois, de s’emparer de déclarations qu’elles y ont faites sans qu’elles aient elles-mêmes décidé de porter leur plainte devant la justice pénale.

Ensuite, une fois la justice saisie, on peut espérer que personne ne prévienne la presse lorsqu’elle exerce une mesure d’instruction, ce qui donne à celle-ci une visibilité qui se moque du secret auquel ont droit, dans la phase d’instruction du procès, tant les victimes que ceux qu’elles accusent.

Enfin, il n’est pas souhaitable que, le lendemain d’une perquisition, la presse puisse diffuser des images trouvées au cours de celle-ci.

Quand nos législateurs, approuvés par nos plus hautes juridictions, ont sacralisé le respect des sources des journalistes, ce n’était pas pour leur permettre de publier toute information qui leur parût vendable. C’était pour interdire qu’un juge se mêle de rechercher la source de leur information. Mais cela supposait que la presse s’impose à elle-même une éthique qui tienne compte, dans l’exercice du droit à l’information, du respect de la vie privée, de la présomption d’innocence et du secret de l’instruction.

Or on constate que la publication d’informations couvertes par le secret de l’instruction est devenue une pratique, un sport, voire un marché. Tout cela se fait, sans aucun doute, à l’insu des juges et malgré eux. Mais aussi longtemps que cette justice médiatique se fera dans le mépris des règles de la justice instituée, laquelle revendique, à juste titre, une légitimité impartageable, elle ne pourra qu’inciter les victimes à s’adresser à une justice parallèle, sans doute juridiquement boiteuse, démocratiquement critiquable, exposée au soupçon de vouloir étouffer leurs plaintes, mais qui s’est révélée capable, malgré tous ces défauts, de respecter leurs secrets.

Mots-clés associés à cet article : Presse, Pédophilie, Secret de l’instruction, Église catholique,

Votre point de vue

  • THIERRY MARCHANDISE
    THIERRY MARCHANDISE Le 1er octobre 2010 à 13:30

    C’EST EN EFFET UN BEAU DÉBAT QUE CELUI DES VCTIMES DE LA PÉDOPHILIE ET LEURS SECRETS.

    CE QUI M’A CHAGRINÉ C’EST QUE DANS UNE PARTIE DE LA PRESSE, LE DÉBAT AIT OPPOSÉ, COMME SUR UN CHAMPS DE BATAILLE, DES POINTS DE VUE OÙ LE SOUCI DES VICTIMES PARAISSAIT ABSENT.

    lA QUESTION DE LA COMMISSION EST CERTES CENTRALE. MAIS SI CETTE COMMISSION A SERVI DE VRAI LIEU D’ÉCOUTE POUR UNE VICITME QUI NE SOUHAITAIT QUE CELA, ELLE A REMPLI UNE MISSION PLUS QU’UTILE.

    CAR IL EST BON DE RAPPELER QUE JUSQU’IL N’Y A PAS SI LONGTEMPS LA JUSTICE N’A PAS TOUJOURS ACCUEILLI LES VICTIMES DE PÉDOPHILIE AVEC L’ATTENTION NÉCESSAIRE ET QUE LE LÉGISLATEUR DÈS 1994, A PERMIS DES RECHERCHES ALTERNATIVES AU RÈGLEMENT DES CONFLITS NOTAMMENT PAR LA MÉDIATION PÉNALE QUI ÉVITE, SI LA VICTIME LE SOUAHITE, LE PROÇES PUBLIC.

    LA JUSTICE AU TRAVERS DE PLUSIEURS RÉACTIONS, AURAIT DONC TORT DE DONNER L’IMPRESSION D’ÊTRE VEXÉE D’AVOIR PERDU DES PARTS DE MARCHÉ.

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  • Denis Luminet
    Denis Luminet Le 21 septembre 2010 à 10:26

    RE : évincer le droit commun et rivaliser avec les juridictions que la Constitution et la loi désignent pour l’appliquer.

    Un exemple édifiant (?) est fourni par les statuts de la Fédération Internationale de Football Association, sur les plans ...
    tant « législatif » : (art. 5) Le statut des joueurs et les modalités de leurs transferts sont régis par un règlement spécifique édicté par le Comité Exécutif.
    que « judiciaire » :(art. 64) Tout recours devant un tribunal ordinaire est interdit, sauf s’il est spécifiquement prévu par les règlements de la FIFA.

    La FIFA ne se proclame-t-elle pas elle-même au dessus des lois ? Sans vouloir être discourtois, est-ce cette multinationale modèle que nous (c’est-à-dire les gouvernements –démissionnaires- belges et néerlandais) devons supplier de daigner nous accorder la Coupe du Monde 2018 ?

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Paul Martens


Auteur

Président émérite de la Cour constitutionnelle
Chargé de cours honoraire aux Universités de Bruxelles, Liège et Paris XII

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