Les responsabilités engagées ici peuvent être pénales (emprisonnement, amendes) ou civiles (dommages et intérêts).
1. La responsabilité pénale vise évidemment celui qui a commis les faits (le coupable) mais pas seulement.
Elle peut aussi viser par exemple un supérieur hiérarchique, pour non-assistance à personne en danger.
Il y a aussi, pour les faits postérieurs à 1999, la responsabilité pénale des personnes morales. Mais l’Eglise catholique est-elle une personne morale ? Et la faute la plus grave n’a-t-elle pas été commise par la personne physique auteur des faits, ce qui écarterait la responsabilité de la personne morale ? Autant de questions délicates qu’il serait trop long d’aborder ici.
2. La responsabilité civile (qui peut être discutée devant le juge civil, ou devant le juge pénal si la victime se constitue « partie civile » devant lui) vise des personnes de deux ordres :
a. D’abord celui qui est en faute (le coupable), sur la base de l’article 1382 du Code civil. Dans certains cas, une faute personnelle peut aussi être reprochée à l’un ou l’autre supérieur hiérarchique (évêque, archevêque, cardinal), par exemple pour défaut d’information ou de surveillance, négligence, complaisance envers le coupable.
b. Ensuite le ou les « civilement responsable(s) », qui doivent répondre, sur la base de l’article 1384, alinéa 3, du Code civil, des actes dommageables de leurs préposés sans qu’eux-mêmes aient commis la moindre faute. C’est la responsabilité pour autrui, ou, suivant la formule devenue célèbre : « responsable mais pas coupable ». Il faut pour cela qu’il y ait un lien de subordination ou de préposition entre le coupable (le préposé) et le civilement responsable (le commettant).
C’est au sujet de ce lien que les discussions les plus aigues ont surgi, notamment dans l’affaire du « curé de Saint-Gilles » qui a donné lieu à un jugement du tribunal correctionnel de Bruxelles du 9 avril 1998, partiellement réformé par un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 25 septembre 1998. Le tribunal correctionnel avait considéré que le lien de subordination existait parce que le curé, coupable des faits (en l’occurrence viol, attentat à la pudeur et outrage public aux mœurs) exerçait ses fonctions sous l’autorité de l’évêque et du cardinal. La cour d’appel a jugé que ce n’était pas le cas, d’une part en raison de la relative autonomie dont jouissait le curé (stabilité de ses fonctions, spécificité de ses compétences, éloignement géographique du curé par rapport au diocèse), d’autre part parce que le curé n’exerçait pas sa fonction pour le compte ni dans l’intérêt du ou des commettant(s) (évêque, cardinal), ce qui constitue une autre condition d’application de la responsabilité pour autrui de l’article 1384, alinéa 3.
Mais alors, dira-t-on, dans l’intérêt de qui l’évêque et le cardinal exercent-ils leur autorité ? Qui est finalement le commettant « ultime », qui serait seul civilement responsable ? Cela repose la question – assurément délicate, et qui sera sans doute discutée un jour ou l’autre – de savoir si l’Eglise catholique a la personnalité juridique (ou morale), et quel est exactement son rôle.
3. En ce qui concerne le montant des dommages et intérêts, signalons que dans l’affaire du curé de Saint-Gilles un montant de 300.000 FB a été alloué à la victime à titre de dommage moral, et un montant de 100.000 FB à chacun de ses parents. La cour d’appel n’a pas modifié ces montants, se bornant à libérer l’évêque et le cardinal de cette condamnation puisqu’elle considérait qu’ils n’étaient pas civilement responsables.
4. Un mot enfin de la prescription, qui est évidemment susceptible de mettre fin à toute réclamation par le simple écoulement du temps.
La prescription de l’action civile est de 5 ans à partir du moment où la victime a eu connaissance du dommage et de l’identité de la personne responsable (article 2262bis, § 1er, alinéa 2, du Code civil). Cela allonge donc le délai de prescription, qui ne pourra cependant pas dépasser 20 ans.
Toutefois, l’action civile ne peut pas être prescrite avant que l’action publique (pénale) ne le soit elle-même ; or, le délai de l’action publique peut aller jusqu’à 10 ans.
Par ailleurs, il faut savoir que la prescription ne court pas, en principe, contre un enfant mineur aussi longtemps qu’il est mineur. Mais les choses ne sont pas si simples, car l’enfant a des représentants légaux. La prescription court-elle alors contre eux ? On peut se le demander. Et si l’on considère que la prescription court, quel est, au sens de l’article 2262bis, le moment de la « connaissance du dommage » - donc du caractère dommageable des attouchements sexuels - qu’il faut prendre en considération ? Connaissance par l’enfant ou par ses parents, représentants légaux ? La question n’est pas simple et donnera sans doute lieu à discussion.
Bref, je ne fais qu’évoquer ici les questions susceptibles de se poser dans le domaine très technique qu’est celui de la prescription.