Manipulation du cours de l’action du holding Fortis ? Le rôle de la CBFA et ses relations avec le pouvoir judiciaire

par Frédéric Georges - 10 septembre 2009

Dans un récent communiqué de presse, disponible sur son site internet (www.cbfa.be), la Commission bancaire, financière et des assurances, en abrégé la C.B.F.A., a signalé avoir ouvert une enquête sur l’adéquation de la communication externe, en juin 2008, de la S.A. Fortis quant à la mise en œuvre de son plan de solvabilité et à ses prévisions sur ce aspect. Au terme de cette enquête, le comité de direction de la C.B.F.A. a constaté qu’il existait suffisamment d’éléments pour transmettre le dossier à son auditeur, chargé d’éventuelles poursuites.

Ce communiqué nous donne l’occasion de proposer un aperçu élémentaire du rôle de la C.B.F.A. et de l’articulation entre les compétences exercées par cette institution et les éventuelles suites pénales, civiles et commerciales des éléments qu’elle mettrait à jour.

La C.B.F.A. est une autorité administrative indépendante, en ce qu’elle ne se trouve pas subordonnée au pouvoir exécutif par un lien hiérarchique. Son origine remonte à 1935, lorsque le législateur belge, confronté (déjà…) à une crise sans précédent, décida de remédier à l’absence d’encadrement de l’activité et des institutions bancaires.

La Commission vit ses pouvoirs s’étendre au fil des années. Le statut, les compétences et le fonctionnement de la C.B.F.A. sont actuellement régis par le troisième chapitre de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers. Son action s’inscrit dans un contexte très marqué par une nécessaire coopération à l’échelon européen.

Les missions de la C.B.F.A. sont multiples. Très brièvement, elle octroie l’autorisation d’exercer des activités dans les secteurs bancaires, financiers et de l’assurance et surveille les situations de solvabilité et de liquidité des acteurs dans ces trois domaines (la solvabilité s’entend de la possibilité de répondre de ses engagements, la liquidité de celle de faire face, à (très) court terme, à des retraits de fonds). Elle veille par ailleurs au respect des règles visant la protection des intérêts de l’investisseur lors des transactions effectuées sur des instruments financiers, ainsi qu’au bon fonctionnement, à l’intégrité et à la transparence des marchés d’instruments financiers.

Quant à l’effectivité de cette surveillance, le législateur est parti de l’idée, entre autres en raison de la très haute technicité du droit financier, que des sanctions administratives sont plus rapides et efficaces que les sanctions pénales pour punir les écarts et éviter les récidives. Afin de mettre les manquements à jour, la C.B.F.A. dispose d’un pouvoir général d’enquête. Ainsi, lorsqu’elle constate, dans l’exercice de ses missions légales, l’existence d’indices sérieux d’irrégularités, ou lorsqu’elle est saisie d’une plainte à ce propos, son comité de direction charge son secrétaire général d’instruire le dossier. Ce secrétaire général porte à cette occasion le titre d’auditeur et instruit le dossier à charge et à décharge, comme le ferait un juge d’instruction. Une commission des sanctions, composée au sein de la C.B.F.A., pourra ultérieurement infliger une amende administrative ou une astreinte, ou conclure un règlement transactionnel, si elle constate l’existence d’une pratique illicite.

Par ailleurs, outre ce pouvoir général d’enquête, existent des pouvoirs d’investigations spécifiques dans le cadre de certaines des compétences incombant à la C.B.F.A. Non seulement les destinataires potentiels de ce pouvoir d’investigation sont nombreux, mais surtout les formes d’interventions s’apparentent à celles dont dispose un juge d’instruction (auditions, identifications de télécommunications, saisies de fonds, valeurs, titres ou droits, etc.) lorsqu’il s’agit de lutter contre les délits de marché, tel le délit d’initié. Une collaboration est également prévue avec les autorités judiciaires, les mesures de coercition les plus graves étant d’ailleurs subordonnées à l’autorisation préalable d’un juge d’instruction.

L’importance de ces pouvoirs exige en contrepartie un processus d’instruction et de « condamnation » conforme à certains canons du procès équitable imposé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que la possibilité d’un recours devant le pouvoir judiciaire, en l’occurrence la Cour d’appel de Bruxelles.

Par ailleurs, certains comportements pouvant donner lieu à une sanction administrative sont également passibles de poursuites pénales, en sorte que se pose la question des « conflits » de procédure. La loi apporte quelques réponses ; ainsi, en application du principe selon lequel on ne peut punir deux fois le même comportement, toute amende administrative et tout règlement transactionnel devenus définitifs avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes s’imputent sur le montant de toute amende pénale qui serait prononcée. De même, le secret professionnel auquel sont tenus les organes et le personnel de la C.B.F.A. est levé dans quelques hypothèses, dont celles du témoignage en justice en matière pénale, de la dénonciation des infractions pénales aux autorités judiciaires et des recours administratifs ou juridictionnels contre les actes ou décisions de la C.B.F.A. Cependant, toutes les difficultés sont loin d’être résolues et suscitent d’intéressants débats parmi les spécialistes de ces questions, aux conséquences pratiques non négligeables.

Terminons en signalant que l’architecture du contrôle du secteur financier pourrait être réformée prochainement, eu égard aux commentaires partagés suscités par la coopération, lors de la récente crise financière, entre la Banque Nationale de Belgique (B.N.B.) et la C.B.F.A. au sein du Comité de Stabilité Financière (CSF) et du Conseil de Surveillance de l’Autorité des Services Financiers (CSASF).

Sans pointer aucune responsabilité à ce propos, on renvoie le lecteur au rapport de la commission parlementaire spéciale chargée d’examiner la crise financière et bancaire (cliquer ici), ainsi qu’au rapport définitif du Haut comité pour une nouvelle architecture financière en Belgique, dit « rapport Lamfalussy » (cliquer ici), et aux réactions qu’ils ont suscitées dans le chef des responsables des institutions précitées et du pouvoir politique.

C’est là un autre trait commun entre le pouvoir judiciaire et les institutions de surveillance du monde financier : un dysfonctionnement emporte inéluctablement une réponse organique du pouvoir politique, parfois par modification de l’institution, souvent par ajout d’une nouvelle institution…

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