Pour la Cour constitutionnelle, l’euthanasie pratiquée sans respecter certaines conditions légales ne peut pas nécessairement être sanctionnée comme un meurtre par empoisonnement

par Damien Holzapfel - 27 janvier 2023

Le 20 octobre 2022, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt disant que les dispositions de la loi du 28 mai 2002 ‘relative à l’euthanasie’ viole le principe constitutionnel d’égalité en ce qu’elles ont pour effet que tout non-respect, par le médecin qui pratique l’euthanasie, des conditions de procédure qu’elles énoncent ne peut donner lieu qu’à une seule et même incrimination.
Explications par Damien Holzapfel, avocat au barreau de Bruxelles, assistant à l’Université libre de Bruxelles

1. Il est remarquable de constater à quel point certains actes peuvent être appréciés de manière diamétralement opposée selon les points de vue.
L’euthanasie en fait partie.
En forçant à peine le trait, nous pourrions dire que, pour certains, l’euthanasie est inadmissible car elle met fin volontairement à la vie d’une personne et que, pour d’autres, elle est un acte d’humanité qui permet de mettre fin aux souffrances d’une personne qui le souhaite. Bien entendu toutes les nuances sont possibles entre ces deux visions extrêmes.

2. Face à de tels actes, il est souvent très compliqué de légiférer.
En Belgique, il a fallu attendre 2002 (loi du 28 mai 2002 ‘relative à l’euthanasie’, Moniteur belge, 22 juin 2002, p. 28515) pour qu’un cadre légal soit fixé pour déterminer dans quels cas et à quelles conditions l’euthanasie peut être pratiquée sans constituer une infraction pénale ; ; cette loi a été plusieurs fois modifiée depuis.
Avant cette loi, l’euthanasie pouvait être sanctionnée en vertu de l’article 397 du Code pénal, qui punit de la réclusion à perpétuité « le meurtre commis par le moyen de substances qui peuvent donner la mort plus ou moins promptement, de quelque manière que ces substances aient été employées ou administrées ».
Autrement dit, il n’était pas possible, avant cette loi, de pratiquer une euthanasie sans risquer des poursuites et une condamnation sur le plan pénal.

3. Des euthanasies étaient pourtant souvent pratiquées, plus ou moins secrètement, en dehors de tout cadre légal.
Cette situation plongeait tout le monde dans la plus grande insécurité puisque la personne malade qui souhaitait qu’il soit mis fin à sa vie afin de ne plus souffrir n’était pas certaine de trouver un médecin qui accepterait de l’aider et le médecin qui acceptait de répondre à une telle demande était considéré, par la loi pénale, comme se livrant à un meurtre par empoisonnement, infraction pouvant être punie de la peine la plus sévère dans notre législation, la réclusion à perpétuité.

4. La loi du 28 mai 2002 a donc été adoptée pour mettre fin à cette situation.
Cette loi, et plus précisément son article 3, énonce les conditions qui doivent être réunies pour qu’une euthanasie ne puisse plus être considérée comme une infraction pénale dans le chef du médecin qui la pratique.
Ces conditions sont nombreuses et ne sont pas toutes de même nature.
Il y a tout d’abord les conditions de fond auxquelles l’euthanasie peut être pratiquée.
Celles-ci portent sur :

  • la situation médicale de la personne qui sollicite l’euthanasie : l’intéressé, lorsqu’il est majeur ou mineur émancipé, doit se trouver dans une situation médicale sans issue et faire état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affectation accidentelle ou pathologique grave et incurable ; lorsqu’il est mineur mais doté de la capacité de discernement, il doit se trouver dans une situation médicale sans issue de souffrance physique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui entraîne le décès à brève échéance, et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ;
  • sa capacité à former une telle demande : l’intéressé doit être majeur ou mineur émancipé et capable ou encore mineur doté de la capacité de discernement et être conscient au moment de sa demande ;
  • le contenu de cette demande : il doit formuler celle-ci de manière volontaire, réfléchie et répétée, et elle ne peut résulter d’une pression extérieure.Il y a ensuite les conditions « procédurales » qui doivent être respectées, qui ont essentiellement pour but de contrôler que les conditions de fond précitées sont bien réunies. Elles imposent notamment au médecin qui projette de procéder à l’euthanasie sollicitée par le patient de recueillir l’avis d’un autre médecin quant à l’état médical du patient, de fournir à ce dernier des informations sur les solutions thérapeutiques encore envisageables, de s’entretenir, si le patient le demande, avec ses proches, etc.

Enfin, des conditions formelles sont encore énoncées par la loi. Il s’agit notamment de la nécessité d’acter par écrit la demande du patient, de consigner dans le dossier médical du patient les démarches du médecin et leur résultat, de fournir à une Commission fédérale de contrôle et d’évaluation un rapport dans les quatre jours de l’euthanasie pratiquée, etc.

5. Toutes ces conditions doivent être respectées pour que l’euthanasie ne soit pas considérée comme une infraction pénale.
A contrario, si l’une de ces conditions, quelle qu’elle soit, n’est pas respectée, l’euthanasie tombe sous le coup de la loi pénale et constitue le crime de meurtre par empoisonnement punissable de la réclusion à perpétuité.

6. Cette situation pouvait surprendre dès lors qu’un médecin qui ne respectait pas une condition de forme énoncée par la loi (par exemple le fait de ne pas formaliser par écrit la demande du patient) se voyait reprocher la même infraction pénale que le médecin qui ne respectait pas une condition de fond énoncée par la loi (par exemple pratiquer une euthanasie alors que des solutions thérapeutiques raisonnables existent).

7. C’est précisément sur ce sujet que l’arrêt n° 134/2022 du 20 octobre 2022 de la Cour constitutionnelle a été rendu.
La Cour a en effet été saisie d’une question préjudicielle portant sur le point de savoir si la loi du 28 mai 2002 ne violait pas notamment les articles 10 et 11 de la Constitution, qui garantissent les principes d’égalité et de non-discrimination, en ce que tout non-respect des conditions et procédures prévues par la loi constitue une infraction de meurtre par empoisonnement, quelle que soit la nature de la condition ou de procédure qui n’a pas été respectée.

8. Dans son arrêt, la Cour a tout d’abord indiqué que le législateur avait une obligation positive de prévoir des garanties efficaces pour prévenir les abus en ce qui concerne la pratique de l’euthanasie et qu’il lui appartient dès lors de mettre en place une procédure propre à assurer qu’une décision de mettre fin à sa vie correspond bien à la libre volonté de l’intéressé.
La Cour a toutefois considéré que le système mis en place par la loi entraînait des conséquences disproportionnées « au regard de l’objectif du législateur consistant à veiller à ce que le médecin concerné respecte strictement les conditions et procédures légales ».
C’est la raison pour laquelle elle a déclaré qu’il incombait au législateur d’adopter une réglementation visant à remédier à cette situation, autrement dit de prévoir des incriminations et des sanctions distinctes selon la condition qui n’a pas été respectée.

9. Cette décision ne remet donc nullement en cause la dépénalisation de l’euthanasie, qui reste acquise.
Elle invite au contraire le législateur à adapter les sanctions qui pourraient être prononcées en fonction de la condition qui n’aurait pas été respectée par un médecin à l’occasion d’une euthanasie.
Nous verrons la suite que le législateur réservera à cet arrêt et les distinctions qu’il opérera.
Mais il est en tout cas heureux, nous semble-t-il, qu’une certaine nuance ait été exigée quant aux conséquences pénales à réserver au manquement qui aurait été commis en fonction de la « gravité » de ce manquement.

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Damien Holzapfel


Auteur

Avocat au barreau de Bruxelles
Assistant à l’Université libre de Bruxelles

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