L’affaire Szymkovicz-Meessen - La désignation de l’artiste belge francophone à la Biennale de Venise de nouveau attaquée devant le Conseil d’État : point donc de calme dans la « Sérénissime » ?

par Laura Van den Eynde - Julien Cabay - 21 juillet 2014

À nouveau saisi de la désignation du représentant de la Communauté française à la Biennale internationale des arts visuels de Venise, le Conseil d’État, par un arrêt du 21 mai 2014, vient de suspendre la décision attribuant le marché. En effet, il existe un doute sur la partialité du comité d’expert qui a retenu le projet, lequel – qui plus est – n’avait pas respecté scrupuleusement le cahier spécial des charges. La haute cour administrative prend garde par contre de ne pas s’engager dans une évaluation des mérites artistiques du projet, ce qui constitue peut-être le principal intérêt de cet arrêt.

Julien Cabay et Laura Van den Eynde, tous deux aspirants F.N.R.S. (chercheurs) à l’Université libre de Bruxelles, nous en disent plus.

1. Le requérant dans l’affaire en question, Charles Szymkovicz, est un artiste belge. En 2010 déjà, il avait attaqué la désignation d’une autre artiste, Angel Vergara, pour représenter la Communauté française lors de l’édition 2011 de la Biennale internationale des arts visuels de Venise. L’an dernier il avait obtenu l’annulation (tardive) de la décision, le Conseil d’Etat pointant du doigt l’absence d’un appel public et de prise en considération de la candidature spontanée de Szymkovic.

2. Cette fois-ci, en vue de la Biennale de 2015, la Communauté française avait bien ouvert un appel d’offres contenant divers critères. C’est donc bien dans le cadre d’une mise en concurrence des candidats que l’on se trouve ici, ce qui implique une comparaison des mérites de chacun, comme tout autre « marché public ».

Mais Szymkovicz ne fut pas classé parmi les premiers par le comité d’experts chargé de déterminer « l’offre la plus aboutie du point de vue artistique et organisationnel ». Ce comité avait classé premier l’artiste plasticien Vincent Meessen, représenté par l’asbl Normal, à qui le marché a alors été attribué.

3. M. Szymkovicz a introduit une demande en suspension en extrême urgence de cette décision. Il reprochait premièrement à la Communauté française d’avoir évalué le respect des conditions formelles du dossier du candidat retenu moins sévèrement que les autres. Szymkovic invoquait ensuite le caractère flou, infiniment subjectif et non pertinent des critères d’attribution du marché et de la méthodologie de notation. Enfin, le candidat malheureux voyait la procédure entachée de préjugés à son encontre et de partialité au profit de l’asbl sélectionnée.

4. Le Conseil d’État, statuant en une formation de juge unique, comme tel est le cas le plus souvent dans les procédures de référé (c’est-à-dire urgentes et provisoires), a suivi le requérant sur le premier et le dernier point et, par un arrêt du 21 mai 2014, a suspendu l’exécution de la décision d’attribution du marché. Il a souligné la bienveillance dont la Communauté française semble avoir fait preuve à l’égard du dossier sélectionné et est d’avis que l’influence suggérée par la composition du comité d’experts (quatre membres sur sept ont été en relation étroite avec l’artiste sélectionné) ne peut être exclue et a pu susciter un doute légitime quant à son aptitude à évaluer les candidats en toute impartialité.

5. Ce n’est toutefois pas dans les motifs justifiant la suspension de la décision mais bien dans ceux rejetant le second point de l’argumentation du requérant que se situe l’intérêt principal de cet arrêt.

En effet, les critères d’attribution du marché avaient notamment trait à la « pertinence des intentions artistiques », au « caractère novateur/actuel » et à la « pertinence des actions vers le grand public et les publics cibles ». À la critique du requérant, la Communauté française opposait une jurisprudence du Conseil d’Etat relative à l’attribution de marchés pour des prestations d’architecte, de scénographes ou encore de fourniture de repas (s’agissant des qualités gustatives), laquelle ne sanctionne en ces matières hautement subjectives que l’erreur manifeste d’appréciation : en d’autres termes, dans ces matières, il faut avoir montré manifestement, au-delà de tout doute, que toute personne raisonnable n’aurait pas agi de cette manière et n’aurait pas porté l’appréciation critiquée. Il devrait a fortiori en aller de même s’agissant de « […] la prestation artistique, qui n’est d’abord que subjectivité [...] ».

Le Conseil d’Etat suit l’administration sur ce point et offre au requérant une réponse cinglante : il ne ressort pas de son argumentation en quoi une quelconque disposition ou principe aurait été violé, de sorte que le moyen est irrecevable. En d’autres termes, devant la haute cour administrative, « de gustibus et coloribus non est disputandum » (« on ne discute pas des goûts et des couleurs ») !

6. Il est vrai qu’il serait inopportun de confier au juge (à l’esthète comme au philistin) le soin de se prononcer sur la question de l’art. Aussi, celui-ci n’a d’autre choix que de s’en remettre à l’avis de l’expert. De la même manière, d’ailleurs, que l’administration, qui ici tout comme lors de la désignation d’Angel Vergara pour l’édition 2011 de la Biennale, a simplement entériné la décision du comité d’experts. De quoi donner du crédit à la fameuse « théorie institutionnelle de l’art » de George Dickie, suivant laquelle est de l’art ce qui est reconnu comme de l’art par le monde de l’art… Et de souligner, avec la sociologue de l’art Natalie Heinich, le rôle des institutions publiques dans ce processus de reconnaissance.

7. Nous voici donc à moins d’un an de la tenue de la Biennale, sans représentant pour le pavillon belge. Qu’à cela ne tienne, nous apprenons ce 1er juillet 2014 que, sur la base d’une nouvelle proposition émise par le même jury d’expert, répondant aux critiques du Conseil d’État, Fadila Laanan, Ministre de la Culture, a confirmé sa décision initiale de désigner Vincent Meessen. Il s’agirait donc du même comité, flétri du sceau de défaut d’impartialité, qui aurait participé à la procédure et du même artiste, dont le projet ne satisfaisait pas aux conditions du cahier spécial des charges, qui aurait été désigné… Mais, nous dit-on, les garanties juridiques sont cette fois « bétonnées ».

« Maudits », doit se dire Szymkowicz…

Votre point de vue

  • JM KANINDA
    JM KANINDA Le 6 août 2014 à 01:21

    La loyauté est une vertu primant sur la technicité de n’importe quel expert puisqu’elle permet d’être "protégé(e)" dans des rapports fonctionnels "consanguins" sinon incestueux du beau monde (de l’entre soi) ; relations fonctionnelles imbriquées dans une pyramide parallèle de "vassalité-suzerainité" invisible aux yeux du profane mais qui fonctionnent comme un "shadow cabinet" ou si l’on veut... fonctionnant comme la belle-mère qui dirige dans l’ombre et le silence le jeune couple... sans que les voisins s’en doutent lorsqu’ils entendent les disputes, les éclats de verre ou d’assiettes, les éclats de voix...etc...

    Ahhhhhh... ces bons vieux rapports moyen âgeux entre suzerain et vassal... et le droit de cuissage qui va avec !

    Rien de nouveau sous le soleil. Dr JM KANINDA, gyn-obst

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 23 juillet 2014 à 15:53

    Tiens, tiens, tiens...Comme c’est étrange...Sûrement du pur hasard ... Quatre des sept
    experts étroitement proches de l’artiste choisi par la ministre Laanan..."Les amis de mes amis sont mes amis" ; toujours dispo pour faire plaisir et cela n’importe comment pourvu que l’heureux bénéficiaire soit encarté PS... Cela suffit. Pas besoin d’être bon et encore moins le meilleur... Cela se passe en Wallonie, bien sûr...Comme toujours...C’est vraiment plus fort qu’eux...A quand la médaille d’honneur pour favoritisme et copinage ? Enfin, cette façon partisane de procéder, le monde judiciaire la connaît bien pour la pratiquer depuis si longtemps et si souvent...

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  • Docteur LOUANT
    Docteur LOUANT Le 22 juillet 2014 à 14:35

    La Dictature de l’Administration en ces matières parait évidente et la théorie de Georges Dickie citée , est malheureusement trop souvent d’application non seulement dans le domaine de l’art mais encore dans d’autres domaines comme l’Expertise Judiciaire.
    Le manque de rigueur se cachant derrière tout cela est déprimant et fait naître un manque de confiance. Q’un Expert Judiciaire soit désigné dans un conflit opposant une victime d’accident de travail à l’adjoint de cet Expert, en tant que Conseil de l’Assureur Loi, ne semble pas anormal à nombre de Médecins Conseils. Le faire remarquer et proposer de demander un changement d’Expert est considéré par ces Messieurs comme une atteinte à leur honneur et l’expression d’un esprit mal tourné.

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  • skoby
    skoby Le 22 juillet 2014 à 12:31

    Comme toutes décisions prises en Wallonie, ce n’est pas la qualité qui compte
    mais la possession de la carte du parti socialiste ;

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