1. Thierry Henrard et Thomas Greck, deux architectes qui ont retrouvé un tapuscrit (texte original tapé à la machine) inédit rédigé par Victor Horta et intitulé « La leçon du Palais de Justice » ont publié un ouvrage remarquable intitulé « Victor Horta, avocat de Poelaert », sous-titré « La leçon du Palais de Justice » (Éditions CIVA)
Cet ouvrage apporte, autour du texte retrouvé, une foule d’informations et de réflexions inédites sur notre Palais, ce monument qui se délite mais que le monde entier nous envie.
2. En 2024, peut-on cependant parler de lueur d’espoir puisqu’on annonce que les échafaudages de la façade principale seront retirés en 2025 après une rénovation tant attendue ?
C’est un premier pas, certes, vers un ravalement extérieur complet annoncé pour 2030 mais qui ne répond en rien à la question fondamentale de l’avenir du Palais de Justice et de sa rénovation intérieure en profondeur.
3. L’ouvrage, met en exergue le fait que, depuis son inauguration en 1883, le bâtiment a fait l’objet de modifications innombrables qui l’ont profondément dénaturé et qu’Horta a, en son temps, critiquées avec vigueur.
4. Revenons un peu en arrière : beaucoup ont encore à l’esprit les polémiques suscitées par la construction du plus grand palais de justice du monde et l’expression « schieven architek » attribuée par les habitants des Marolles à Joseph Poelaert, qui le haïssaient pour avoir, il est vrai, exproprié une partie importante de ce quartier populaire.
Rappelons toutefois que ce bâtiment a fait l’objet d’une reconnaissance internationale de la part de personnalités très diverses :
Pour Paul Verlaine, l’œuvre de Poelaert était « grandiose, biblique et michelangelesque avec du Piranèse », pour Charles Garnier, l’architecte de l’Opéra de Paris, c’était « le seul monument que l’on a construit en Europe depuis le commencement du siècle », sans oublier les plus éminents architectes urbanistes de l’époque comme Joseph Stubben, qui évoque un projet d’embellissement urbain de premier ordre, et Camillo Sitte, le pape de l’urbanisme autrichien, qui ne tarit pas d’éloges.
5. En résumé, dès son érection, le Palais de Justice ne laisse pas indifférent. En outre il inspire la construction de nouveaux palais de justice, notamment en Amérique du Sud.
C’est ainsi que le Palais de Justice de Bruxelles a été une référence importante pour les palais de justice de Santiago au Chili et de Buenos Aires en Argentine, mais surtout pour celui de Lima au Pérou, dont il est quasi une réplique en miniature.
À titre anecdotique, je me suis parfois posé la question de savoir si Poelaert avait pu être inspiré par Angkor Vat, le plus grand des temples d’Angkor redécouvert en 1860 et qui m’a immédiatement fait penser à notre Palais par sa solennité et par son agencement spatial.
6. L’ouvrage du CIVA met en lumière certaines particularités du Palais de Justice dont il est parfois difficile de se rendre compte en raison notamment le fait que 45 % de ses surfaces étaient originairement consacrées à la circulation et que les proportions du carré et du rectangle d’or s’y retrouvent à l’infini.
À cela, il y a lieu d’ajouter que le Palais de Justice comptait quatre entrées distinctes, en en faisant un bâtiment ouvert sur la ville avec une galerie périphérique bordant la salle des pas perdus, qui formait ainsi une véritable rue intérieure. En outre des véritables réverbères donnaient l’illusion d’un forum urbain.
7. Mais l’essentiel de l’ouvrage, construit autour du témoignage inédit d’ Horta est consacré à la dénaturation progressive de l’œuvre de Poelaert au fil du temps.
Singulièrement, on apprend que, dès son ouverture, malgré son gigantisme, le Palais s’est révélé inadapté aux demandes de ses utilisateurs.
Il faut souligner qu’en 1883, le Barreau de Bruxelles ne comptait que 300 avocats et que très vite ce nombre a évolué de manière exponentielle.
En outre, Poelaert n’avait pas prévu de vestiaire des avocats, ce qui provoqua des réactions très vives.
Cependant, jusqu’au décès du conservateur Engels, extrêmement fidèle à l’esprit de Poelaert, les transformations qui altéraient l’esprit de Poelaert furent jugulées.
8. Ensuite et notamment après la première guerre mondiale où tout le cuivre et le bronze des huisseries avait été réquisitionnés par l’occupant pour en faire de l’armement et où la grande porte de bronze avait été fondue, les choses ont radicalement changé.
C’est à ce moment, et surtout après 1927 qu’Albert Storrer est devenu d’abord assistant et ensuite le conservateur du Palais et a entrepris une série de travaux importants, sans trop se préoccuper des intentions de Poelaert, mais dans la volonté de répondre aux demandes des utilisateurs et des pouvoirs publics.
Horta faisait à ce moment partie de la commission du Palais de Justice, commission qui avait le pouvoir de décider des transformations, mais il démissionna en 1936 en raison des décisions prises qui selon lui remettaient fondamentalement en cause l’esprit de Poelaert.
Celles-ci concernaient notamment :
- la fermeture de deux portes d’accès vers la ville ;
- le remplacement de la galerie périphérique par des salles d’audience ;
- le remplacement des pierres blanches de l’escalier monumental par des pierres bleues ;
- l’illisibilité du plan original.
C’est peu après cette date qu’Horta a écrit sa « Leçon du Palais de Justice » en espérant que son message soit entendu.
La réalité fut tout autre…
9. Aujourd’hui la fondation Poelaert tente de redonner à ce bâtiment son lustre d’antan et de retrouver son esprit originaire dans un contexte résolument tourné vers l’avenir.
Au-delà d’un discours pessimiste, elle tente de faire comprendre la valeur essentielle de l’édifice au sein du patrimoine architectural belge mais aussi sa force pour l’élaboration d’un projet où justice, culture et urbanisme pourraient se mêler pour faire revivre un bâtiment mais aussi un quartier.