Au départ du retrait du petit Santiago de son hôpital par ses parents en octobre 2024 : regard complémentaire sur l’opération de qualification en droit pénal

par Camille Gambi-Arnold - 24 juillet 2025

En octobre dernier, la presse s’est largement fait l’écho de l’affaire Santiago, prénom d’un nourrisson né prématurément en France et retiré de l’hôpital par ses parents à un moment où il nécessitait encore des soins. Un mandat d’arrêt européen a été émis à l’encontre des deux parents et l’enfant a finalement été retrouvé quelques jours plus tard à Amsterdam.
Les médias parlent d’un « enlèvement » de l’enfant, une qualification que les parents contestent toutefois par la voix de leur avocat. Ils soutiennent qu’il ne peut s’agir d’un enlèvement puisqu’au moment où ils quittaient l’hôpital, ils exerçaient encore pleinement l’autorité parentale et qu’aucune décision de justice n’imposait alors le maintien de leur enfant sur place. Ce n’est que quelques heures après leur départ que leur aurait été notifiée la décision de les priver de la prérogative leur permettant d’avoir la pleine autorité parentale.
Comme l’explique ci-dessous Camille Gambi-Arnold, assistante à l’UCLouvain et doctorante à l’UCLouvain et à l’Université d’Ottawa, l’enjeu est de taille puisque, selon qu’il s’agit ou non d’un enlèvement, au sens du droit français, les conséquences juridiques de cette affaire varieront.

1. L’affaire Santiago nous donne l’occasion d’aborder l’importante et délicate question de la qualification des faits en droit pénal, et ce, sous plusieurs importants aspects qui n’ont pas tous encore été abordés dans le présent dossier thématique de Justice-en-ligne « La qualification pénale des faits ».
Dans cette brève contribution, nous commençons par rappeler en quoi consiste cette opération de qualification, en précisant à quelles conditions un comportement peut être considéré comme tombant sous le coup d’une incrimination (A.). Seront ensuite abordés les différents enjeux que cette opération renferme (B.). Ces détours théoriques nous permettront de mieux revenir, dans un troisième point, sur les questionnements juridiques autour de l’affaire Santiago (C.).

A. La qualification en droit pénal

2. L’opération de qualification des faits en droit pénal consiste à rattacher un comportement concret à une incrimination définie de manière abstraite dans un texte légal : autrement dit, qualifier des faits c’est rapprocher ces évènements bruts à une infraction prévue par la loi.
Pour que l’infraction existe, il s’agit de veiller à ce que trois éléments soient remplis : un élément légal (a), un élément matériel (b) et un élément moral (c).

a) L’élément légal de l’infraction

3. Un comportement n’est punissable que s’il a été expressément érigé en infraction par le législateur. Un juge ne peut donc réprimer un comportement que s’il constitue une infraction définie par la loi. Ce principe constitutionnel, connu sous le nom de principe de légalité, garantit que seule la loi peut ériger un comportement en infraction et prévoir la peine qui y est attachée ; c’est ce que l’on appelle l’opération d’incrimination.
Par « loi », on entend ici non seulement celles qui, portant ce nom, sont adoptées par le Parlement fédéral, mais aussi les textes de niveau législatif adoptés par les assemblées des communautés et des régions (textes appelés, selon le cas, les « décrets » ou les « ordonnances »). Il arrive aussi que les titulaires du pouvoir exécutif (le Roi ou les gouvernements communautaires et régionaux) adoptent des règlements contenant des incriminations pour certains comportements, mais alors le législateur compétent doit les y avoir habilités de manière suffisamment précise ; tel est le cas par exemple du Code de la route, qui est un arrêté royal n’ayant pu être adopté que parce que la loi y avait autorisé le Roi.

4. Ainsi, une disposition légale doit nécessairement avoir été violée pour qu’une infraction existe. Le catalogue des infractions ne se limite pas au Code pénal : d’autres lois, au sens large tel qu’il est exposé ci-dessus, prévoient également des comportements punissables.
Puisque la liste des infractions évolue, il est essentiel de rester attentif aux modifications législatives : certains comportements peuvent être retirés du champ pénal, ce qui constitue une « décriminalisation », tandis que d’autres peuvent y être intégrés, dans un processus de « criminalisation ».

5. En plus de veiller que le comportement soit érigé par la loi en infraction, le praticien prendra soin d’identifier l’existence d’éventuelles causes de justification, comme la légitime défense ou l’état de nécessité. Celles-ci ont pour effet de neutraliser l’élément légal de l’infraction en rendant le fait conforme à la loi.

b) L’élément matériel de l’infraction

6. L’élément matériel de l’infraction ne sera rempli que si l’auteur a réalisé le comportement extérieur, c’est-à-dire celui précisément prohibé par la loi. Le comportement prohibé peut prendre la forme d’une action (par exemple le vol) ou d’une omission (par exemple, la non-assistance à personne en danger), selon ce que prévoit le texte légal.
Pour chaque infraction, la loi précise quels sont les composants factuels qui forment l’élément matériel. Ceux-ci peuvent être de différents types : ils peuvent concerner par exemple la qualité de l’auteur (lorsque la loi incrimine le fait s’il est réalisé par un médecin, par exemple), celle de la victime (quand l’infraction existe si elle a été commise vis-à-vis d’un mineur, par exemple) ou même une circonstance particulière (le fait que les évènements se sont déroulés la nuit par exemple). Dans certaines hypothèses, telles que la tentative punissable ou les règles relatives à la participation des coauteurs ou complices, la loi permet de punir un comportement même quand les éléments ne sont pas tous réunis dans le chef de son auteur.

7. À ce stade du travail, il s’agira également d’identifier les éventuelles circonstances aggravantes qui ont pour effet d’aggraver la peine applicable.

c) L’élément moral de l’infraction

8. En plus de ces éléments légal et matériel, une infraction ne peut exister qu’en présence d’un élément moral. Cet élément constitutif implique que l’auteur a agi dans un état d’esprit déterminé par la loi.
La nature de cet état d’esprit varie selon l’infraction et peut prendre différentes formes précisées par le texte, qui peut requérir par exemple qu’il y ait une « intention méchante » ou que l’auteur a agi « délibérément ».
Des causes de non-imputabilité et d’exemption de la culpabilité peuvent empêcher la réunion de cet élément. Dans ce cas, l’infraction ne sera pas attribuée à son auteur.

B. Les enjeux sous-tendus par cette opération

9. La qualification juridique doit être effectuée avec rigueur, car elle constitue le point de départ du traitement d’une affaire pénale. En effet, rattacher un fait à une infraction détermine l’application de l’ensemble des règles de droit pénal et de procédure pénale.
Cette tâche, assurée par différents professionnels du droit, repose sur une analyse technique qui peut faire l’objet de désaccords en raison des enjeux qu’elle implique. La complexité est d’autant plus grande que la qualification d’un fait peut évoluer au cours de la procédure, ainsi que cela a été expliqué dans les deux articles suivants précédemment publiés sur Justice-en-ligne : Thierry Marchandise, « Strépy-Bracquegnies : la qualification pénale en mouvement » ; Pauline Leloup, « Strépy-Bracquegnies : assises ou correctionnelle ? L’enjeu de la qualification pénale ».

C. Application à l’affaire Santiago

10. Le comportement des parents dans l’affaire Santiago, à savoir celui de retirer un enfant de l’hôpital nécessitant encore des soins, est passible de différentes incriminations contenues dans les textes légaux français, mais peut aussi faire l’objet de différentes procédures : un même comportement est donc susceptible de recouvrir plusieurs infractions et d’ouvrir une série de dossiers différents.

11. La presse a souligné que le comportement des parents pourrait relever de plusieurs infractions. Ce comportement peut aussi être d’une nature telle qu’il ne constitue aucune infraction. Seule la connaissance et l’analyse du dossier permettraient – et permettront au ministère public et aux juges saisis de l’affaire – de se faire une conviction à cet égard.
Il a notamment été avancé que les parents pourraient être poursuivis pour enlèvement, mais aussi pour privation de soins. Leur comportement pourrait également être qualifié de non-assistance à personne en danger.
Toutefois, la première qualification soulève la question du respect des conditions matérielles de l’infraction concernée. L’une d’elles exige que l’enfant ait été soustrait aux personnes exerçant l’autorité parentale sur lui. Or, selon l’avocat des parents, ces derniers disposaient toujours de l’autorité parentale sur Santiago au moment de leur départ de l’hôpital.
Quoi qu’il en soit, ces qualifications devront être examinées attentivement à l’aune des faits du dossier et de la loi française afin de déterminer si, et à quelles conditions, le comportement des parents de Santiago entre dans leur champ d’application. Nul doute que cette opération fera couler l’encre des praticiens et amènera de nombreux débats dans les prétoires.

12. Finalement, si le comportement des parents est susceptible de donner lieu à des poursuites pénales, il peut également entrainer l’ouverture d’un dossier de protection de la jeunesse.
Ces deux procédures poursuivent des finalités distinctes : la première, de nature pénale, vise à sanctionner le comportement des parents, tandis que la seconde a pour objectif de prendre des mesures destinées à protéger l’enfant.
Différentes mesures pourraient être prises dans le cadre d’un dossier protectionnel et la presse souligne que l’enfant fait actuellement l’objet d’un placement.

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