1. Le public aura été interpelé par un fait, heureusement peu fréquent, survenu lors d’un match de football entre deux clubs professionnels de division I nationale, le Standard de Liège et Oud Heverlee Leuven : alors que le joueur Carcela du Standard subissait une faute consécutive à une geste très agressif du joueur Ruytinx de Leuven, il a giflé celui-ci, ce qui a justifié son exclusion du match et une amende. Entretemps le joueur agressé subissait une incapacité de jouer de plusieurs semaines.
Plus tard, avec son employeur (le Standard), ils vont annoncer leur intention d’introduire une action en justice visant à obtenir d’importants dommages et intérêts à charge du joueur louvaniste et de son club.
2. Une telle action peut-elle aboutir ? Pour cela passons en revue quelques principes.
3. Tout d’abord, il existe une thèse selon laquelle « le sport appartient aux sportifs » et qu’il appartient donc aux instances disciplinaires de la fédération de football ou, au mieux, aux tribunaux d’appliquer aux cas qui leur sont soumis les seules sanctions édictées par les règlements des fédérations sportives. Cette thèse se fonde sur l’idée que le sport constitue un ordre juridique distinct de l’ordre juridique étatique.
Elle ne trouve pas pleinement écho en pratique. Jugeons-en.
4. Sur le plan pénal, il n’y a pas de priorité du droit du sport, c’est-à-dire des règles énoncées par les fédérations sportives, sur les règles de droit trouvant leur source dans les lois, les arrêtés royaux, etc., bref dans les textes venant de l’État au sens large.
Les règles des fédérations sportives sont des règles adoptées par des associations sans but lucratif (a.s.b.l.). Rappelons-le : contrairement à ce qui prévaut en France, les organismes sportifs ne dépendent pas directement de l’État. Les règles sportives, en Belgique, n’ont donc pas force de loi et ne pourraient déroger à des dispositions pénales d’ordre public, c’est-à-dire adoptées par une loi et qui ont vocation à primer toute règle trouvant sa source dans une initiative privée, comme c’est le cas lorsque ce sont les statuts d’une a.s.b.l. qui en sont à l’origine.
La Cour de cassation, notamment dans son arrêt du 8 novembre 1976, a rappelé que le fait de participer à une compétition sportive ne confère aucune immunité pénale. Ensuite, le droit commun de la responsabilité civile tel qu’exposé dans les articles 1382 et suivants du Code Civil s’applique à tous, même lorsqu’on revête un maillot de sport.
5. En application de ces principes, le joueur Ruytinx peut donc faire l’objet d’une plainte pénale pour coups et blessures volontaires (article 398 du Code pénal) ou involontaires (article 418 du Code pénal) et/ou d’une action en dommages et intérêts devant le juge civil si sa responsabilité civile est engagée sur base du droit commun de la responsabilité (articles 1382 et suivants : il faudra prouver une faute, un dommage, un lien de causalité entre la faute et le dommage).
Une telle action a-t-elle des chances d’aboutir ?
Fort heureusement, en sport, les contacts vigoureux, les coups, etc., entraînent nettement moins d’action en justice, et donc de cas de responsabilité, que dans la vie de tous les jours.
Il en est ainsi pour diverses raisons.
6. Tout d’abord, on comprendra que le boxeur ne dépose pas plainte au premier coup reçu. En montant sur le ring, il sait qu’il va en prendre dès l’ouverture du combat et donc qu’il y consent. Toutefois, les dispositions pénales précitées peuvent trouver application car, s’agissant d’une matière pénale, on ne peut y renoncer même par convention avant le combat.
Par contre, au niveau civil, les dispositions de droit commun n’étant pas d’ordre public, on peut imaginer une renonciation par le biais d’une clause d’exonération. Mais là encore, faudra-t-il déterminer l’étendue de l’exonération (jusqu’où va-t-elle ?).
7. Une autre raison a trait à l’acceptation des risques. Certaines décisions de justicce considèrent que les coups portés par un sportif durant la compétition constituent un incident faisant partie des risques normaux inhérents à la pratique du sport..En montant sur l’aire de jeu, le sportif accepte un risque plus élevé de subir une atteinte à son intégrité physique que dans la vie courante. Mais le risque accepté ne fait pas toujours disparaître la faute civile éventuellement commise par son adversaire.
8. Enfin la coutume accorde une certaine immunité à des comportements sur les terrains de sport qui auraient pu entrainer une responsabilité de leur auteur ; la coutume est une véritable règle de droit mais qui ne peut être constatée qu’à titre exceptionnel, spécialement lorsqu’il y a un usage constant et que les intéressés sont bien conscients, ce faisant, de respecter une règle de droit. Dans les sports de contacts, la police ne verbalise pas les coups donnés. Cette permissivité n’est pourtant consacrée dans aucun texte légal.
9. Une autre question a trait à la manière dont on va apprécier la faute civile du sportif. Ruytinx a certes commis un geste agressif qui a porté atteinte à l’intégrité physique de Carcela puisque celui-ci a encouru une blessure physique qui l’a placé en incapacité, mais il a été sanctionné immédiatement par la carte jaune que l’arbitre lui a donnée. Autrement dit, l’arbitre a appliqué les règles du jeu et a sanctionné sportivement Ruytinx.
La transgression de la règle du jeu ne constitue évidemment pas nécessairement une faute civile. Selon certaines décisions, en pratique, le juge saisi d’un tel litige va vérifier si le sportif a respecté la norme générale de prudence qui s’impose à chacun. Il va donc examiner la faute civile à la lumière des règles du jeu certes, mais aussi la faute dans le jeu, qui serait, quant à elle, de nature non pas à entraîner la responsabilité automatique du joueur mais qui serait susceptible de l’engager.
10. Enfin, avant de clôturer ce rapide tour d’horizon, faut-il encore tenir compte de ce que Carcela et Ruytinx sont des sportifs rémunérés au sens de l’article 2 de la loi du 24 février 1978, ce qui signifie qu’ils sont considérés comme des employés. Conformément aux principes applicables aux personnes se trouvant dans les liens d’un contrat de travail, ils bénéficient des effets de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, qui instaure une immunité civile à leur profit. Il en résulte que leur responsabilité civile n’est engagée que s’ils ont commis un dol (c’est-à-dire une manœuvre frauduleuse), une faute lourde ou une faute légère habituelle, comme pour n’importe quel employé. Ils ne doivent donc pas réparer les dommages résultant de leur faute légère occasionnelle.
11. Quoi qu’il en soit, rien ne permet d’affirmer que l’action de Carcela serait rejetée. Mais il ne peut être exclu que la grande famille du sport favorise un arrangement entre clubs et joueurs, ce qui priverait le spectateur curieux d’un procès fort intéressant.
Votre point de vue
denis luminet Le 8 février 2014 à 16:04
2009 : une blessure causée par un joueur du Standard (http://www.justice-en-ligne.be/article106.html , agression entre guillemets) fait rater toute une saison à la victime (pas un enfant de chœur, au demeurant) : silence à Sclessin...
2013 : la blessure (agression sans guillemets, selon L. Derwa) d’un joueur du Standard ne fait rater aucun match de championnat à celui-ci, car sa guérison coïncide avec la fin de sa suspension : procès, rugit-on au bord de la Meuse !
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